Le PTB plus proche de toi et toi plus proche du PTB. Renforce la vague sociale.!

Télécharge notre app

Israël, bras armé de l'Otan en Méditerranée

Le 17 juin 2025, en marge du Sommet du G7 au Canada, le chancelier allemand Friedrich Merz déclarait à la chaîne ZDF : « C'est le sale boulot qu'Israël fait pour nous tous. » Cette phrase, prononcée quelques jours après les frappes israéliennes sur l’Iran, levait un coin du voile sur une réalité stratégique soigneusement occultée : le rôle d'Israël comme prolongement militaire de l'Otan au Moyen-Orient.

Vendredi 17 octobre 2025

Les drapeaux d'Israël et de l'Otan flottent au vent.

Texte de David Pestieau.

Loin d'être une simple sortie maladroite, la déclaration de Merz formalisait ce qu’on observe depuis des décennies : Israël agit comme le gendarme régional de l'Europe et des États-Unis, assumant les opérations que les Européens ne peuvent ou ne veulent mener elles-mêmes.

Le « sale travail » : une répartition stratégique des tâches

La formule de Merz n'était pas qu'un aveu : c’était un remerciement. Dans son entretien, le chancelier allemand exprimait son « plus grand respect » pour le courage de l'armée israélienne et justifiait l'action militaire contre un régime qui « a apporté la mort et la destruction dans le monde ». Sans cette intervention, ajoutait-il, l'Occident aurait pu « continuer à subir pendant des mois et des années le terrorisme de ce régime, qui aurait peut-être même fini par se doter de l'arme atomique »1.

Cette répartition du travail se manifeste avec une clarté particulière dans la campagne contre le programme nucléaire iranien. Pendant que les diplomaties européennes — Allemagne, France, Royaume-Uni — menaient d'interminables négociations avec Téhéran, Israël assumait la pression militaire et clandestine : cyberattaque Stuxnet, assassinats de scientifiques, destructions d'installations. L'Europe bénéficiait ainsi des retombées de ces actions — un Iran affaibli à la table des négociations — sans avoir à en porter la responsabilité ni à en subir les représailles directes. Les condamnations européennes des méthodes israéliennes restaient formelles, sans conséquences réelles, car l'objectif stratégique commun était atteint.

Le même schéma se reproduit au Liban et en Syrie. Les frappes aériennes israéliennes répétées frappe le mouvement Hezbollah, organisation que l'Union européenne considère comme terroriste. 

Cette dichotomie entre paroles et actions révèle une approbation tacite. Malgré des condamnations verbales répétées des opérations militaires israéliennes, les sanctions économiques significatives ou embargos sur les armes ne suivent presque jamais. Pour les observateurs, cette contradiction entre discours public et coopération réelle démontre que l'Europe désapprouve publiquement les méthodes pour préserver son image de défenseure du droit international, mais reste secrètement satisfaite des résultats stratégiques.

Un partenariat stratégique institutionnalisé

Cette répartition du travail ne repose pas sur un arrangement informel, mais sur une architecture institutionnelle solide. Israël est partenaire de l'Otan depuis 1994, intégré au programme du Dialogue méditerranéen de l'Alliance. En 2017, il a obtenu une mission permanente officielle au quartier général de l'Otan à Bruxelles. Les domaines de coopération se sont considérablement élargis : cybersécurité, technologies de rupture, résilience face au changement climatique, menaces cyber et hybrides.

En janvier 2023, le président israélien Isaac Herzog devenait le premier chef d'État israélien à s'adresser au Conseil de l'Atlantique Nord. L'Otan déclarait alors : « L’Otan et Israël travaillent ensemble depuis près de 30 ans [...]. Au cours de l'année écoulée, cette coopération s'est développée. »2

Cette intégration progressive fait d'Israël ce qu'un rapport de l'institut israélien Mitvim qualifie de « membre non officiel de l'Otan ». Les pays membres ont déjà acheté pour des milliards de dollars d'armements israéliens, dont le système antimissile Arrow 3 vendu à l'Allemagne pour 3,5 milliards de dollars, des drones kamikazes et des systèmes anti-drones. L'Otan manifeste un intérêt particulier pour l'utilisation israélienne de l'intelligence artificielle, notamment le programme « Lavender » qui jouerait un rôle central dans la sélection de cibles palestiniennes pour les bombardements à Gaza.3

Le laboratoire Gaza : des technologies testées pour l'Otan

La visite de l'amiral Rob Bauer, président du Comité militaire de l'Otan, à la frontière de Gaza les 27 et 28 septembre 2023 — moins de deux semaines avant le 7 octobre — illustre parfaitement cette dimension. Le général de brigade Avi Rosenfeld lui a présenté les capacités de la Division de Gaza, notamment l'utilisation de l'intelligence artificielle et de la robotique pour surveiller les passages frontaliers, ainsi que l'expertise spécifique dans la lutte contre les activités terroristes en milieu souterrain.4

L'amiral Bauer a alors déclaré : « La capacité à combattre dans les guerres d'aujourd'hui et à se préparer à celles de demain est essentielle à la posture de dissuasion et de défense de l'Otan. Travailler avec Israël, notre proche partenaire, afin de contrer les défis de sécurité émergents et de chercher à se doter de capacités militaires innovantes, permet tant à Israël qu'à l'Otan de préserver leur avance militaire sur leurs adversaires. »5

Comme l'avait déjà analysé Naomi Klein dans son célèbre livre « La stratégie du choc », Israël a été pionnier dans l'industrie de la sécurité intérieure, avec environ 350 entreprises dédiées à la vente de produits de sécurité. Les jeunes soldats israéliens expérimentent des systèmes de surveillance pendant leur service militaire obligatoire, puis transforment leurs découvertes en plans d'affaires à leur retour à la vie civile. « De jeunes soldats israéliens ont expérimenté des systèmes de réseau et des dispositifs de surveillance pendant qu'ils accomplissaient leur service militaire obligatoire, puis ont transformé leurs découvertes en plans d'affaires à leur retour à la vie civil », écrit Klein.6

Cette économie de guerre permanente est devenue un modèle économique. (Lire à ce sujet : Arrêter la militarisation ici pour stopper la machine génocidaire israélienne)

Le redéploiement stratégique post-Ukraine

La guerre en Ukraine a accéléré cette division du travail. Les pays européens de l'Otan ont réorienté massivement leurs ressources vers l'est, contre « l'ennemi russe ». L'adhésion attendue de la Suède et de la Finlande a renforcé cette orientation orientale. Cette réorientation implique nécessairement un éloignement du bassin méditerranéen, les ressources financières, sécuritaires et humaines de l'Otan étant limitées.7

Dans ce contexte, le rôle d'Israël comme « sous-traitant sécuritaire » de l'Otan devient encore plus crucial. Comme l'explique le rapport Mitvim : « Dans la mesure où les pays européens de l’Otan choisissent de déplacer leur attention vers le nord et l'est tandis que les États-Unis se concentrent sur la Chine et donc sur la région de l’Indo-Pacifique, le renforcement de la coopération avec des acteurs alliés au Moyen-Orient et du bassin méditerranéen constituerait pour l’Otan « un bon substitut » selon leurs propres rapports.8

Les cadres de coopération entre Israël, les Émirats, le Maroc et l'Égypte, le canal entre la Turquie et Israël, l'alliance entre Israël et la Grèce et Chypre sont autant de collaborations qui peuvent remplacer l'Otan dans la région, et servir ainsi de sous-traitants de l'Alliance et des États-Unis.9

La journaliste Inge Vrancken de la VRT déclarait le 15 juin 2025 que l'Union européenne hésite à imposer des sanctions à Israël « parce qu'elle craint qu'Israël ne partage plus de renseignements avec les pays de l'Union, ce qui est important dans d'autres conflits ».10 Cette dépendance au renseignement israélien est stratégique. Israël mène depuis longtemps un partage de renseignements intime avec les Américains et une coopération bien établie avec plusieurs pays européens. Élargir ce cercle signifie inclure les évaluations israéliennes dans les documents d'évaluation de l'Otan diffusés aux ministères de la Défense de tous les États membres.11

L’alignement sur une politique pro-Israël via l’Otan

Cette intégration soulève des questions fondamentales sur la souveraineté des États membres de l'Otan. Le quartier général de l'Otan soutient depuis deux ans l'agression militaire israélienne à Gaza, malgré les divisions entre les gouvernements des États membres — l'Espagne et la Slovénie ayant, par exemple, exprimé une certaine sympathie pour la situation des Palestiniens. De cette manière, l'Otan assume de plus en plus le rôle normalement attribué aux gouvernements nationaux, tant en matière de budget (avec la pression pour accroître les dépenses militaires), de guerre, de maintien de l'ordre, de recherche scientifique, d'éducation et de diplomatie.

La déclaration de Friedrich Merz n'était pas un dérapage : c’était un aveu. Elle formalisait ce que la structure institutionnelle, les flux financiers et la coopération opérationnelle démontrent depuis des années : Israël assume le rôle de gendarme régional de l'Otan au Moyen-Orient, permettant aux Européens de bénéficier des résultats d'actions militaires qu'ils ne pourraient assumer politiquement. Cette division du travail s'est intensifiée avec la guerre en Ukraine, qui a réorienté les ressources européennes de l'Otan vers l'est – tandis que les États-Unis se concentrent sur l’encerclement du rival stratégique désigné, la Chine –, laissant à Israël le flanc méditerranéen.

Cette réalité soulève des questions cruciales sur la souveraineté démocratique, la responsabilité politique et le respect du droit international. Elle montre comment l'Otan est une structure qui échappe au contrôle démocratique, déléguant à un partenaire non-membre des fonctions militaires essentielles tout en continuant à bénéficier des technologies testées sur les populations palestiniennes. Le « sale travail » dont parlait Merz n'est pas seulement une question de frappes militaires : c'est un système entier de sous-traitance de la violence qui permet à l'Occident de maintenir ses intérêts stratégiques tout en préservant une façade de respect du droit international.

Notes

  1. Déclaration de Friedrich Merz, ZDF, 17 juin 2025.
  2. NATO, « NATO and Israel », 2022, https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_209234.htm
  3. Sur le programme « Lavender », voir le podcast de Peter Mertens, Tout bascule, épisode #3
  4. NATO, « Visite du président du Comité militaire de l'OTAN à la frontière de Gaza », 27-28 septembre 2023, https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_218698.htm
  5. Ibid.
  6. Naomi Klein, « The Shock Doctrine », p. 435-36.
  7. Rapport Mitvim, « Israel and NATO », novembre 2022, section « Changes within NATO ».
  8. Rapport Mitvim, section « Boots on the ground ».
  9. Ibid.
  10. Inge Vrancken, VRT, « De zevende Dag », 15 juin 2025, citée dans le document source.
  11. Rapport Mitvim, section « Intelligence sharing ».