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La Taxe des millionnaires dans « Au pays des profiteurs »

Il y a un tabou dans notre pays. Dès qu’il s’agit de chercher de l’argent, le gouvernement s’empresse de couper dans les pensions ou d’augmenter les accises sur nos factures d’énergie. Mais malgré les grandes déclarations de certains, il n’ose jamais s’attaquer aux ultra-riches. En 2017, dans son livre « Au pays des profiteurs », Peter Mertens, secrétaire général du PTB, brisait ce tabou et expliquait comment – et pourquoi – il est temps d’enfin taxer les riches.


 

Vendredi 28 avril 2023

Couverture du livre Au pays des profiteurs

Il y a un tabou dans notre pays. Dès qu’il s’agit de chercher de l’argent, le gouvernement s’empresse de couper dans les pensions ou d’augmenter les accises sur nos factures d’énergie. Mais malgré les grandes déclarations de certains, il n’ose jamais s’attaquer aux ultra-riches. En 2017, dans son livre « Au pays des profiteurs », Peter Mertens, secrétaire général du PTB, brisait ce tabou et expliquait comment – et pourquoi – il est temps d’enfin taxer les riches.

La taxe des millionnaires, j’voudrais bien, mais j’peux point ?

« Aujourd’hui, nous approchons de l’heure de vérité pour ceux qui disent qu’ils veulent surtout faire contribuer les riches. Car la vraie question est : comment ? Je vous l’affirme : il n’y a pas de réponse à cette question. Et j’irai même plus loin : toute proposition qui fera contribuer le 1 % des plus riches sera appuyée par la N-VA. Sans réserve et avec enthousiasme. Seulement, je ne les ai jamais vues, ces propositions, car elles n’existent pas. » Voilà de bien grands mots prononcés par le président de la N-VA, Bart De Wever, lors d’une interview pour le journal L’Écho à la fin mai 2015.

Bart De Wever ne sait plus où donner de la tête. Il est président du plus grand parti du pays, bourgmestre de la deuxième ville du pays, député fédéral, administrateur du port d’Anvers et a encore treize autres mandats. De Wever est le président le plus cumulard du pays. Je peux donc comprendre qu’il ait oublié notre entretien de la fin mai 2014. Il était alors informateur, et c’est dans ce cadre qu’il avait reçu le PTB. Nous avons longuement parlé de la taxe des millionnaires. L’informateur nous a explicitement demandé en quoi le système consistait. Le lendemain, la presse a publié un compte rendu de notre discussion. J’ai déclaré à un journal : « La N-VA affirme être un parti social. L’heure de vérité a à présent sonné. » J’ai expliqué à De Wever que notre taxe des millionnaires ne s’adresserait qu’aux 2 % des plus riches, et pas à la classe moyenne. C’est aussi l’une des grandes différences avec toutes les autres propositions d’impôt sur les bénéfices de la fortune avancées par les verts et les sociaux-démocrates, qui concerneraient entre 10 et 15 % de la population et donc aussi la classe moyenne. Un an plus tard exactement, De Wever a oublié notre entretien. Seul le slogan de « l’heure de vérité » lui est resté en tête.

« Une grande majorité de Belges est favorable à un impôt sur la fortune. Il est curieux que la classe politique belge ne suive pas cette majorité. Je ne peux qu’en conclure que l’influence politique des grosses fortunes est forte en Belgique », écrit le professeur Paul De Grauwe. Le professeur a raison. Une enquête récente a démontré que 85 % de la population estiment que le gouvernement « doit faire davantage pour lutter contre l’inégalité ». La proposition ayant reçu le soutien le plus important est celle de l’impôt sur les fortunes de plus d’un million, qui a reçu 85 % des suffrages. En d’autres termes, selon un sondage, pas moins de 85 % de nos compatriotes sont favorables à une taxe des millionnaires telle que le PTB la propose. L’idée à la base de notre taxe des millionnaires est simple. Il s’agit d’un impôt sur le patrimoine, sur la fortune. Sans constructions fiscales compliquées, sans textes de loi truffés d’échappatoires et autres niches fiscales. Une taxe sur la fortune qui ne s’adresse qu’aux super-riches, et non un impôt compliqué sur les revenus touchant 10 ou 15 % de la population. Ce n’est pas un nouvel impôt sur les personnes qui, au cours d’une vie de travail, ont pu petit à petit mettre de côté, ou sur ceux qui ont hérité une maison de leurs parents ou grands-parents, mais un impôt qui ne vise que le patrimoine des multimillionnaires.

En quoi consiste la taxe des millionnaires ? La taxe ne frappe que les fortunes de plus d’un million d’euros, avec une exonération pour la maison d’habitation à concurrence de 500 000 euros. Il s’agit d’un impôt progressif assorti d’un taux d’imposition maximum de 3 % : 1 % sur la quotité de la fortune dépassant le million d’euros, 2 % sur la part dépassant les 2 millions d’euros et 3 % sur la partie excédant les 3 millions d’euros. La taxe ne s’applique pas aux fortunes de moins d’un million d’euros. En outre, la maison d’habitation est exonérée à concurrence de 500 000 euros. Concrètement, la tranche non imposée se monte dans la plupart des cas à 1,5 million d’euros.

Nous considérons qu’il est essentiel que seule la couche supérieure des 2 ou 3 % les plus riches soit concernée, et non la classe moyenne. En effet, ce sont précisément les plus riches qui concentrent le plus de richesses. Le livre du professeur Piketty le prouve et c’est également le cas dans notre pays. C’est pourquoi nous n’avons pas intitulé notre proposition de loi « impôt sur la fortune », car nous ne voulons pas toucher au patrimoine de la classe moyenne. Nous avons appelé l’impôt « taxe des millionnaires » car nous ne voulons viser que les 2 % les plus riches. Nous étayons et développons tout ceci dans notre proposition de loi.

Pourtant, des présidents de parti tels que Bart De Wever et Gwendolyn Rutten continuent à affirmer obstinément qu’il n’existe aucune solution qui ne toucherait que la couche supérieure. Au début, ces affirmations m’énervaient passablement. Ce n’est pas honnête, pensais-je naïvement. Et puis, ça a fait tilt : il ne s’agit que d’une question de perception. Si vous parvenez à faire croire à la population que toutes les propositions toucheront la classe moyenne, le soutien à l’égard d’un impôt sur la fortune va fondre comme neige au soleil.

« J’entends des slogans tels que ‘‘faites payer la crise au pour cent le plus riche’’. Je réponds : bien, mais, en réalité, un impôt sur la fortune frapperait à nouveau la classe moyenne. Autrement, il ne rapporterait rien. Et, dans ce cas, ce sont toujours les mêmes qui sont imposés. J’y suis résolument opposée », raconte Gwendolyn Rutten. Le Premier ministre, Charles Michel, tient le même discours : « Je n’ai aucune difficulté à dire que les personnes qui ont plus de moyens devraient contribuer plus par l’impôt, mais pas par des mesures inefficaces qui n’ont d’autre intérêt que de se faire applaudir triomphalement dans une assemblée du PTB. » Je ne possède pas d’applaudimètre, je laisse cela aux jeux télévisés, mais je voudrais passer en revue les six contre-arguments les plus répétés qui se déclinent derrière ce refrain de la bonne du curé, j’voudrais bien, mais j’peux point..., pour ne pas introduire la taxe des millionnaires.

1er contre-argument : « Taxer le 1 %, c’est une expropriation »

J’ai eu l’occasion de croiser le fer lors d’un débat télévisé avec le bourgmestre de Courtrai, le libéral Vincent Van Quickenborne. Le débat a commencé sur le thème d’une fiscalité équitable, et lorsqu’ont été prononcés les mots de « taxe des millionnaires », Van Quickenborne a lancé, dédaigneux : « Une vieille idée communiste, un impôt confiscatoire fondé sur un fantasme d’expropriation ! » Tout ça en seule phrase : « vieux », « communiste », « confiscatoire », « fantasme » et « expropriation », rien que ça.

Fantasme ? Expropriation ? L’histoire nous apprend tout autre chose. En réalité, on constate que la taxation des riches a toujours connu, historiquement, des flux et reflux. Jusqu’à la vague néolibérale reagano-thatchérienne déferlant à partir des années 1980, la taxation des riches est une évidence dans de nombreux pays. Y compris dans l’Eldorado du capitalisme, les États-Unis où, pendant un demi-siècle, de 1936 aux eighties, les revenus des plus riches sont taxés à un taux fluctuant, allant de 70 % à 91 %. Et sur le vieux continent, des quinze pays qui constituent l’Union européenne jusqu’en 2004, douze appliqueront un impôt sur la fortune. À l’exception, donc, de trois pays seulement : le Royaume-Uni, le Portugal et... la Belgique.

Lorsque le raz-de-marée néolibéral déferle, beaucoup de pays vont abandonner cet impôt, souvent avec l’aide des sociaux-démocrates qui ont trouvé le terme de « troisième voie » pour justifier leur capitulation. La taxation des riches n’a pas été abandonnée pour des problèmes d’applicabilité de la mesure, mais pour des raisons idéologiques. Dorénavant, il était interdit de placer le moindre obstacle sur la route des super-riches. Leur richesse ruissellerait même vers les niveaux inférieurs. J’ai précédemment évoqué cette théorie. Tout le monde connaît la suite de l’histoire. Il n’y a pas eu de ruissellement. Du moins pas du haut vers le bas, mais bien dans le sens inverse. Au cœur des années de crise, les plus riches se sont encore enrichis. En donc, après cette

longue période de reflux néolibéral, on constate aujourd’hui que la perspective de taxer les plus riches reprend vigueur, et que ceux qui, comme De Wever et Charles Michel, continuent à en faire un tabou, sont plutôt à contre-courant de l’histoire.

Même s’il y a bien quelques millionnaires qui plaident eux aussi en faveur d’une taxe des millionnaires, au nombre desquels Warren Buffet, de très nombreux super-riches s’en défendent par tous les moyens. Roland Duchâtelet, milliardaire et propriétaire de clubs de football, en fait partie. Il affirme : « Tous les discours sur l’impôt sur la fortune sont purement démagogiques et le débat est attisé par l’extrême gauche et les communistes. Les partis de la gauche traditionnelle suivent parce qu’ils ont peur de l’extrême gauche. » Le multimillionnaire ne veut même pas qu’on évoque en sa présence l’idée d’une taxe des millionnaires. Il faut néanmoins reconnaître que la proposition gagne du terrain. Et pas uniquement en Europe.

La ville de Los Angeles a ainsi approuvé le principe d’une taxe des millionnaires et se fixe l’objectif de faire modifier la législation de l’État de Californie qui entrave son exécution. Cet impôt vise les revenus supérieurs à un million de dollars et servirait à financer des programmes sociaux pour les 46 00 sans-abris de Los Angeles. La taxation des riches, liée au financement des besoins sociaux, alimente aussi les débats à New York, où l’on voit même des « millionnaires patriotiques » demander eux-mêmes qu’on les impose. Lorsqu’on taxe la fortune des multimillionnaires, il ne s’agit pas d’une « expropriation », comme le prouve aussi Thomas Piketty. De nombreuses preuves à l’appui, l’économiste français démontre que le rendement du capital croît plus rapidement que l’économie, ce qui façonne une société dans laquelle le capital des rentiers s’autoalimente généreusement. Cela veut dire que, lorsqu’on taxe la fortune des multimillionnaires, il ne s’agit pas d’une expropriation, mais qu’on évite seulement de les rendre encore et toujours plus riches. Une sorte de cure contre l’indigestion patrimoniale, qui plus est, excellente pour la société.

2ème contre-argument : « Taxer le 1 %, c’est taxer la classe moyenne »

« Le danger est grand que cette taxe manque sa cible et ne touche pas les riches, mais bien la large classe moyenne », affirment en chœur Charles Michel et Bart De Wever. Tout dépend évidemment de la sorte de taxe que l’on veut instaurer. Une taxe qui touche aussi la classe moyenne ? Ou une taxe des millionnaires, qui touche seulement les multimillionnaires, comme le propose le PTB ? C’est un débat essentiel. « Une taxe des riches augmente le sentiment de justice si elle ne touche pas les 10 %, mais le 1 %. Il y a certes des obstacles pratiques, mais un cadastre des fortunes arrangerait déjà beaucoup de choses », écrit Karel Verhoeven, le rédacteur en chef du Standaard. Il a entièrement raison. Pour ne toucher que les multimillionnaires, il faut prendre la voie et les dispositions qui le permettent. Il ne faut pas multiplier les taxes symboliques dont le nom sonne bien – impôt sur la fortune – mais adopter la mesure qui visera précisément la cible. C’est le cas de la proposition de loi créant une taxe des millionnaires déposée à la Chambre par Raoul Hedebouw et Marco Van Hees. Pourquoi une telle taxe toucherait-elle essentiellement le 1 % ? Car elle est conçue pour toucher essentiellement le 1 % !

Dans son exposé des motifs, la proposition indique que, sur la base du plancher d’imposition fixé, le 100e décile (le 1 % le plus riche, donc) contribue pour l’essentiel (89 %) à la taxe, alors que la contribution du 99e centile est assez basse (10 %) et celle du 98e, dérisoire (moins de 1 %). Dans les faits, seuls les 2 % les plus riches sont concernés par notre proposition de loi. Et 97 % de la population ne paie rien, nada, pas un euro. La classe moyenne n’est donc pas taxée. Et cela, sans calculs complexes sur les bénéfices de la fortune. Une taxe simple, pure et claire, sur les millionnaires.

Épargner la classe moyenne, tel est également le plaidoyer de gens comme Paul De Grauwe : « Je plaide pour un impôt sur la fortune progressif. Vous ne payez rien sur le premier million, afin que les classes moyennes et les petits indépendants qui travaillent dur ne soient pas les dindons de la farce. Il faut conserver la dynamique qu’ils créent. Mais tout ce qui excède le million est imposé, pour que les vraies grosses fortunes contribuent davantage. Nous devons éviter que ces patrimoines continuent à croître sans que les personnes n’aient même à faire quoi que ce soit. Les familles les plus riches roulent sur l’or et s’enrichissent toujours plus sans apporter aucune plus-value économique. »

3ème contre-argument : « Les grandes fortunes sont déjà taxées »

Lors du même débat télévisé, Vincent Van Quickenborne a répété un argument que l’on entend souvent : « Il existe déjà une taxation du capital, c’est le précompte mobilier ». En effet, le gouvernement Di Rupo avait relevé à 25 % cette taxation des revenus financiers, et le gouvernement Michel l’a encore montée à 30 %. Mais le précompte mobilier touche la classe moyenne qui a des revenus financiers. Même des bas revenus y sont soumis : par exemple un pensionné qui tente de compléter sa modeste retraite avec les maigres revenus de bons de caisse. Il va payer le même taux de 30 % que quelqu’un qui gagne beaucoup plus. En revanche, un milliardaire comme Albert Frère ne paie pratiquement pas de précompte mobilier. Tous les revenus de sa fortune sont accumulés dans une cascade de sociétés qui échappent à ce prélèvement.

Le grand capital n’est pas taxé sur sa fortune. Et, pour l’impôt sur le revenu, il dispose de dizaines d’échappatoires. C’est le cas pour le précompte mobilier, et c’est le cas pour les plus-values sur actions. Pourquoi des gens comme Albert Frère ou Marc Coucke ne paient-ils pas un euro d’impôts lors d’une revente d’actions qui leur rapporte un ou deux milliards ? Parce que, dans leur grande majorité, les plus-values sur actions sont exonérées. Et qui en profite ? Pas le travailleur ordinaire, mais le super-riche.

Cela vaut aussi pour la transmission de la fortune, pour les droits de succession : toute personne un peu informée des techniques de planification successorale sait qu’en Belgique, les droits de succession frappent lourdement le simple citoyen qui hérite d’une maison, mais pas les super-riches qui recueillent des paquets d’actions, par exemple celles d’une société immobilière propriétaire d’un éventuel château.

On peut débattre du précompte mobilier. La question est de savoir comment on taxe les revenus financiers, par rapport aux revenus locatifs et aux revenus professionnels. Mais c’est un débat qui concerne l’ensemble de la population, car on retrouve ces trois types de revenus à différents niveaux de richesse.

Mais le débat sur la taxation des riches est un tout autre débat : l’idée est d’avoir un impôt spécifique sur mesure pour le pour cent de la population le plus riche, qui en a largement les moyens. Cet impôt ne vise pas les revenus, mais le gigantesque patrimoine du pour cent le plus riche. Et c’est absolument nécessaire. D’autant que, comme Piketty l’a montré, en Europe, le fossé riches-pauvres est encore beaucoup plus grand au niveau des patrimoines qu’au niveau des revenus. Il en conclut qu’en Europe, il est plus sensé d’instaurer un impôt sur la fortune frappant les millionnaires, contrairement aux États-Unis, où il est préférable d’introduire un nouvel impôt sur le revenu pour les revenus les plus élevés.

4ème contre-argument : « Un cadastre des fortunes va prendre des années »

Pour Van Quickenborne, la création d’un cadastre des fortunes est une entreprise gigantesque qui va prendre des années : « Il faut aller voir, pour chaque maison, quelle est la valeur de cette maison et faire de même pour les autres éléments du patrimoine », soupirait-il lors de notre débat, comme s’il s’agissait d’une tâche insurmontable. Monsieur Van Quickenborne devrait pourtant savoir que, depuis déjà plusieurs décennies, il existe un cadastre immobilier qui reprend le propriétaire, le plan et la valeur de chaque immeuble. Et ce cadastre sert déjà à déterminer un impôt : le précompte immobilier. Il est d’ailleurs significatif que le patrimoine des simples gens (l’immobilier) soit cadastré et que le patrimoine des plus riches (les finances) ne le soit pas.

Pour ce qui est de calculer la valeur des autres éléments du patrimoine, c’est quelque chose qui se fait déjà tous les jours dans les domaines de l’assurance, de la comptabilité des entreprises ou des droits de succession. Cela n’a donc rien de compliqué. C’est d’ailleurs ce qu’affirmait l’ancien gouverneur de la Banque nationale, Luc Coene, qui relevait que la plupart des actifs immobiliers et financiers sont déjà connus et que, donc, « un cadastre des fortunes est relativement simple. Une grande partie des données, telles que les actifs immobiliers et financiers sont déjà connus des divers services publics. Techniquement parlant, avec l’informatique actuelle, ce n’est pas compliqué de rassembler ces données. » En effet, une grande partie d’un tel cadastre existe déjà, mais sous forme privatisée dans les fichiers des banques et des compagnies d’assurances. Toutefois, depuis peu, les organismes financiers doivent communiquer une partie de ces données au Point de contact central de la Banque nationale, mais avec encore une série de cloisons. Il suffit d’abattre ces cloisons pour créer le cadastre des fortunes.

Certains politiciens affirment qu’il est impossible d’instaurer un impôt sur la fortune en l’absence d’un cadastre patrimonial. En soi, un tel cadastre n’est pas nécessaire. La taxe des millionnaires est un impôt déclaratif, comme l’impôt de solidarité sur la fortune en France. Le contribuable doit lui-même indiquer le montant de sa fortune dans sa déclaration d’impôt.

Un cadastre des fortunes est naturellement souhaitable. Il faciliterait la perception de la taxe des millionnaires, tout en permettant de lutter contre la fraude dans d’autres domaines : les impôts sur le revenu, la TVA, les droits de succession... N’oublions pas que cette fraude s’élève chaque année à quelque vingt milliards. C’est une mesure « relativement simple », comme l’a déclaré l’ancien patron de la Banque nationale. C’est surtout une question de volonté politique. Paul De Grauwe l’a souligné : « Ce n’est pas parce qu’il n’existe pas de cadastre des fortunes qu’il n’y a pas d’impôt sur la fortune. Le fait est que l’on ne veut pas instaurer un cadastre des fortunes parce qu’on ne veut pas d’un impôt sur la fortune. »

5ème contre-argument : « Un cadastre des fortunes, c’est Big Brother »

Quand les adversaires de la taxe des millionnaires ont fini d’égrener leurs arguments sur les supposées difficultés d’appliquer un tel impôt, il leur reste l’arme de la peur. Lors de notre débat, Van Quickenborne a affirmé sans sourciller : « Un cadastre des fortunes, c’est Big Brother. Cela signifie que le fisc saura tout sur chaque ménage dans notre pays. »

En déclarant cela, Van Quickenborne, et avec lui tout le gouvernement, montre surtout dans quel camp il se trouve. Si les données que possède le fisc sur la population font du fisc un Big Brother, le système actuel est alors un Big Brother pour les 99 % de nos concitoyens, et l’Open Vld ne semble pas avoir le moindre problème avec cela. Un contribuable ordinaire qui remplit sa déclaration sur Tax-On-Web constate que le fisc sait déjà tout. Pire encore, les partis au gouvernement, et en l’occurrence les libéraux, n’éprouvent pas la moindre gêne à instaurer toujours plus de mesures dignes de Big Brother pour la grande majorité de la population. Ainsi, le secrétaire d’État à la Lutte contre la fraude de l’époque, le libéral flamand Bart Tommelein n’a pas hésité à communiquer systématiquement les données énergétiques et la consommation d’eau des chômeurs pour pister d’éventuelles fausses déclarations sur leur situation familiale. Son successeur libéral, Philippe De Backer, a lui carrément envisagé de vendre des données de santé des citoyens au secteur pharmaceutique, avant de devoir se raviser devant le tollé. Et lors des discussions budgétaires, un examen des ressources des chômeurs a même été proposé. Zuhal Demir de la N-VA était tout à fait favorable à l’imposition d’un tel contrôle supplémentaire aux chômeurs, afin de déterminer s’ils n’ont pas des ressources propres. Big Brother pour les gens ordinaires et le respect du droit à la vie privée pour la classe des multimillionnaires. Un cadastre des fortunes, ce n’est pas Big Brother : il permet juste que l’on en sache aussi un peu plus sur les comptes du pour cent des plus riches. Et c’est un instrument important dans la lutte contre la fraude fiscale.

6ème contre-argument : « La Taxe des millionnaires va faire fuir les capitaux »

« Exode massif des Belges fortunés », titrait le journal économique De Tijd sur une pleine page le matin du 29 octobre 2016. Le chapeau du quotidien n’y va pas avec le dos de la cuillère : « Ils ont l’impression qu’il est devenu honteux en Belgique de posséder des richesses. » Pauvres millionnaires ! L’article s’inscrit dans le cadre d’une offensive média savamment orchestrée de la classe des millionnaires destinée à contrer toute forme d’imposition sur la fortune. « La semaine dernière, on apprenait qu’Alexandre Van Damme (54), le Belge le plus riche et le premier actionnaire individuel du groupe brassicole AB InBev, s’est installé en Suisse cet été. Il fait la navette vers son bureau, situé dans la commune de Saint-Gilles, à bord d’un jet privé. Des milliers de Belges ont déjà franchi le pas », écrit le journal financier avec des accents dramatiques. L’article est allègrement partagé sur les médias sociaux par tout le clan N-VA.

Qu’en est-il réellement ? À l’automne 2016, le gouvernement de droite a annoncé une hausse du précompte mobilier à 30 %, comme je l’ai écrit ci-dessus. Deux semaines plus tard, Alexandre Van Damme faisait savoir qu’il s’installait en Suisse. « Une perte de 70 millions d’euros pour le fisc belge », affirme immédiatement Geert Noels. Et tout le monde lui emboîte le pas : vous voyez, les riches prennent leurs jambes à leur cou quand vous les embêtez. Seul hic, Alexandre Van Damme avait déjà décidé de s’installer en Suisse avant la décision du gouvernement d’augmenter le précompte mobilier. C’est ce qu’indique le magazine Médor. Médor révèle également que Van Damme recherche l’anonymat le plus complet. Il serait tourmenté par la peur panique d’un enlèvement, ayant été marqué par celui d’un autre baron de la bière, Freddy Heineken, en 1983. En Suisse, Van Damme espère pouvoir passer inaperçu. La perte de 70 millions d’euros pour notre fisc est également une légende. Le chiffre serait exact si Van Damme touchait tous les revenus des dividendes de ses actions d’AB InBev en tant que personne physique. Or, ce n’est pas le cas. Officiellement, ce n’est pas l’individu Alexandre Van Damme qui passe à la caisse lorsqu’il s’agit de toucher les dividendes, mais la société Patrinvest. Et grâce au système fiscal des revenus définitivement taxés (RDT), Patrinvest ne paie pas un seul centime d’impôt sur ces revenus. Van Damme ne paie donc pas d’impôts sur les revenus de ses dividendes, pas plus que d’impôts sur d’éventuelles plus-values, car celles-ci ne sont jamais imposées. Par ailleurs, il envisageait de déménager en Suisse depuis longtemps. Voilà ce qu’il en est des histoires à dormir debout diffusées par les fiscalistes, économes et autres mercenaires idéologiques des groupes de réflexion du big business. Oui, il y a des riches qui déménagent en Suisse. Mais ils sont si peu nombreux qu’on peut les compter sur les doigts d’une seule main.

Quoi qu’il en soit, l’establishment continue à ressasser envers et contre tout l’argument de la « fuite des capitaux ». En France, la « taxe des riches » a été abolie. Van Overtveldt et De Wever racontent à qui veut les entendre que « même le gouvernement socialiste de François Hollande a dû retirer l’impôt sur la fortune la queue entre les jambes ». La taxe des riches de Hollande n’était toutefois pas un impôt sur la fortune, mais un impôt sur les revenus, avec un taux de taxation de 75 % pour les revenus les plus élevés. Elle avait une valeur essentiellement symbolique, était très complexe et n’a pratiquement rien rapporté. C’est pourquoi elle a été mise au rebut le 1er janvier 2015. Impossible de trouver un meilleur argument contre les impôts symboliques sur le revenu.

Jusqu’à ce que le successeur d’Hollande, l’ancien banquier Emmanuel Macron, ne le remplace par un Impôt sur la fortune immobilière, l’impôt de solidarité sur la fortune, ou ISF, rapportait chaque année de 4 à 5 milliards d’euros. Selon le calculateur fiscal de Thomas Piketty, son rendement aurait été multiplié par huit si toutes les niches fiscales de l’ISF avaient été supprimées.

L’expérience française nous prouve que la fuite des capitaux due à l’ISF est négligeable. Depuis l’an 2000, 3 000 Français fortunés ont quitté la France, soit 0,53 % de tous les redevables de l’ISF. En d’autres termes, 99,47 % de cette catégorie de contribuables continuent à payer l’impôt de solidarité et à alimenter les caisses du fisc.

Une étude menée de l’autre côté de l’Atlantique arrive aux mêmes conclusions : elle démontre que les millionnaires ne déménagent que rarement vers un autre État américain pour échapper à l’impôt supérieur appliqué dans l’État dans lequel ils vivent. « Un impôt sur la fortune est essentiel pour créer un système équitable », écrit le journaliste économique Ruben Mooijman, citant le philosophe néerlandais Gribnau. « Pourtant, aucun gouvernement belge, de gauche ou de droite, n’a voulu ou pu mettre en pratique ce principe à ce jour. Jusqu’à présent du moins. Le tax shift offre une possibilité unique d’instaurer ce changement. Le seul parti qui continue à taper inlassablement sur le clou, le PTB, a calculé une nouvelle fois cette semaine le montant dont le fisc se passe en maintenant sa position. Dans son nouveau livre La taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société, son président, Peter Mertens arrive à la somme de 9 527 438 955 euros », indique Ruben Mooijman. « Comment se fait-il que nous planchions depuis des mois sur le tax shift sans que rien de concret n’en soit sorti à ce stade ? N’y a-t-il pas de fortes chances que nous nous retrouvions encore avec un compromis à la Belge qui, dans le pire des cas, ne sera qu’un bricolage sans effet ? Dans son livre, Peter Mertens nous apporte la réponse avec un poème du Poète national, Charles Ducal. Le premier vers est le suivant : “Ceci est le mur. La pensée s’arrête ici”. » Il est temps d’abattre le mur du statu quo. Tous les contre-arguments pseudo-techniques ne démontrent qu’une seule chose : la droite libérale se trouve dans une situation délicate dans ce débat. Il est temps de balayer les contre-arguments et de poser clairement à la population la question suivante : voulez-vous, oui ou non, imposer le 1 % des multimillionnaires ?