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Des licences obligatoires pour des médicaments moins chers ? Questions et réponses au sujet de la proposition de loi du PTB

Mercredi 29 juin 2022

Le PTB a déposé une proposition de loi portant sur les licences obligatoires pour les médicaments. (1) Le Centre fédéral d'expertise médicale (KCE) s'est penché sur la question et a publié un rapport à ce sujet le 14 juin 2022. (2)

Ces dernières années, les dépenses de l'INAMI en matière de médicaments ont augmenté plus que prévu, principalement en raison du coût excessif des médicaments de dernière génération. Le remboursement des médicaments innovants, dont l'efficacité est encore incertaine, se fait aujourd'hui de plus en plus, et pour des montants toujours plus importants, via des accords secrets passés entre le ministre de la Santé et les firmes pharmaceutiques.

Cependant, le prix extrêmement élevé de ces nouveaux médicaments ne correspond en rien aux coûts réels de développement pour les firmes pharmaceutiques. En réalité, celles-ci se contentent souvent de facturer le prix le plus élevé possible que les patients et les compagnies d’assurance maladie sont prêts à payer.

Afin de protéger la santé publique, ainsi que l'assise financière de la sécurité sociale et de l'assurance maladie, le PTB propose d'élargir le système de licences obligatoires existant.

Nous expliquons ci-dessous, point par point, pourquoi c'est une bonne idée.


1. Pourquoi le PTB préconise-t-il un système de licences obligatoires ?

En tant que collectivité, nous n'avons rien à dire par rapport au prix des médicaments. Les médicaments constituent pourtant un pilier de notre système de santé. Le gouvernement a donné les clés de la politique des médicaments au secteur privé, nous rendant ainsi totalement dépendants d’une poignée de multinationales pharmaceutiques. Cela mène aujourd'hui à une surtarification des médicaments. On pense ainsi au cas de la petite Pia, ou à l'exemple récent des médicaments contre la mucoviscidose. (3)

a. Un million de SMS pour le médicament hors de prix de la petite Pia

En septembre 2019, une vague de solidarité a déferlé sur le pays. La petite Pia avait été diagnostiquée comme étant atteinte d'amyotrophie spinale (SMA), une maladie neuromusculaire génétique et incurable pouvant entraîner la paralysie et la mort. Plus d'un million de SMS d’une valeur de deux euros ont été envoyés pour aider sa famille à acheter le Zolgensma, un médicament extrêmement coûteux nécessaire à l'enfant. La société pharmaceutique Novartis en demandait 1,9 million d'euros par dose. Le médicament a fait effet et, heureusement, la petite Pia se porte désormais bien. (4) (5)  Il est incompréhensible que des médicaments vitaux existent, mais coûtent si cher qu'ils ne sont pas accessibles aux enfants qui en ont besoin.

La ministre aurait pu intervenir en imposant une licence obligatoire sur ce médicament. Elle aurait pu obliger le titulaire du brevet à accorder une licence à un autre fabricant pour produire le médicament. Cela aurait pu faire baisser le prix du Zolgensma. Quoi qu'il en soit, l'histoire de la petite Pia a amené le PTB à déposer une proposition de loi visant à faciliter le recours aux licences obligatoires dans notre pays. Le Zolgensma est aujourd'hui remboursé, mais le prix que le gouvernement paie pour cela est inconnu, et probablement encore très élevé. (6) Une licence obligatoire pourrait encore faire baisser le prix de remboursement en octroyant à une autre firme le droit de produire le médicament.

b. Le budget médicaments dérape

Les caisses d'assurance maladie alertent depuis plusieurs années sur le prix excessif de certains médicaments. (7) (8) Ensemble, les dix médicaments les plus chers ont coûté près d'un milliard d'euros en 2019. C'est énorme, sachant que le budget consacré au remboursement de tous les médicaments représente environ 5 milliards d'euros par an. Ce top 10 se compose de médicaments pour des maladies rares et de nouveaux traitements contre le cancer, vitaux pour des pathologies qui touchent relativement peu de personnes. Les dépenses ont donc presque triplé en dix ans. En outre, de plus en plus de nouveaux médicaments sont remboursés via des accords confidentiels entre le ministre fédéral des Affaires sociales et les firmes pharmaceutiques.

c. Des prix élevés qui retardent la mise sur le marché de nouveaux médicaments prometteurs

Le Kaftrio, autorisé en Europe en 2020, est un nouveau médicament prometteur que les patients belges atteints de mucoviscidose attendent depuis des années. (9) (10) Son prix de remboursement est actuellement en cours de négociations. C'est la dernière étape avant que les patients atteints de mucoviscidose puissent enfin bénéficier d'une meilleure qualité de vie. Chez nos voisins, il est remboursé depuis un certain temps déjà, au point que certains patients belges ont déménagé à l'étranger pour y avoir accès. (11) Les prix de remboursement secrètement négociés dans tous ces pays tournent facilement autour de 120 000 euros par an et par patient. (12) Si la société pharmaceutique Vertex Pharmaceuticals peut demander un prix aussi élevé, c’est en raison de sa position de monopole, acquise grâce au système de brevets.

d. Personne ne sera en sécurité tant que nous ne le sommes pas tous

Depuis le début de la pandémie de coronavirus, la soif de profit de Big Pharma l'empêche de partager la technologie des vaccins. Et pourtant, il faut vacciner un maximum de gens aussi vite que possible, en Belgique et dans le reste du monde. Ces multinationales pharmaceutiques limitent la production et font grimper les prix. Nous avons toutefois consacré des milliards à la recherche, au développement et à l'achat des vaccins. Alors pourquoi doivent-ils être la propriété privée d'une firme pharmaceutique ? Nous voulons un vaccin sous contrôle public, sans but lucratif.

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2. Quel effet a une licence obligatoire ?

Le gouvernement peut accorder une licence obligatoire à un producteur local pour fabriquer un médicament breveté. Mais il peut aussi le produire lui-même. (13) L'entreprise pharmaceutique n'étant plus la seule à fabriquer le médicament, son prix va baisser, en moyenne de 60 % à 70 %. (14) Cela ouvre le marché, en quelque sorte. Une licence obligatoire peut également être utilisée uniquement comme moyen de pression pour obtenir un prix équitable pour un médicament lors de négociations avec une firme pharmaceutique. Le droit commercial international autorise les licences obligatoires. Ce principe est inscrit dans l'accord sur les ADPIC de l'Organisation mondiale du commerce.

a. Comment cela fonctionne-t-il ?

Le producteur doit d'abord avoir tenté de négocier une licence avec la firme pharmaceutique. En cas d'échec, le recours à une licence obligatoire est possible. Quoi qu'il en soit, la firme pharmaceutique qui détient le brevet du médicament original doit toucher une compensation raisonnable. En outre, l'octroi de la licence ne se limite pas à un seul producteur, mais à toutes les parties intéressées. Enfin, une licence obligatoire est temporaire.

b. Qu'est-ce que l'accord sur les ADPIC ?

Jusqu’aux années 1990, la protection des brevets s’arrêtait aux frontières nationales. Un brevet des États-Unis n’avait aucune valeur juridique en Inde ou au Brésil, par exemple. Puis, ces pays se sont mis à développer leurs propres industries et ont pu produire leurs propres médicaments, en toute légalité. Les géants pharmaceutiques étasuniens y ont vu une menace majeure pour leur chiffre d’affaires. Après une campagne de lobbying massive, la protection par brevet a été mise en place au niveau mondial. Sous une forte pression, 123 pays ont signé en 1994 l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). (15) Ils se sont ainsi engagés à faire respecter la protection des brevets sur leur territoire pendant au moins 20 ans. Produire et vendre un médicament dont on ne détient pas le brevet devient donc illégal. Les pays sont devenus plus dépendants d'une poignée de riches multinationales pour leurs médicaments.

c. Une licence obligatoire ne peut-elle s'appliquer qu'aux médicaments excessivement chers ? La licence obligatoire n'est-elle pas réservée aux cas où la santé publique est gravement menacée ?

Pas nécessairement. (16) (17) L'accord sur les ADPIC ne prévoit pas de liste de circonstances justifiant l'octroi de licences obligatoires. Il prévoit simplement des conditions telles qu'une urgence médicale ou un usage public non commercial pour pouvoir invoquer une procédure raccourcie (sans devoir au préalable négocier une licence volontaire).

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3. Une licence obligatoire révoque un brevet, mais qu'est-ce qu'un brevet ?

Un brevet donne à une firme pharmaceutique le droit exclusif de commercialiser un médicament. Le lobby pharmaceutique prétend que c'est nécessaire pour stimuler l'innovation. Un brevet assure à la firme qui le détient une position de monopole pendant au moins 20 ans. Nulle autre n’est autorisée à produire ni commercialiser le médicament, et la firme pharmaceutique est libre de fixer le prix de manière entièrement unilatérale. (18) (19) En effet, il n'existe pas de concurrents susceptibles de proposer le même médicament moins cher.

a. Comment cela fonctionne-t-il ?

Si vous avez une idée géniale et que vous pensez être le premier à l'avoir, vous pouvez associer cette idée à votre nom. Cette idée peut porter sur un nouveau médicament. Si vous la décrivez en détail par écrit et la bétonnez en signant un contrat avec le gouvernement, cela empêche quiconque de copier, utiliser ou importer votre idée. C'est dommage, surtout lorsqu'il s'agit de médicaments qui sauvent des vies. Pour envisager un brevet, il faut que l'idée ou l'invention soit :

• nouvelle, c'est-à-dire qu'elle n'a jamais été décrite avant la demande de brevet ;
• inventive ou jugée par un expert comme n'allant pas de soi ; et
• susceptible d'être mise en œuvre de manière industrielle ou fabriquée en usine.

Un office des brevets examine si la demande de brevet répond à ces critères. Le brevet est alors valable pendant 20 ans. Cette période commence à la demande de brevet et dure tant que la firme s'acquitte annuellement des taxes de maintien en vigueur de son brevet.

b. Les médicaments font l'objet de règles supplémentaires

Le secteur pharmaceutique a fait pression pour que les brevets sur les médicaments soient encore renforcés. Une demande de brevet prend généralement plusieurs mois ou années, mais les études cliniques nécessaires pour vérifier l'efficacité et la sécurité d'un médicament nécessitent généralement plus de temps. En Europe, il est possible de demander un CCP (« certificat complémentaire de protection »), qui prolonge la durée d'un brevet de cinq ans supplémentaires. Lorsqu'un médicament est breveté pour le traitement d'une maladie autre que celle initialement prévue, un délai supplémentaire de trois ans est ajouté. Le géant pharmaceutique suisse Novartis applique cette stratégie, entre autres, pour l'imatinib (Glivec), un médicament utilisé dans le traitement de diverses formes de leucémie. (20) Le droit des brevets prévoit aussi bien d'autres règles spéciales. (21) Par exemple, aux États-Unis, une firme pharmaceutique peut interrompre les recherches d'un fabricant de médicaments génériques pendant 2,5 ans. Tout cela fait que les brevets de médicaments ont souvent une validité très longue.

c. Une entreprise peut-elle prolonger l'effet de son brevet ?

Oui, elles ont souvent recours à l'« evergreening », ce qui leur permet de protéger les branches les plus rentables de leur gamme de médicaments. L'evergreening consiste à breveter à nouveau une forme légèrement différente d'un médicament existant, en modifiant le dosage, le mode d'administration, voire simplement le goût. (22) Par exemple, le premier brevet du produit phare de Sanofi, l'insuline Lantus, a expiré en 2015. Toutefois, Sanofi a pu obtenir de nouveaux brevets, ce qui lui permet de conserver l'exclusivité sur ce médicament pendant 37 années supplémentaires. Ces brevets ne portent plus sur le médicament lui-même, mais, par exemple, sur le stylo injecteur utilisé pour administrer l'insuline aux diabétiques. (23)

d. Les brevets ont-ils toujours existé ?

Jusqu'à la fin du siècle dernier, de nombreux pays excluaient les brevets sur les produits pharmaceutiques afin de garantir l'accès aux médicaments et leur caractère abordable. (24) Cela a permis à des pays comme l'Inde ou le Brésil de développer leurs propres industries pharmaceutiques, ce qu'ils estimaient important pour leur développement. Chaque pays pouvait décider individuellement d'autoriser ou non les brevets sur les médicaments. . Toutefois, cette dérogation a été supprimée pour les pays membres de l'Organisation mondiale du commerce le 1er janvier 1995 en raison de l'accord sur les ADPIC.

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4. Si les licences obligatoires sont déjà possibles, pourquoi la proposition de loi du PTB est-elle encore nécessaire ?

Le PTB défend depuis des années l'application de licences obligatoires aux médicaments dont les prix sont exorbitants. Le dérapage actuel du budget consacré aux médicaments accentue encore l'urgence de ce besoin. Cette proposition de loi modifie les règles existantes pour qu'il soit plus facile d'imposer des licences obligatoires sur les médicaments.

a. Comment faciliter l'application d'une licence obligatoire sur les médicaments ?

La loi belge offre déjà la possibilité d'imposer des licences obligatoires. L'initiative de lancer une telle procédure revient toutefois à une entreprise ou à un centre de recherche qui doit prouver qu'il est en mesure de produire le médicament concerné. C'est aussi une décision qui doit être prise par l'ensemble du gouvernement et qui implique une procédure aussi lourde que lente. Le PTB veut modifier la loi pour permettre au ministre de la Santé d'imposer de sa propre initiative des licences obligatoires sur un médicament. Par exemple, lorsque l'on est en droit de supposer que les prix de vente de ce médicament sont disproportionnés par rapport à leur coût de production.

b. Cette proposition de loi va-t-elle suffire à elle seule ?

Certainement pas ; il y a de nombreux autres obstacles à surmonter pour fournir des soins de santé de qualité et abordables à la population. Le PTB reste en contact avec des experts et des patients pour tenter de trouver avec eux un meilleur système.

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5. Les licences obligatoires sont-elles une nouveauté ? En utilise-t-on déjà ?

La possibilité d'y recourir n'est pas nouvelle. Divers gouvernements dans différentes parties du monde ont déjà eu recours aux licences obligatoires pour rendre des médicaments plus accessibles. (25)

a. Qui a utilisé une licence obligatoire par le passé ?

• En Inde et au Brésil, l'utilisation de licences obligatoires a contribué à aider les fabricants locaux de médicaments génériques à se développer. (26)

• En Afrique du Sud, la pandémie de VIH a exacerbé le conflit entre les intérêts des grandes entreprises et la santé publique. Des milliers de personnes mouraient chaque jour du sida. Les inhibiteurs du sida existaient, mais étaient beaucoup trop chers et les entreprises détentrices des brevets refusaient de baisser leurs prix. Le gouvernement a voulu importer d'Inde des inhibiteurs du sida génériques, moins chers, en s'appuyant sur une licence obligatoire.

• Depuis 2006, la Thaïlande a délivré un total de sept licences obligatoires pour plusieurs inhibiteurs du sida, des médicaments contre le cancer et un anticoagulant brevetés. (27) (28) Par exemple, le gouvernement thaïlandais a autorisé les fabricants de médicaments génériques à passer outre le brevet sur l'Efavirenz, un inhibiteur du sida produit par la firme étasunienne Merck Sharp and Dohme. Les brevets sur le Kaletra, un inhibiteur du sida fabriqué par la société Abbott (également sise aux États-Unis), sont également passés à la trappe. La Thaïlande souhaitait également importer une version indienne bon marché du Plavix, un anticoagulant fabriqué par la société française Sanofi-Aventis et utilisé pour les maladies cardiaques. (29)

• Le gouvernement malaisien a délivré en 2017 une licence obligatoire pour l'achat du sofosbuvir générique de Pharco en Égypte, un médicament contre le virus de l'hépatite C (VHC). Gilead, le détenteur du brevet, avait auparavant exigé pour son médicament un prix excessif de 12 000 euros par patient. (30)

• Début 2020, le Parlement chilien a adopté à l'unanimité une résolution autorisant le recours aux licences obligatoires pour les vaccins et les médicaments contre le covid. (31)

• Un an plus tard, en 2021, l'Équateur octroyait une licence obligatoire pour le Raltégravir (un médicament pour traiter le sida commercialisé sous le nom d'Isentress par Merck) à un fabricant de génériques. (32) Là-bas, ce médicament destiné à traiter les infections au VIH est très important en matière de santé publique.

b. Les licences obligatoires ne sont-elles pas réservées aux pays pauvres ?

Les experts affirment souvent que les licences obligatoires concernent avant tout les pays pauvres. En effet, jusqu'ici, elles ont été utilisées principalement par des pays comme l'Afrique du Sud, l'Inde... dont la production générique est importante et qui comptent peu d'entreprises innovantes. Pourtant, en Occident aussi, il existe déjà des exemples de licences obligatoires :

▪ Au Canada , de 1969 à 1992, avant l'entrée en vigueur de l'accord sur les ADPIC, le gouvernement appliquait une procédure très similaire à ce que nous appelons aujourd'hui l'octroi de licences obligatoires pour les médicaments. Au cours de cette période, le Canada a délivré 613 licences de ce type pour l'importation ou la production de médicaments génériques. Grâce à cette politique, le Canada était l'un des pays industrialisés où les prix des médicaments étaient les plus bas.

▪ L'Allemagne a délivré des licences obligatoires pour le Raltégravir (Isentress de Merck), en 2017 (33), et pour l'Alirocumab (Praluent d'Amgen) pour le traitement de l'hypercholestérolémie en 2019. (34)

▪ Au Royaume-Uni, environ 10 000 personnes sont atteintes de fibrose kystique. Les négociations sur le prix de remboursement de l'exorbitant Orkambi (122 000 euros par patient et par an) ont duré pas moins de quatre ans. Ce n'est qu'en 2019, quand un député a finalement agité le spectre d'une licence « Crown use », que le prix de remboursement a été négocié à la baisse. (35) (36)
Depuis la pandémie de coronavirus, les licences obligatoires refont parler d'elles dans les pays occidentaux riches. La Commission européenne semble vouloir améliorer et harmoniser la législation sur les licences obligatoires. Actuellement, si l'Europe avait vraiment besoin de licences obligatoires, la législation ne serait tout simplement pas prête. L'octroi coordonné de licences obligatoires au niveau européen permettrait d'effectuer des économies d'échelle par rapport à la situation actuelle où chaque État membre le fait de son côté.

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6. Mais qui va se lancer dans des recherches innovantes s'il n'y a aucun profit à en tirer ?

Selon les firmes pharmaceutiques, les brevets sont nécessaires pour garantir la rentabilité de leurs investissements en recherche et développement. Elles affirment que ces investissements sont énormes et risqués. L'octroi de licences obligatoires empêche cette garantie de rentabilité et compromettrait donc l'innovation dans le secteur des médicaments, concluent-elles. Mais est-ce réellement le cas ?

a. Ce sont pourtant bien les firmes pharmaceutiques qui innovent en matière de nouveaux médicaments, non ?

Ce ne sont généralement pas les firmes pharmaceutiques elles-mêmes qui découvrent les nouveaux médicaments ou vaccins. Des nouveaux médicaments que les géants pharmaceutiques tels que Pfizer et Johnson & Johnson mettent sur le marché, ces derniers n'en ont découvert eux-mêmes que de 11 à 23 %. (37) Ces découvertes sont presque toujours le résultat d'années de recherche menées par des scientifiques passionnés, travaillant pour diverses universités, et financées par des fonds publics. (38) La stratégie des multinationales pharmaceutiques est très simple : elles écument le marché à la recherche des médicaments et des technologies les plus prometteurs et investissent des sommes considérables pour les acquérir. Les grandes entreprises biotechnologiques ou pharmaceutiques attendent que les premiers essais cliniques soient concluants pour sauter dans le train en marche. Elles achètent alors les brevets ou (le plus souvent) mettent la main au portefeuille pour racheter aux jeunes entreprises, aux spin-offs ou aux sociétés de biotechnologie les médicaments les plus prometteurs de leur portefeuille.

b. La recherche et le développement ne sont-ils tout de même pas extrêmement coûteux ?

Les études cliniques prennent du temps et demandent du travail. Ces études prouvent ou infirment l'efficacité d'un médicament. Les chercheurs de Louvain ont découvert que l'industrie pharmaceutique surestime souvent de manière flagrante les coûts de développement moyens dans sa communication. Ils ont établi que le coût moyen de la mise au point d'un nouveau médicament était près d'un milliard et demi de dollars inférieur aux allégations du secteur pharmaceutique. (39) Le problème est que les gouvernements ne connaissent souvent pas le coût exact du développement d'un nouveau médicament.

La baisse des prix des médicaments n'affaiblit pas non plus automatiquement l'innovation. Ce serait même plutôt le contraire, car cela permet d'évacuer tout incitant pervers du système. (40) L'OMS a analysé en 2018 les médicaments oncologiques et a conclu que des essais cliniques inutiles sont réalisés dans le domaine du cancer simplement parce qu'ils rapportent beaucoup. Tout cela mène l'industrie à se concentrer sur les médicaments avec lesquels elle peut faire de gros profits, plutôt que sur ceux qui sont nécessaires à la société. L'OMS en a conclu que des prix plus bas n'entravent pas toujours l'innovation, notamment parce que les prix ne sont pas liés aux coûts de la recherche, et que les rendements sont élevés.

c. L'exemple canadien n'a-t-il pas montré que les licences obligatoires font fuir l'industrie pharmaceutique ?

De 1969 à 1992, avant l'entrée en vigueur de l'accord sur les ADPIC, le Canada appliquait une procédure très similaire à ce que nous appelons aujourd'hui l'octroi de licences obligatoires pour les médicaments. Au cours de cette période, le Canada a délivré 613 licences de ce type pour l'importation ou la production de médicaments génériques. Grâce à cette politique, le Canada était l'un des pays industrialisés où les prix des médicaments étaient les plus bas. Pourtant, cette politique n'a pas eu d'effet négatif sur la croissance de l'industrie pharmaceutique au Canada, contrairement à ce que l'on entend parfois. (41) (42) Si elle s'est enrayée, c'est à cause de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de l'industrie pharmaceutique qui a promis d'augmenter ses investissements en recherche et développement, mais ne l'a jamais fait. Sous la pression des États-Unis, le Canada a abandonné sa politique de licences obligatoires pour appliquer l'ALENA. (43) L'abandon de ce système a fait s'envoler les prix des médicaments.

d. Une firme pharmaceutique n'obtient-elle rien en retour lorsqu'une licence obligatoire est appliquée ?

Si. Les accords sur les ADPIC stipulent qu'il doit y avoir une « compensation raisonnable ». Lorsque l'Équateur a délivré une licence obligatoire pour le Raltégravir (Isentress) en 2021 à un fabricant de génériques (44), le revenu moyen en Équateur a été pris en compte pour verser une redevance de 0,17 USD par comprimé au titulaire du brevet. Notre proposition de loi prévoit de laisser les fabricants faire des propositions en la matière, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres public. Cela pourra faire partie des critères de sélection d'un producteur plutôt qu'un autre.

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7. La Belgique n'est-elle pas trop petite pour prendre une mesure aussi radicale ? Cela ne devrait-il pas se faire plutôt au niveau européen ?

En effet, si la Belgique est seule à appliquer le système de licences obligatoires, cela entraînera un certain nombre d'obstacles conséquents, par exemple l'exclusivité des données et l’exclusivité commerciale réglementées par l'Europe. Une proposition de loi belge a-t-elle dès lors du sens, si la question doit de toute façon être réglée au niveau européen pour être en mesure de lancer la production ?

a. Qu'est-ce que l'exclusivité des données et l'exclusivité commerciale ?

Dans l'Union Européenne (UE), une entreprise qui met un nouveau médicament sur le marché peut conserver l'exclusivité des données pendant huit ans. (45) Pendant cette période, aucun autre fabricant ne peut utiliser les données de recherche du médicament original pour mettre son propre produit sur le marché. Au bout de cette période de huit ans, il faut compter une période supplémentaire de deux ans d'exclusivité commerciale (la « règle des 8 + 2 ») avant qu'un fabricant de génériques ne puisse mettre son produit sur le marché. Si une nouvelle application est identifiée pour un produit existant, on ajoute une année supplémentaire d'exclusivité commerciale. Selon les experts, ces règles d'exclusivité des données et commerciale du marché peuvent être invalidées à l'aide d'une dérogation. (46) (47)

b. Pourquoi, dès lors, déposer une proposition de loi belge ?

Cela vaut la peine que la législation belge soit en place afin de pouvoir l'appliquer directement le jour où elle sera vraiment nécessaire. Il faut ouvrir la voie.

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8. Pour quels médicaments le PTB souhaite-t-il recourir à l'octroi de licences obligatoires ?

Le PTB veut appliquer les licences obligatoires aux médicaments hors de prix. L'Europe a déjà établi des règles sur la manière de déterminer un prix jugé excessif. Les médicaments destinés à de petits groupes de patients sont bien souvent trop chers. En ce qui concerne les petits groupes, on peut envisager de prendre le contrôle de la production via la pharmacie d'un hôpital ou via des institutions universitaires. Une licence obligatoire peut également faire office de moyen de pression au moment de négocier le prix de remboursement.

a. Comment déterminer qu'un prix est excessif ?

Lorsque le traitement d'un enfant coûte aussi cher qu'une maison et que la firme pharmaceutique réalise plus de profit grâce à ce traitement que n'en fait l'industrie automobile, on se dit bien que le prix n'est pas juste. Le droit européen de la concurrence a déjà établi des règles pour déterminer les critères faisant qu'un médicament est jugé trop cher. (48) La surfacturation des médicaments résulte souvent de la position de monopole d'une firme pharmaceutique. Le droit de la concurrence a pour but d'empêcher ces monopoles, en encourageant une concurrence maximale et en maintenant ainsi les prix sous contrôle.

b. Qu'en est-il des médicaments destinés à un petit groupe de patients ? Qu'en est-il des médicaments orphelins ?

La production de médicaments orphelins est effectivement beaucoup moins intéressante pour un producteur en raison de l'étroitesse du marché. Les développeurs de ces médicaments peuvent d'ailleurs obtenir une exclusivité commerciale de 10 ans au sein de l'UE, ce qui fait d'eux les seuls à pouvoir commercialiser un médicament pour la maladie en question. (49) Il peut être plus intéressant de voir un pharmacien fabriquer lui-même un médicament orphelin que de délivrer une licence obligatoire pour un médicament breveté. Cette dérogation est intégrée dans le droit des brevets. Ce médicament peut ensuite être fabriqué en pharmacie ou à l'hôpital (sur ordonnance pour un patient). (50)

Néanmoins, une licence obligatoire est également intéressante lorsqu'il s'agit de négocier le prix de remboursement de médicaments orphelins. L'exemple de l'Orkambi au Royaume-Uni l'illustre parfaitement. Les négociations ont duré quatre ans, sans résultat, jusqu'à ce qu'un producteur de génériques se présente en juillet 2019. Le fait qu'une licence obligatoire soit possible dans la législation britannique a suffi pour que le fabricant original (Vertex Pharmaceuticals) baisse son prix. C'est donc un moyen de pression puissant.

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9. Existe-t-il des solutions alternatives au recours aux licences obligatoires ? Est-il possible de modifier plus fondamentalement le système de développement des médicaments ?

La licence obligatoire est un outil que nous voyons comme ultime recours. Des médicaments qui ont déjà été développés, produits et remboursés (ou s'apprêtent à l'être) peuvent être rendus abordables grâce à une licence obligatoire. Nous pouvons aussi changer les choses de manière plus fondamentale en reprenant le contrôle public beaucoup plus tôt dans le processus de recherche scientifique et de développement des médicaments.

Nous pourrions commencer par les médicaments et les vaccins qui sont vraiment essentiels pour notre santé publique. C’est un scénario d’avenir que le Centre fédéral d’expertise des soins de santé a recommandé dans son rapport 51 de 2016 qui, en collaboration avec un groupe de réflexion international, recherchait des solutions aux prix élevés des médicaments. Il est possible de conserver entre les mains du public les connaissances sur les médicaments et les vaccins que nous développons en grande partie avec des fonds publics. C'est la puissante position de monopole du titulaire du brevet qui met aujourd'hui les gouvernements hors-jeu. Une initiative à l'échelle européenne pourrait nous donner le pouvoir de changer de stratégie : Tim Joye, du service d'études du PTB, a élaboré une proposition concrète, que nous voulons baptiser Institut Salk européen, du nom de l'inventeur du vaccin contre la polio, Jonas Salk, qui a mis son vaccin à la disposition du monde entier, sans brevet.

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