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Taxer les plus grandes fortunes : réponse aux meilleurs mauvais contre-arguments

L’impôt sur la fortune se retrouve au centre de l’attention médiatique autour des négociations pour le futur gouvernement fédéral. Mais les « arguments » avancés par certains experts s’exprimant contre la taxation des grandes fortunes ne tiennent pas la route. Petit tour d’horizon.

Jeudi 19 novembre 2020

Faut-il taxer les plus grandes fortunes ? Constatant que « le PTB a remis la proposition sur la table aujourd’hui » et que « à ce stade, le compromis est cette petite phrase, assez vague, dans l’accord Vivaldi "Il faut une contribution spéciale de la part des citoyens qui ont les épaules les plus larges" », la RTBF a sondé une série d’économistes et juristes branchés fiscalité.

Même si ces professeurs d’université et avocats fiscalistes ne sont pas tous, exactement, sur la même longueur d’onde, ils apportent néanmoins chacun des objections à une taxe des millionnaires. Disons même que le panel qu’ils nous offrent pourrait être qualifié de « meilleurs mauvais contre-arguments » tant ils résument bien les réfutations les plus classiques à la nécessité d’imposer les grands patrimoines. Passons-les donc en revue…

► Inefficace

« Vouloir instaurer un impôt sur la fortune, c’est extrêmement démagogique, parce qu’en réalité, ça ne fonctionne pas. Dans les États où il a été mis en place, en France, au Luxembourg, il ne rapporte pas », défend Sabrina Scarna, avocate fiscaliste à Bruxelles.

L’exemple de la France démontre, au contraire, la nécessité d’un tel impôt. Et paradoxalement, c’est la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par le président Emmanuel Macron, en 2018, qui en apporte la démonstration. L’Insee, l’institut français de statistiques, vient en effet de montrer que les réformes fiscales de 2018, en particulier l’abandon de l’ISF, ont fait bondir les inégalités en France. C’est bien la preuve que cet impôt n’était pas symbolique.

Ce qui ne veut pas dire qu’il était parfaitement conçu, loin de là. Dès le départ, l’impôt sur la fortune était vicié par certaines « niches » comme l’exemption des œuvres d’art décrétée en 1982 par le ministre socialiste du Budget Laurent Fabius, fils… de riches antiquaires. De même, les présidents Chirac et Sarkozy, n’osant supprimer un ISF fort populaire parmi une majorité de Français, ont multiplié les niches (comme le bouclier fiscal) pour tenter de le vider de sa substance. Mais même ainsi volontairement saboté, l’impôt rapportait des recettes non négligeables. Imaginons donc un impôt non torpillé par les exemptions…

► Pas de cadastre des fortunes

Le fait que la Belgique ne dispose pas d’un cadastre des fortunes est un obstacle, selon Eric Dor directeur des études économiques à l’IESEG School of Management : « Là, il y a un vrai problème de faisabilité prévient. Ça prendrait des mois si pas des années de mettre en place ce cadastre. Or, si on veut taxer les riches, il faut savoir qui l’est. Ce n’est pas pour tout de suite. »

Cette objection ignore qu’à l’instar de l’ISF, la Taxe des millionnaires (telle que conçue dans la proposition de loi du PTB, par exemple) est un impôt déclaratif : ce n’est pas l’État qui commence par envoyer la facture, ce sont les redevables concernés qui introduisent une déclaration fiscale dès lors qu’ils sont dans les conditions. C’est d’ailleurs le cas de nombreux impôts, cf. la « déclaration » à l’impôt des personnes physiques, la « déclaration » TVA, la « déclaration » de succession, etc. Le cadastre des fortunes, qui ne servirait que pour la vérification des déclarations, peut donc arriver plusieurs mois ou plusieurs années plus tard.

Cela dit, la plupart des éléments constitutifs d’un cadastre des fortunes existent déjà. Les biens immobiliers sont évidemment répertoriés dans le cadastre immobilier. Les informations relatives aux avoirs bancaires sont centralisées au sein du Point de contact central (PCC) de la Banque nationale. Les pays étrangers envoient des millions de données financières au fisc belge. Et le nouveau registre UBO tenu par le SPF Finances contient les bénéficiaires effectifs des sociétés, fondations et autres entités. Sans oublier que les banques (et compagnies d’assurances) possèdent de gigantesques fichiers informatiques dont elles fournissent déjà certaines données aux autorités (cf. les données au PCC déjà cité ou celles fournies dans le cadre de feue la taxe sur les comptes-titres).

► Difficile à valoriser

« Quand bien même on aurait une vue parfaite sur le patrimoine de quelqu’un, encore faut-il lui donner une valeur. Combien vaut une maison ? Combien vaut un tableau ? Combien vaut une action qui fluctue de jour en jour en bourse ? », relève Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal à l’ULiège.

Bien sûr qu’il faut évaluer un patrimoine pour pouvoir le taxer, mais cela n’a rien d’insurmontable. La preuve, c’est que cela se fait déjà quotidiennement. Cela se faisait en France pour l’ISF, mais cela se fait en Belgique dans le cadre d’une succession : vous devez valoriser l’ensemble du patrimoine hérité. Et ce n’est pas le seul cas de figure. Vous achetez une maison ? Vous devez payer des droits d’enregistrement et le SPF Finances vérifie si le montant déclaré de la vente n’est pas sous-évalué. Vous achetez un tableau ? La compagnie d’assurance va estimer sa valeur. Quant aux actions en bourse, rien de plus facile puisque la spécificité de l’activité boursière est précisément de fixer la valeur des titres. Il suffit donc de définir quelle date est retenue pour fixer la valeur (par exemple le 31 décembre). Pour les sociétés non cotées en bourse, des méthodes de valorisation existent également (soit en prenant l’actif moins les dettes, soit en prenant un certain multiple des bénéfices, variable selon le secteur) et sont utilisées quotidiennement dans ce cadre des ventes d’entreprises ou des prises de participation.

► Fuite des capitaux

« Taxer les plus riches est le meilleur moyen de les faire fuir, défend Serge Wibaut professeur d’économie invité à l’UCLouvain. Regardez le nombre de français installés en Belgique pour cette raison. » Eric Dor ajoute : « Le problème d’un petit pays comme la Belgique dans une économie mondialisée, c’est d’être attractif. Il faut donc être très très prudent en taxant la fortune à ne pas faire fuir les capitaux. »

Encore une fois, le cas de la France mérite d’être approfondi. D’abord, si des grandes fortunes ont fui la France, c’est que l’ISF y était efficace (ce qui répond à une précédente objection). Deuxièmement, ce ne sont pas les capitaux qui fuient : il s’agit seulement d’un exode de domiciles fiscaux. La famille la plus emblématique de l’exil fiscal en Belgique, ce sont les Mulliez, actionnaires d’Auchan et d’une flopée d’autres enseignes commerciales. Or, leurs hypermarchés Auchan – leur « capital » – n’ont pas quitté la France pour venir en Belgique. La seule perte est donc l’ISF non payé par ces exilés. Et il est évident que l’absence d’ISF ne règle pas ce manque à gagner.

Par ailleurs, il faut noter la faible part des exilés fiscaux : à peine 1 % des redevables de l’ISF ont quitté la France.* Cela veut dire que 99 % ont continué à payer cet impôt. On rétorque parfois qu’il s’agissait des riches les plus riches. C’est vrai qu’ils étaient plus riches que la moyenne, mais ils ne représentaient que 2 % de la base taxable de l’ISF. Ce qui signifie que 98 % de la base taxable se trouvaient toujours dans l’Hexagone. Enfin, notons qu’une telle fuite (marginale) peut être contrée par une « exit tax », c’est-à-dire le fait de maintenir les exilés redevables de l’impôt même s’ils ont déplacé leur domicile hors des frontières.

► Capital déjà taxé

On taxe déjà les riches, affirme Sabrina Scarna : « La Belgique taxe déjà fortement le patrimoine. Quand vous achetez un bien immobilier vous payez un droit d’enregistrement, quand vous achetez une action en bourse vous payez une taxe sur les opérations boursières, quand vous décédez, vous payez des droits de succession sur ce que vous léguez. »

Effectivement, toutes ces taxes existent. Mais elles sont payées par la population, non par les plus riches. Les biens immobiliers sont typiquement le capital des gens ordinaires. La taxe sur les opérations de bourse est plafonnée, ce qui veut dire qu’elle est insignifiante sur de grosses opérations. Le précompte mobilier, qui frappe les revenus financiers, n’est pas payé par les grandes fortunes accumulant leur patrimoine en société. Et grâce à ce que l’on appelle pudiquement la « planification successorale », les très riches évitent largement les droits de succession.

► Pas d’objection de fond

Une fois évacués les contre-arguments – voire alibis – techniques, reste le débat de fond. Et là, bonne nouvelle : la RTBF souligne que « sur le plan moral, tout le monde est d’accord » avec l’idée de faire contribuer les plus riches.

« Ce serait non seulement fondé philosophiquement, mais surtout pertinent économiquement, argumente Eric Dor. Les petits revenus consomment l’entièreté de leurs ressources chaque mois. À plus forte raison s’ils ont gagné moins avec la crise. Si on les taxe plus, ils consommeront moins. Or, c’est ce qu’on recherche aujourd’hui, une relance de l’économie. Par contre, si vous retirez 1 000 euros à un milliardaire, ça ne va rien changer à sa consommation. »

Depuis les travaux de l’économiste français Thomas Piketty, « l’idée de faire contribuer les plus nantis percole indéniablement, reconnaît Marc Bourgeois. L’idée que la fiscalité est injuste, qu’elle doit être rééquilibrée se renforce. Et je pense qu’on va y arriver. Mais ça prendra du temps de préparation technique, psychologique, culturelle. »

Sauf que l’urgence sociale, accentuée par la crise du coronavirus, n’offre pas le luxe de fixer le rythme au gré de ceux qui vivent dans le luxe. Comme le relève Serge Wibaut, « les plus riches risquent d’encore s’enrichir car ils consomment et voyagent moins du fait des mesures actuelles, ils tirent des revenus des marchés financiers en hausse. Il ne serait, dès lors, pas choquant que les plus nantis contribuent plus que ceux qui en ont moins les moyens »...

 

Signez la pétition pour taxer les millionnaires

 

*Commission des finances du Sénat, cité dans Les expatriations fiscales au cœur du débat fiscal, 2e édition actualisée, Solidaires finances publiques, novembre 2012.