Pourquoi les super-riches échapperont à la taxe sur les plus-values
Selon Vooruit, l’impôt sur les plus-values rend les impôts plus équitables en Belgique. « Enfin, les super-riches paient aussi leur part. » Mais ce n’est pas vrai. Ils ne gèrent généralement pas leurs actions directement mais par l’intermédiaire d’une société, qui ne sont pas soumises à la taxe sur les plus-values.

Le professeur de droit fiscal Michel Maus l’a clairement dit récemment à l’émission Terzake : « Les plus riches ont depuis longtemps transféré leur fortune dans des sociétés. Et celles-ci ne sont pas concernées par cette taxe. » Bruno Colmant, ancien chef de cabinet de Didier Reynders, est également critique : « L’impôt sur les plus-values de l’Arizona ne rapportera pas ce que l’on en attend. Il ne touche pas les plus riches, car ils ne vendent pas leurs actions. Ils les transmettent simplement à leurs enfants. »
L’impôt ne s’applique pas aux sociétés
Et c’est précisément là le problème. L’impôt sur les plus-values ne s’applique que si un particulier vend des actions. Mais les Belges les plus riches gèrent rarement leur argent en tant que particuliers. Ils utilisent des sociétés et des organismes d’investissement, tels que les family offices, pour investir et détenir des actions.
Et que constate-t-on ? Ces sociétés n’ont absolument pas à payer cette taxe sur les plus-values de l'Arizona. En principe, les sociétés doivent payer l'impôt sur les sociétés (25 %) sur leur plus-value. Mais en réalité, il existe une « faille » juridique pour les grandes entreprises et les holdings qui est si importante qu'elle laisse le champ libre aux super-riches pour contourner le système. Il s’agit de la dispense dite RDT (Revenus définitivement taxés). En clair, si vous avez suffisamment d’argent pour acheter au moins 10 % ou 2,5 millions d’euros d’une entreprise, vous n’avez absolument aucun impôt à payer sur le bénéfice que vous réalisez ultérieurement lors de la vente.
Ce n’est que si les super-riches vendaient eux-mêmes leur société d’investissement et encaissaient l’argent sur leur compte personnel qu’ils devraient payer la taxe sur la plus-value. Mais en réalité, ils ne le font jamais. Leur société personnelle ou familiale est justement le moyen qu’ils utilisent pour gérer leur capital et le transférer à leurs enfants de manière fiscalement avantageuse.
620 millions d’euros… et zéro d’impôt payé
Prenez l’exemple de la famille De Spoelberch, l’une des familles derrière AB InBev. En 2022, via leur société d’investissement Cobepa, ils ont vendu une entreprise allemande avec un bénéfice de 620 millions d’euros. Ils n’ont payé aucun impôt sur ce montant. Et cela ne changera pas avec la proposition actuelle de l’Arizona.
Ainsi, bien que Vooruit affirme que les gens « gagnent des sommes folles en bourse sans payer d’impôts », cela restera possible même avec leur proposition.
Selon une étude du PTB, nous perdons déjà environ quatre milliards d’euros de recettes fiscales chaque année via ces constructions, ce qui est bien plus que les 500 millions d’euros que le gouvernement d’Arizona espère collecter avec la taxe sur les plus-values. Comment peut-on alors affirmer qu’il s’agit d’un impôt « sans échappatoires », alors que précisément les plus riches peuvent contourner l’impôt en utilisant des sociétés ?
Est-il vrai que ce sont surtout les 1 % les plus riches qui paieront l’impôt sur les plus-values ? En théorie peut-être, en pratique absolument pas.
Vooruit affirme que la nouvelle taxe sur les plus-values touchera principalement les 1 % les plus riches. Ils se basent pour cela sur une étude du Service Public Fédéral (SPF) Finances. Selon le vice-Premier ministre Frank Vandenbroucke, 60 % des recettes de cet impôt proviendraient du 1 % le plus riche. Mais c’est une lecture très partielle de cette étude.
Ce que cette étude montre bien, c’est que les 1% les plus riches possèdent la plus grande partie des placements financiers performants (comme les actions). C’est exact : ils possèdent près de 40% de ces actifs. Il est donc logique qu’ils paient, en théorie, la plus grande partie de l’impôt sur les plus-values.
Mais l’étude ne vérifie pas comment les gens tentent d’éviter les impôts dans la pratique. Et c'est précisément ce que les plus riches font souvent le mieux.
L’étude ne tient pas compte de l’évasion fiscale du top 1%
L’étude prétend que tout le monde – riche ou moins riche – évite les impôts de la même manière. Mais ce n’est pas vrai. Quelqu’un qui réalise quelques milliers d’euros de bénéfices sur des actions a beaucoup moins de possibilités d’éviter l’impôt que quelqu’un qui réalise des millions d’euros de bénéfices via des sociétés ou des structures étrangères.
Par exemple, les riches peuvent conserver leurs actions via leur société d’investissement, ce qui leur permet de ne pas payer d’impôt sur les plus-values, même si la valeur de leurs actions augmente considérablement. Et tant qu’ils ne vendent pas les actions de leur propre société d’investissement, ils n’ont rien à déclarer. C’est différent pour les investisseurs ordinaires : ils ne tirent profit de leurs gains que lorsqu’ils vendent réellement – et c’est alors que l’impôt est dû.
Ce phénomène a été largement discuté dans la littérature internationale, comme par l’équipe du professeur français Gabriel Zucman. Il constitue une raison importante pour laquelle les impôts sur les plus-values, courants dans de nombreux pays, ne touchent pas les plus riches. L’étude du SPF Finances ne tient pas non plus compte de ce mécanisme.
La seule façon de faire réellement contribuer les riches est un impôt sur la fortune
La seule façon de toucher le top 1% sans échappatoire est de prendre en considération leur patrimoine total. Peu importe alors qu’ils détiennent des actions dans des entreprises ou en leur propre nom. Un impôt simple sur la fortune à partir de 5 millions d’euros est la meilleure garantie que le 1 % contribue réellement.
Certaines personnes et partis, comme Vooruit, affirment que si l’impôt sur les plus-values récemment proposé par le gouvernement d’Arizona avait été en vigueur en 2014, Marc Coucke aurait dû payer 10 % d’impôt (soit 145 millions d’euros) sur la plus-value de 1,45 milliard d’euros issue de la vente d’Omega Pharma, compte tenu de sa participation de plus de 90 % à l’époque.
Cependant, ce n’est pas exact. Le nouvel impôt sur les plus-values tel qu’il est actuellement proposé n’aurait fait aucune différence dans le cas de la vente d’Omega Pharma. Marc Coucke, comme à l’époque, n’aurait payé aucune ou très peu d’impôts sur la plus-value de cette transaction spécifique.
Que s’est-il passé exactement ? En 2014, l’entreprise pharmaceutique Omega Pharma, alors propriété de Marc Coucke, a été vendue à l’américain Perrigo. Marc Coucke a réalisé un bénéfice de 1,45 milliard d’euros à cette occasion. Une controverse a éclaté car Marc Coucke n’avait à payer "zéro euro d’impôts" sur ce bénéfice, étant donné que les plus-values sur actions pour les particuliers en Belgique étaient, jusqu’à récemment, non imposables.
Mais il y avait une particularité : la vente d’Omega Pharma n’a pas été conclue directement par Marc Coucke personnellement, mais par sa société d’investissement Alychlo, dont Marc Coucke et sa partenaire Nathalie Baeten sont les administrateurs. Le bénéfice de la vente est donc allé à Alychlo. Par la suite, Coucke a utilisé ce bénéfice pour acheter de nombreuses autres choses, comme sa participation dans Pairi Daiza.
Le nouvel impôt sur les plus-values pour les particuliers : le gouvernement d’Arizona a annoncé que les plus-values supérieures à 10 000 euros pour les particuliers seraient imposées à 10 %. Cependant, cet impôt ne s’applique pas aux sociétés, telles que la société d’investissement Alychlo.
Voici pourquoi : les grandes sociétés en Belgique, comme Alychlo, n’ont pas à payer d’impôts sur les plus-values lors de la vente de participations importantes. Ceci est rendu possible grâce au régime RDT (Revenus définitivement taxés) et des plus-values. Ce régime stipule que les plus-values sont exonérées d’impôts à condition que :
• Les actions sont détenues par la holding d’investissement depuis au moins un an, ce qui était le cas pour Omega Pharma, Coucke en étant propriétaire depuis longtemps.
• La filiale (dans ce cas, Omega Pharma) a payé ses impôts selon un régime fiscal normal, ce qui était le cas car Omega Pharma opérait en Belgique.
• La holding d’investissement détient une participation d’au moins 10 % ou de 2,5 millions d’euros dans la filiale, ce qui était le cas étant donné que Coucke en était l’actionnaire principal.
Le gouvernement d’Arizona ne change absolument rien à ce système. Le ministre des Finances, Jan Jambon, l’a encore confirmé devant la commission des Finances de la Chambre le mardi 1er juillet 2025.
Conclusion : le nouvel impôt sur les plus-values du gouvernement d’Arizona ne change absolument rien à une affaire comme la vente d’Omega Pharma par la société d’investissement de Marc Coucke, Alychlo. Marc Coucke, tout comme à l’époque, pourrait payer 0 euro d’impôt sur la plus-value de cette transaction.
Le nouvel impôt laisse intacts les 1 % les plus riches, car ils gèrent généralement leur patrimoine et leurs participations via des sociétés d’investissement qui relèvent de l’impôt sur les sociétés et peuvent bénéficier de l’exonération sur les plus-values lors de la vente de participations importantes.
Conner Rousseau de Vooruit affirme haut et fort que désormais, il est fini que quelqu’un puisse réaliser des centaines de millions de plus-values sans payer d’impôts. Comme nous l’avons démontré plus haut avec l’exemple de Marc Coucke, ce n’est pas vrai. Les plus-values de cette envergure sont gérées par des sociétés d’investissement, personne ne le fait en son nom personnel.
C’est tout d’abord loin d’être un exemple de fiscalité équitable. Ces plus-values non imposées sont en effet utilisées pour réaliser de nouveaux investissements, et y générer à nouveau le plus de profits possible. Pour reprendre l’exemple de Coucke : c’est grâce aux millions de bénéfices qu’il a réalisés lors de la vente d’Omega Pharma qu’il a pu ensuite acheter une partie de Pairi Daiza, ou qu’une grande partie du village wallon de Durbuy est maintenant sous son contrôle. S’il vend un jour ces participations avec une plus-value, aucun impôt ne sera à nouveau payé sur ce montant. De cette façon, il peut accumuler du capital année après année dans sa société d’investissement Alychlo sans payer beaucoup d’impôts.
Si un super-riche faisant partie du 1 % veut faire autre chose avec cet argent que d’investir dans de nouvelles entreprises, comme acheter une voiture de luxe, cela peut parfois, mais pas toujours, être fait directement par la société d’investissement. Bien qu’ils essaieront de loger les biens immobiliers de la famille quelque part et de déclarer tout ce qui est de près ou de loin lié à la « gestion » de la société comme frais professionnels, le fisc n’acceptera pas tout. Dans ce cas, il est possible que Coucke doive payer un impôt sur les « avantages de toute nature » dans son impôt des personnes physiques pour une voiture mise à sa disposition par la société pour des déplacements privés. « Ou encore un classique, la maison ou l’avion se trouve dans la société familiale. Là, vous ne payez que des avantages de toute nature », déclare le professeur de droit fiscal Michel Maus à ce sujet dans le Nieuwsblad. « C’est ainsi que cela fonctionne dans ce monde. »
Enfin, pour les investissements privés plus importants, les super-riches disposent de possibilités que personne d’autre ne possède. Ils sont les clients privilégiés des banques et autres institutions financières. Cela leur permet d’emprunter de l’argent presque gratuitement, en utilisant les actions de leurs entreprises comme garantie. Oxfam décrit cela dans son rapport « La Loi du Plus Riche » comme suit :
« Vous pouvez envisager la stratégie "acheter, emprunter, mourir" pour éviter l’impôt sur le revenu.
Achetez d’abord un actif, comme une entreprise. Mais au lieu de vous verser un salaire de l’entreprise, sur lequel vous devriez payer des impôts, pourquoi ne pas emprunter de l’argent à une banque ou à un tiers en utilisant la valeur de cet actif comme garantie ? Les prêts sont en effet exonérés d’impôts ! Il est également facile pour vous d’obtenir du crédit, car vous êtes déjà très riche.
Cependant, n’oubliez pas de ne vendre aucun de vos actifs. Sinon, vous générerez un revenu de plus-value qui sera probablement imposé. Au lieu de cela, vous pouvez profiter du fait que la plupart des pays n’imposent pas les plus-values non réalisées. Ainsi, votre actif peut augmenter en valeur, et cette valeur supplémentaire est entièrement la vôtre et non imposée tant que vous ne la vendez pas. Par exemple, si le cours de l’action Amazon double, Jeff Bezos gagne des milliards de dollars. Mais parce que ce gain n’est pas légalement considéré comme un revenu, aucun impôt n’est dû tant que M. Bezos ne vend pas d’actions.
Après une vie heureuse, en vous relaxant sur votre super-yacht, vous devriez être en mesure de transmettre tout votre patrimoine – ou la majeure partie – à vos héritiers sans impôt lorsque vous mourrez. En effet, deux tiers des pays du monde n’ont pas d’impôt sur les successions sur l’argent que vous donnez à vos enfants, et les autres pays ne l’imposent que faiblement. Cela signifie que vous pouvez réellement accumuler un patrimoine familial sur plusieurs générations et faciliter la tâche de vos héritiers pour éviter les impôts exactement de la même manière que vous. »
Cela s’applique également à la Belgique, car la taxe sur les plus-values de l’Arizona laisse également les plus-values non réalisées intactes. Ainsi, bien qu’il puisse arriver que les plus riches paient un peu d’impôt sur le revenu des personnes physiques lorsqu’ils se font verser un salaire par leur société d’investissement, ou paient un peu d’impôt sur les « avantages de toute nature » pour les biens mis à leur disposition par l’entreprise – comme toute personne ayant une voiture de société, par exemple – la majeure partie de leurs bénéfices reste non imposée. C’est précisément pourquoi le professeur De Coster et son équipe ont calculé que le 1 % le plus riche ne ressent qu’une pression fiscale de 24 %, tandis que pour le Belge moyen, elle est de 43 %. Et l’impôt sur les plus-values ne changera pas grand-chose à cela.