Nous ne pouvons pas non plus soutenir cette déclaration de l'extérieur, en installant le gouvernement Coquelicot et en espérant ne voter que ce qui nous convient. Non, cette formule reviendrait en réalité à signer un chèque en blanc nous obligeant à voter des budgets d'austérité et à maintenir un attelage qui ferait le contraire de ce qu'il a promis. Car – et ce n'est pas un détail – contrairement à d'autres endroits (comme l’Espagne ou le Portugal), si le PTB décidait d’appuyer de l’extérieur un gouvernement wallon, constitutionnellement, il ne pourrait pas faire tomber ce gouvernement. Il est impossible d’avoir des élections anticipées au niveau régional. Ainsi, si le PS et Ecolo ne respectaient pas leurs engagements, la seule façon qu’aurait le PTB de faire tomber le gouvernement wallon serait donc d’en proposer un autre avec… le MR et le cdH. Ce qui est évidemment impossible. Autant dire que si le PTB permettait l’installation d’un gouvernement wallon minoritaire PS-Ecolo, il signerait un chèque en blanc pour 5 ans.
Il n'est pas envisageable d'être dans un gouvernement sans pouvoir y mener un vrai changement. Étant donné que ce n’est pas possible, à choisir entre être « pieds et poings liés » dans un gouvernement qui se dit de gauche mais qui appliquera en réalité l'austérité et être dans l'opposition (tout en votant évidemment les bonnes mesures progressistes proposées), nous choisissons cette dernière option.
Quelle serait alors une véritable politique de gauche ?
Une politique vraiment de gauche implique une politique de réelle rupture. Cela passe au moins par trois conditions:
(1) rompre avec les carcans budgétaires européens pour permettre d’avoir des moyens publics et rompre avec les règles européennes en matière de libéralisation,
(2) développer une politique d’investissement public ambitieuse répondant aux besoins sociaux et environnementaux et permettant de développer l’économie dans une tout autre orientation que celle des plans Marshall successifs,
(3) avoir une pression forte de la population, des citoyens, des syndicats et des associations pour imposer ces changements par en bas.
Pour obtenir des changements véritables, des marges doivent être trouvées car il faudra des investissements conséquents. Cela nécessite de sortir des carcans budgétaires ; d’avoir la possibilité d’aller chercher des milliards pour investir dans la société, comme nous l'avons avancé dans notre plan d'Avenir. Plan dans lequel nous proposons un budget annuel de 1 milliard pour le logement social, 500 millions pour les transports publics, 1,6 milliard pour refinancer l'enseignement, ...
Pourquoi ? La Belgique et singulièrement la Région Wallonne sont dans une situation de sous-investissement dramatique dans les infrastructures publics. On parle ainsi d’une « dette cachée » car, si vous n’investissez plus, un jour cela vous explose à la figure et vous êtes obligés de trouver des moyens dans l’urgence. Cette « dette cachée du sous-investissement » est encore plus grande si on tient compte des défis écologiques qui sont devant nous. Il est donc nécessaire de se lancer dans un large plan d’investissement public.
Primo, pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux et garder le contrôle citoyen et collectif des infrastructures publiques. C'est le contraire d'une politique d'investissements qui détermine où on met les moyens en fonction des besoins de rentabilité de grandes entreprises privées.
Secundo, parce que ces investissements sont rentables sur le plan économique. Les études montrent que pour 1 euro investi, il y a un effet retour de 1,5 à 2 euros pour les pouvoirs publics. Ainsi, si on isole tous les logements, on crée des emplois dans la construction et on récupère l’argent par les économies d’énergie avec un effet retour fiscal intéressant tant pour l’État fédéral que pour la Région wallonne.
Pour fournir les liquidités, nous avons besoin d’une banque d’investissement pour les priorités sociales et écologiques. Une banque fédérale à l’image de la KFW allemande (Kreditanstalt für Wiederaufbau, une banque d’investissements sociale et écologique qui est entièrement aux mains des pouvoirs publics).
Cela nécessite de travailler avec le niveau fédéral. Pourquoi ? Parce que, si nous voulons contester les carcans de l’Union européenne, il faut le faire aussi avec l’État fédéral et créer une dynamique commune. Sinon, c’est l’État fédéral et les autres Régions qui seront mobilisés contre la seule Wallonie. Car si la Région wallonne, en tant qu’entité fédérée, sort des clous européens, c’est L’État fédéral qui devra en répondre devant les institutions européennes. En effet, l’Union européenne ne contrôle pas les budgets des Régions mais celui des États. D’où l’importance d’avoir un rapport de force favorable dans ce débat pour que l’État fédéral prenne son courage à deux mains et refuse d’obéir à ces règles européennes qui nous étouffent. Or tous les partis traditionnels, y compris le PS et Ecolo, nous refusent même le droit de participer aux discussions au niveau fédéral. Comment pourrions-nous accepter d'être dans un gouvernement régional qui devrait appliquer l'austérité décidée au-dessus de nous ?
La coopération avec le niveau fédéral est également importante parce qu'une banque publique d’investissement sera beaucoup plus solide au niveau fédéral, parce qu’elle pourra mobiliser l’épargne et avoir une garantie d’État forte. Mais aussi parce que, pour la financer, il est indispensable d’avoir les outils fiscaux (pour imposer les grandes fortunes, faire payer les multinationales,...) qui n’existent qu’au niveau fédéral.
C’est aussi au niveau fédéral que se trouve l’essentiel des outils fiscaux pour faire payer la classe des plus riches de notre pays : fiscalité sur les grands patrimoines et sur les multinationales.
Développer le rapport de forces au Parlement mais aussi dans la rue
Avec ou sans le PTB, sans ces ruptures au niveau des carcans d'austérité et de la politique économique, il n’y aura pas de véritable politique de gauche.
Soutenir le gouvernement PS-Ecolo équivaudrait à donner un chèque en blanc à une politique qui va, une fois de plus, échouer à changer réellement les choses. Le soutenir voudrait aussi dire, dans ces conditions, priver la population d’une véritable opposition de gauche capable de soutenir les mobilisations. Un tel soutien amènerait dans les prochaines années une immense déception pour tout ce qui veut être à gauche. Comme on le voit en France, en Grèce ou en Allemagne. Où la participation au gouvernement de partis de la gauche authentique sans réelle rupture mène à de graves désillusions.