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On ne peut pas applaudir les héros de cette crise, puis les faire travailler jusqu’à 67 ans

« Je viens d’avoir 55 ans, et je travaille depuis trente ans dans les soins de santé, explique Gemma. J’ai de l’arthrose et des tendinites à la chaîne, dans les mains et les épaules. Je n’arrive pas à me dire que je devrai faire ça jusqu’à mes 67 ans. » C’est l’une des nombreuses réactions que j’ai reçues lorsque le gouvernement a annoncé qu’il balayait de la table la possibilité d’une pension anticipée pour les métiers pénibles.

Vendredi 9 octobre 2020

« On ne touchera en effet pas à l’âge symbolique de 67 ans, a déclaré Paul Magnette (PS) au journal De Standaard. Mais, plus important encore, l’âge réel de la pension ne changera pas ». En d’autres termes : ces 67 ans sont un « symbole » et, en réalité, la plupart des gens pourront prendre leur pension bien plus tôt. C’est la même fable que défendait à l’époque le gouvernement de la Suédoise : « Seule une personne sur dix devra travailler jusqu’à l’âge de 67 ans », assurait-il.

Mais est-ce exact ? Non, absolument pas. Il existe trois façons de prendre une pension anticipée. Et toutes les trois ont été rendues plus strictes ou supprimées.

L’accès à la pension anticipée a été reculé de cinq ans par le gouvernement Di Rupo. Le gouvernement Michel y a encore ajouté deux années de plus. En 2012, on pouvait prendre une pension anticipée après 35 ans de travail. Aujourd’hui, il faut avoir 42 ans de carrière au compteur. Une majorité de femmes n’y parviennent pas. Parce que les femmes travaillent moins ? Non, évidemment. Parce qu’elles ont encore majoritairement à leur charge les tâches ménagères, les soins aux jeunes enfants et aux parents âgés. À l’heure actuelle, les femmes ont une carrière de 36 ans en moyenne. Celles et ceux qui n’ont pas travaillé pendant 42 ans, ne peuvent pas arrêter à 63 ans. Elles ou ils doivent continuer de travailler jusqu’à 64, 65 et bientôt 66 ou 67 ans.

La deuxième façon de prendre une pension anticipée consiste à prendre sa prépension, ou RCC. Le gouvernement Di Rupo a considérablement relevé les âges à partir desquels on peut accéder à ces régimes, et le gouvernement Michel a introduit la disponibilité pour le marché du travail. Un∙e membre du personnel soignant qui prend sa prépension aujourd’hui recevra demain un SMS avec une nouvelle offre qu’il ou elle ne pourra pas refuser. L’attractivité du régime a été complètement sapée.

La troisième façon de prendre sa pension de façon anticipée consiste en la reconnaissance de la pénibilité de son métier. Le gouvernement précédent avait pris un engagement solennel à cet égard : une réglementation plus large verrait le jour, car de nombreux métiers sont évidemment trop pénibles pour être exercés jusqu’à l’âge de 67 ans. Cette promesse est maintenant balayée par la coalition Vivaldi. Beaucoup de gens se sentent doublement arnaqués : d’une part, par la promesse électorale des socialistes de n’entrer dans un gouvernement que si l’âge de la pension revenait à 65 ans, d’autre part, par les promesses brisées des libéraux et des démocrates chrétiens sur les métiers pénibles.

L’accord de la Vivaldi sur les pensions : beaucoup de bleu et peu de rouge

Si l’on prend en compte les programmes électoraux des différents partis concernant les pensions, les libéraux (et leurs deux anciens ministres des Pensions présents à la table des négociations) marquent le plus de points dans cet accord, et de loin. On ne change pas d’un iota la politique de la Suédoise consistant à travailler plus longtemps. Au contraire, la barre est placée encore plus haut : on vise un taux d’activité de 80 % à l’horizon 2030. Cela n’est possible que si nous « augmentons encore le taux d’activité et d’emploi des travailleurs plus âgés », indique l’accord gouvernemental.

On annonce également une généralisation des pensions professionnelles : 3 % du salaire brut pour tous les travailleurs. Ce point est lui aussi directement repris du programme électoral de l’Open VLD. Les pensions professionnelles alimentent principalement les caisses d’assureurs privés. Presque toutes les recettes sur les primes versées finissent dans leurs poches, et non dans celles des travailleurs. En outre, ces pensions sapent le financement des pensions légales, car les employeurs ne paient presque pas de cotisations sociales sur celles-ci.

Le « coefficient correcteur » pour les pensions des indépendants disparait. Un troisième point tout droit sorti du programme des libéraux. Ce coefficient corrige les cotisations sociales plus basses des indépendants. Pour chaque euro qu’un salarié cotise, la cotisation d’un indépendant est limitée à 70 centimes. Depuis des années, je réclame une meilleure pension pour les indépendants, à condition que la solidarité entre les grands et les petits indépendants soit restaurée. À l’heure actuelle, les plus grands ne paient pas de cotisations sociales sur leurs revenus professionnels qui excèdent 88 000 euros. Plus les épaules sont larges, plus la charge est faible ? Les salariés paient des cotisations sur leur salaire, sans limite, quel que soit le montant. Instaurons cela aussi pour les indépendants, et finançons ainsi une meilleure pension.

Un quatrième point concerne la pension minimum. La promesse de 1 500 euros se retrouve également dans le programme de l’Open VLD en matière de pensions. Mais pas 1 500 euros net, et certainement pas après 40 ans de carrière. Les partis de la Vivaldi sont parvenus à un accord sur cette version diminuée : une pension de 1 580 euros brut, seulement en 2024 et après 45 ans de travail. Sur quatre ans, l’inflation est grande. De plus, neuf femmes sur dix n’atteignent jamais 45 ans de travail. Et 1 580 euros bruts, ça ne correspond évidemment pas à 1 500 euros nets. « Nous n’aurions pas dû écrire brut ou net dans l’accord de gouvernement, a expliqué Paul Magnette au journal De Standaard. C’est pourquoi je dis désormais que nous augmentons les pensions de 20 % par rapport à l’index. Il s’agit de la plus grande augmentation jamais accordée. »

La plus forte augmentation jamais accordée, 20 % ? Nous investissons près de 50 milliards dans nos pensions chaque année. La coalition Vivaldi veut augmenter ce budget de 2 milliards d’ici 2024. Cela ne suffira jamais à augmenter les pensions de 20 %. Pour cela, 10 milliards seront nécessaires. De plus, les pensions minimums n’augmenteront pas de 20 %. Si nous éliminons l’inflation, et convertissons la promesse de 1 580 euros bruts en net, nous arrivons à la conclusion que les pensions minimums augmenteront d’environ 75 euros. Soit une augmentation de 5 à 10 %, et non 20 %. Ce n’est pas non plus la plus grande augmentation jamais octroyée. Le gouvernement de la Suédoise a augmenté les pensions minimums des salariés de 143 euros, et celles des indépendants de 205 euros. Donc une augmentation plus importante que ce que promet le gouvernement De Croo !

Un cinquième point de l’accord gouvernemental, directement issu du programme des libéraux en matière de pensions, concerne la poursuite du détricotage des périodes assimilées, telles que le chômage, la maladie, le congé parental, ou le crédit-temps. Certaines de ces périodes ne seront plus prises en compte dans le calcul de la pension minimum. En 2017, les socialistes avaient sorti les griffes - à juste titre - lorsque le gouvernement Michel avait remis en question la période assimilée pour les chômeurs âgés. Aujourd’hui, l’accord de gouvernement comporte un point similaire.

N’y a-t-il donc rien de « rouge » dans cet accord ? Si : la pension minimum est à nouveau augmentée. Chaque euro supplémentaire est une bonne chose. Notre revendication d’une pension minimum à 1 500 euros net, lancée il y a exactement trois ans, est aujourd’hui mentionnée dans l’accord gouvernemental. Mais si nous lisons les petits caractères en bas de page, il ne s’agit là que d’une coquille vide. Quant au bonus de pension accordé à ceux qui ont une très longue carrière, l’autre « trophée » rouge, celui-ci n’est malheureusement aussi qu’une coquille vide. En effet, il n’est accompagné d’aucun montant chiffré. Cette promesse est si vague qu’elle n’apparaît même pas dans le budget. Mais il nous reste une source consolation : nous continuerons à nous battre pour de meilleures pensions. Nous remettrons sur la table notre Loi d’initiative citoyenne, qui a rassemblé près de 180 000 signatures. Et nous veillerons à remplir ces coquilles vides.

Cherche : gouvernement qui écoute son peuple

L’écart de pension avec nos pays voisins s’élève à 50 %. Les travailleurs ayant exactement la même carrière et le même salaire reçoivent jusqu’à 600 euros de pension en plus dans nos pays voisins. 600 euros de plus chaque mois. La Belgique investit 10,5 % de son PIB dans les pensions légales. Le Danemark, la Suède, la France, l’Autriche et le Portugal investissent entre 12,5 et 15 % de leur PIB. Soit vingt à cinquante pour cent de plus.

Une majorité de pays en Europe n’obligent pas leurs citoyens à travailler jusqu’à 67 ans : l’Autriche, la Suisse, la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, le Luxembourg, le Portugal et huit autres pays européens n’ont jamais voté pour la pension à 67 ans. Le Canada, la Pologne et la Croatie l’avaient fait, mais ils sont depuis revenus sur cette décision. « C’était une mesure simpliste, qui a provoqué le malheur de beaucoup de gens, et n’a rien résolu : elle n’a pas créé d’emplois supplémentaires pour les jeunes, elle n’a pas amélioré la santé des citoyens, et n’a pas permis de partage d’expérience entre les plus âgés et les jeunes », a déclaré le Premier ministre canadien Justin Trudeau.

Le géant des ressources humaines Securex réalise un sondage tous les ans depuis quatre ans sur l’allongement des carrières. Le dernier sondage montre qu’à peine 26 % des Belges veulent travailler jusqu’à l’âge de 65 ans. Seule une personne sur dix est prête à continuer au-delà de 65 ans. « Nous devons petit à petit arriver à la conclusion que le fait de forcer les gens à travailler plus longtemps n’aide pas du tout », déduit Securex. Les résultats sont restés inchangés pendant quatre ans, malgré les mantras quotidiens des prophètes du vieillissement dans tous les journaux. Comment un gouvernement peut-il continuer à ignorer froidement une majorité aussi claire ?

« Si on ne travaille pas plus longtemps, les pensions deviendront infinançables », a déclaré le Premier ministre fraîchement désigné et ancien ministre des Pensions, Alexander De Croo. « Infinançable » : c’est le mot magique dans la bataille pour les pensions. Nous avons les pensions les plus basses d’Europe occidentale, et même celles-ci seraient infinançables ? Le Comité d’étude sur le vieillissement calcule les dépenses de sécurité sociale depuis vingt ans. En 2040, nous consacrerions 13,5 % de notre PIB aux pensions, et 13,3 % en 2070. En d’autres termes, beaucoup moins que ce que de nombreux autres pays dépensent déjà aujourd’hui.

Avec la crise du coronavirus, d’autres dépenses surviendront aussi, bien évidemment. Dans son dernier rapport, le Comité d’étude sur le vieillissement calcule toutes les dépenses de sécurité sociale. Les dépenses totales devraient augmenter de 2,8 % du PIB d’ici 2025. À titre de comparaison, pendant la crise précédente, entre 2008 et 2013, la part de la sécurité sociale dans le PIB avait augmenté de 3,8 %. Selon les prévisions du Comité, la crise financière et économique était donc un « choc » beaucoup plus important pour notre sécurité sociale que ne le sera la crise du coronavirus.

Il n’y aurait donc pas de problème, alors ? Si, quand même. Les revenus de notre sécurité sociale s’érodent. Les cotisations sociales que les employeurs doivent payer suivent l’exemple des calottes polaires : elles fondent. Selon le Bureau du Plan, les exonérations de cotisations patronales s’élèvent à 16 milliards d’euros par an. La dernière grande exonération a été le tax shift réalisé par le gouvernement Michel. Celui-ci a fait perdre six milliards d’euros à notre sécurité sociale, dont la moitié n’était pas financée. En d’autres termes, les caisses de notre sécurité sociale ont perdu trois milliards d’euros. Trois milliards de moins chaque année. Avec ce montant, nous aurions pu instaurer la pension minimum à 1 500 euros net, aujourd’hui et après 40 ans de travail.

Ces exonérations patronales - ces « allègements des charges », selon la terminologie libérale - n’ont pas donné lieu à des réductions de prix pour les biens et services. « Ces milliards ont été utilisés pour augmenter les marges bénéficiaires », affirme la Baque nationale. En conséquence, les versements aux actionnaires augmentent, de même que les inégalités de répartition des richesses.

La sécurité sociale est et restera parfaitement finançable si nous activons une petite partie des plus grandes fortunes, et si nous parvenons à faire croître à nouveau la productivité du travail. La productivité du travail, c’est le facteur le plus déterminant pour garantir la finançabilité de notre sécurité sociale à terme, selon l’économiste Gert Peersman (UGent). La productivité n’augmentera pas en faisant travailler plus longtemps les personnes âgées et les malades, au contraire. Elle augmentera si on investit dans l’enseignement, dans les transports publics, dans l’innovation, la recherche et le développement. Nous aurons ainsi une main-d’œuvre plus formée, moins d’embouteillages sur nos routes et un plan énergétique vert et finançable. Pour cela, il faut un gouvernement qui écoute son peuple, mobilise la société autour de tels projets et permet à sa population de se reposer en paix et en toute liberté. Ce qu’elle a amplement mérité après une vie d’intense labeur.

Kim De Witte est le spécialiste pensions du PTB. Il est également élu au Parlement flamand.