Aujourd’hui, après plus de 400 jours sans gouvernement, De Wever et Magnette sont chargés par le Roi d’en former un. Chacun affiche sa volonté de prendre en main la crise du coronavirus, et prétend avoir un plan de relance. Pourtant, une nouvelle réforme de l’État, qui va à l’encontre d’une bonne gestion de crise, fait partie de leurs premières priorités.
Du côté de la droite nationaliste, les intentions sont claires : « Notre pays est totalement caduc sur le plan institutionnel », affirme Bart De Wever. « Nous devons arriver à une Belgique 2.0 avec des paquets de compétences homogènes. Pour nous, ces compétences doivent être à 100 % au niveau des entités fédérées ». De Wever envisage de scinder la santé d’abord. Il promet, en échange, des concessions au niveau social.
Du côté de la social-démocratie, Magnette prétend à la fois défendre la sécurité sociale et négocier une nouvelle réforme de l’État (car notre État est trop compliqué). Dans une vidéo diffusée le 20 juillet, Magnette se pose en protecteur des francophones du pays : « Réformer l’État, c’est aussi pour protéger les Wallons et les Bruxellois, et le PS, parce qu’il est le premier parti en Wallonie et à Bruxelles, est le seul qui puisse les défendre. »
Le 25 novembre 2019, l’informateur royal Magnette tweetait pourtant : « Nous travaillons pour tous les Belges. Quand on parle de pensions trop basses, de lutte contre la pauvreté, tout le monde est concerné, au Nord comme au Sud. Je crois en la réussite d’un projet fédéral positif. »
En neuf mois, Magnette a pris la roue de De Wever, en se faisant le défenseur de « sa » communauté linguistique. C’est incompréhensible. D’autant que, pour la N-VA, cette réforme de l’État devient une question de survie. Le parti est en perte de vitesse face au Vlaams Belang. Former un gouvernement fédéral en s’assurant d’obtenir davantage de compétences pour la Flandre constitue, pour les nationalistes, la dernière manière d’apposer leur marque.
1. Invoquer la crise du coronavirus pour pactiser avec la N-VA ? Absurde.
Pour justifier l’ouverture de négociations avec De Wever, Magnette prétexte « l’absence de plan d’urgence ». Pour lui, il faut un gouvernement pour répondre à un retour possible de l’épidémie. Pourtant, les objectifs de De Wever vont à l’encontre d’une gestion efficace d’une seconde vague.
En effet, quelle est la leçon que nous pouvons tirer de la crise aujourd’hui ? Que nous avons besoin d’une gestion centralisée au niveau fédéral. Et que, dès lors, nous devons refédéraliser les compétences de la santé. Dans tous les autres pays fédéraux, la crise du coronavirus provoque un retour de certaines compétences au niveau national. Lorsqu'il est apparu clairement que la réaction face à la pandémie était trop lente et inégale, les cantons suisses ont cédé une partie de leurs compétences en matière de soins de santé au gouvernement fédéral. Fin mars, l'Allemagne a adapté sa législation de lutte contre les maladies infectieuses, de sorte que les directives nationales ont dû être suivies par tous les Länder. Enfin, en Espagne, le gouvernement central a également repris le contrôle de l'ensemble du système de santé.
Or, De Wever veut faire le contraire. Il veut scinder. Absurde et inefficace.. Par exemple, le coronavirus a révélé que, d’un bout à l’autre du pays, les résidents et le personnel des maisons de repos étaient confrontés exactement aux mêmes problèmes, et avaient les mêmes besoins et préoccupations. Pourtant, la stratégie de testing dans une maison de repos à Overijse sera différente de celle d'une maison de repos située à Wavre, à dix kilomètres de là, parce qu’elles se trouvent dans deux Régions différentes et relèvent des gouvernements régionaux.
Par ailleurs, comment organiser le suivi des contacts en cas de contamination d'un ouvrier flamand qui travaille dans l'usine Audi Forest à Bruxelles, quotidiennement en contact avec des collègues wallons ? Cela implique trois autorités et agences différentes, chacune ayant sa propre stratégie. Une inefficacité dangereuse, comme on le voit depuis le début de la crise, où les réunions interministérielles entre fédéral et Régions ont fait perdre un temps précieux dans la lutte contre l’épidémie.
Des dizaines de personnalités du monde de la santé, francophones et néerlandophones, comme Emmanuel André et Marc Van Ranst, l’écrivaient déjà en juin dans une carte blanche collective : « Une réforme des soins de santé devrait se concentrer sur les 11,5 millions de patients belges potentiels. La crise du coronavirus nous a appris que le morcellement des compétences est un handicap. Il est étrange de plaider maintenant pour encore plus de morcellement. Le fait que même les plus grands partisans de la scission aient mis la balle dans le camp du gouvernement fédéral pendant la pandémie montre que ce dernier est le gouvernement le plus approprié pour prendre en main les soins de santé, même dans des circonstances normales. »
2. Scinder les soins de santé sans toucher à l’unité de la sécurité sociale ? Impossible.
Selon Magnette, la « structure institutionnelle est devenue trop complexe et source d'inefficacité de l’action publique ». Pourtant, le président du PS ne parle pas du tout de refédéraliser. D’ailleurs, pour De Wever, il n’en est pas question. Il évoque une nouvelle et vaste réforme de l’État, négociée avec le PS, et une scission des soins de santé.