Ce n’est pas un accord, c’est une arnaque : la classe travailleuse paie cash l’accord Trump-Von der Leyen
Les États-Unis et l’Union européenne ont conclu un nouvel accord commercial. Avec cet accord, l’Europe suit docilement l’agenda de l’impérialisme américain. C’est une mauvaise nouvelle pour notre industrie, pour le réchauffement climatique et pour la paix. Et la facture sera présentée à la classe travailleuse chez nous et ailleurs dans le monde.

Le prix d’une poignée de main sur un terrain de golf
L’image est aussi éloquente que cynique : sur l’un de ses terrains de golf écossais, entre deux trous, le président américain Donald Trump a scellé un « accord » avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Cet accord déterminera les relations transatlantiques pour les années à venir. L’accord, conclu après des mois de pression économique américaine, contient des concessions importantes de la part de l’Europe.
Le cœur de l’accord repose sur trois piliers. Premièrement, un droit d’importation général de 15 % sur la plupart des marchandises européennes exportées vers les États-Unis, ce qui pourrait affecter des secteurs importants comme l’industrie automobile et le secteur pharmaceutique. Deuxièmement, un engagement de l’Europe à acheter pour 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains, principalement du gaz naturel liquéfié (GNL) et du pétrole, sur une période de trois ans. Troisièmement, une promesse d’acheter pour au moins 100 milliards de dollars d’armements américains.
Cet accord sert principalement les intérêts de l’industrie fossile et militaire américaine, tandis que la note sera envoyée aux travailleurs et consommateurs européens et américains. L’accord augmente la dépendance européenne vis-à-vis des États-Unis et limite la capacité de l’Europe à mener une politique autonome et à développer des partenariats durables avec le reste du monde. Les États-Unis montrent une fois de plus qu’ils n’ont ni « alliés » ni « amis », mais ne poursuivent que leurs propres intérêts impérialistes.
Le prix des tarifs : qui paie l’addition ?
L’impact des droits d’importation de 15 %
Un droit d’importation est une taxe sur les importations. Concrètement, cela signifie qu’un acheteur américain d’un produit européen, comme une voiture, doit payer 15 % de plus au gouvernement américain. Cela rend les produits européens plus chers et moins compétitifs sur le marché américain.
Cette mesure représente une grande escalade en peu de temps. Début 2025, les tarifs étaient presque inexistants dans le commerce entre l’UE et les États-Unis. Cela représentait en moyenne environ 1,5 %. En avril, Trump a imposé unilatéralement une taxe de 10 %, ce qui a provoqué une grande incertitude quant aux effets. Maintenant, l’Union européenne a négocié davantage et accepté une augmentation à 15 %. L’UE n’a pas stoppé la guerre économique de Trump, mais lui a officiellement donné son aval. Cela ouvre grand la porte à de futures exigences et prouve que la politique commerciale de Trump ne vise pas à résoudre les déséquilibres commerciaux, qui en fait n’existent pas1, mais est un moyen pour Trump de faire suivre à l’Europe sa géopolitique. La réaction de Peter Mertens, secrétaire général du PTB, a résumé l’essence de l’accord : « Ce n’est pas un accord, c’est une arnaque. »
Les États-Unis enfreignent leurs propres règles
Pendant des décennies, les États-Unis ont prêché au monde les avantages du libre-échange et, par le biais de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont forcé les pays à ouvrir leurs marchés. Maintenant que ces mêmes règles ne servent plus leurs intérêts, ils les mettent de côté sans hésiter. En contournant l’OMC et en exerçant des pressions bilatérales, les États-Unis montrent que pour eux, aucun traité international ne compte, seul le droit du plus fort prévaut.
La facture de ce feu de pouvoir est refilée à la classe travailleuse
Aux États-Unis, la population risque de payer des prix plus élevés car les produits importés peuvent désormais devenir plus chers. Et en Europe, la classe travailleuse est confrontée au risque de restructurations et de licenciements dans les secteurs orientés vers l’exportation.
Arizona : concurrence pour démanteler les droits
La réaction des partis de l’Arizona à cet accord est révélatrice. Au lieu de remettre en question la politique commerciale agressive de Trump, la solution est recherchée en interne. Le Premier ministre Bart De Wever est soulagé par cet accord, mais appelle immédiatement à « poursuivre l’approfondissement du marché interne, [et] limiter la réglementation inutile ». Il plaide pour « des règles claires et surtout moins de règles » pour augmenter la compétitivité. Selon la N-VA, ce n’est pas la guerre commerciale de Trump qui pose problème, mais « les règles » qui bloquent tout. Ils sont rejoints par le président du MR, Georges-Louis Bouchez, qui écrit « nous devons SUPPRIMER des règles en tout genre ».
C’est la stratégie néolibérale classique : répondre à la pression externe par un démantèlement social interne. « Moins de règles » sonne souvent bien, mais c’est trop souvent un euphémisme pour le démantèlement de la protection sociale, des normes environnementales et des garanties financières. C’est une stratégie qui vise à augmenter la compétitivité en coupant dans les salaires, les conditions de travail et la stabilité financière. Un exemple récent en est l’adaptation des « règles » autour du travail de nuit que les partis de l’Arizona ont mise en œuvre. Celles-ci pèsent entièrement sur les travailleurs, pour rendre le secteur logistique belge « plus compétitif ». Ainsi, ils tentent de répercuter les coûts des tarifs américains sur la classe travailleuse belge et européenne.
La vulnérabilité de l’économie belge
Cette stratégie ignore la vulnérabilité spécifique de notre pays. La Belgique est, après l’Irlande, l’un des pays de l’UE les plus dépendants des exportations vers les États-Unis. Chaque année, il s’agit d’un montant d’environ 33 milliards d’euros, soit plus de 6 400 euros par famille.
Le secteur pharmaceutique est le principal secteur d’exportation vers les États-Unis et est plongé dans une grande incertitude par cet accord. Bien que Von der Leyen ait promis des exceptions pour « certains médicaments génériques », Trump affirme que les produits pharmaceutiques ne seraient pas concernés par l’accord. Cela rend totalement flou quels produits seront soumis à la taxe de 15 %. Le secteur pharmaceutique belge tire déjà la sonnette d’alarme car il craint des tarifs encore plus élevés que 15 %.
Gaz cher et nouvelle course aux armements
L’accord comprend encore deux autres éléments qui augmentent la dépendance européenne vis-à-vis des États-Unis et hypothèquent lourdement notre avenir.
L’étranglement du gaz américain
L’Europe s’est engagée à acheter pour 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains sur trois ans, principalement du gaz naturel liquéfié (GNL). Cela représente un montant annuel de 250 milliards de dollars. Cette décision a des conséquences de grande portée. Premièrement, ce gaz, obtenu par fracturation hydraulique, est extrêmement cher et très mauvais pour le climat. Il perpétue les prix élevés de l’énergie qui étouffent déjà l’industrie européenne. Cet accord est une extension de la stratégie mise en place après l’invasion russe en Ukraine, où une dépendance a été échangée contre une autre, comme l’a analysé Peter Mertens dans son livre Mutinerie. Les prix élevés de l’énergie sont, comme l’a démontré Benjamin Pestieau dans Lava, l’une des principales causes de la désindustrialisation européenne.
Deuxièmement, cet investissement massif dans les énergies fossiles est un coup dur pour les objectifs climatiques. Au lieu d’investir dans une transition énergétique durable qui pourrait rendre l’industrie européenne plus indépendante et la préparer pour l’avenir, l’Europe lie désormais le sort de son industrie à des centaines de milliards de dollars de l’industrie fossile américaine.
Des milliards pour l’industrie de l’armement US
En outre, l’Europe achètera pour au moins 100 milliards de dollars d’armements américains. Ursula von der Leyen a qualifié l’accord de « prochaine pierre angulaire dans le renforcement du partenariat transatlantique ». Cela fait suite à la première pierre posée lors du sommet de l’Otan quelques semaines plus tôt. Là, les pays européens ont décidé d’accepter la norme Trump de consacrer 5 % de leur produit intérieur brut aux armements. Elle admet ainsi que c’était une concession au chantage économique de Washington. Dans son podcast « Tout Bascule », Peter Mertens a analysé comment cette norme de 5 % est une attaque directe contre notre sécurité sociale.
Il est maintenant clair où cet argent ira : directement vers le complexe militaro-industriel américain. L’argent des impôts, dont on a grandement besoin pour les pensions, les soins de santé et l’éducation, est dépensé pour des armes qui, si cela dépend de Trump, seront utilisées dans des conflits servant les intérêts impérialistes américains. Cet accord non seulement alimente le démantèlement social, mais rapproche aussi la guerre.
Un partenaire peu fiable dans un jeu géopolitique plus large
L’affirmation d’Ursula von der Leyen selon laquelle cet accord « crée de la sécurité en des temps incertains » est pour le moins douteuse. L’histoire montre qu’un accord avec Trump n’est jamais une fin mais seulement une étape vers de nouvelles exigences. L’accord lui-même est également vague sur des détails cruciaux, comme les dispositions pour les produits pharmaceutiques ou pour l’acier et l’aluminium, ce qui laisse la porte ouverte à de nouvelles pressions.
Les leçons du Japon et du Royaume-Uni
D’autres pays ont déjà vécu cette expérience. Le Japon a conclu un accord similaire avec les États-Unis, incluant un tarif de 15 %, mais les différends commerciaux, notamment sur l’acier et les voitures, persistent. L’accord avec le Japon n’était pas une solution, mais un précédent.
L’accord commercial avec le Royaume-Uni contenait quant à lui des clauses vagues sur la « sécurité nationale » utilisées par Washington pour forcer le Royaume-Uni à rompre ses liens économiques avec la Chine. La leçon est claire : ces accords ne sont pas seulement commerciaux, mais aussi des instruments de pression géopolitique.
L’Europe comme pion dans la lutte contre la Chine
Tout cela s’inscrit dans un cadre stratégique plus large. La guerre commerciale de Trump est avant tout dirigée contre la Chine, qui défie l’hégémonie américaine. Comme l’a expliqué Ben Van Duppen, directeur du service d’études du PTB, dans Lava, la stratégie américaine vise à diviser le monde en deux camps par le biais d’accords bilatéraux.
Pour l’instant, il n’est pas clair s’il y a, comme avec le Royaume-Uni, d’autres clauses géopolitiques dans l’accord. Mais il n’est pas impensable que Trump utilise son pouvoir économique à cette fin. Il voit en effet l’Europe comme un pion dans la lutte américaine pour maintenir son hégémonie face à la Chine. Et peu lui importe si cela se fait au détriment de notre propre autonomie économique et politique.
Conclusion : il est temps pour une autre voie
La voie que semble choisir l’establishment européen avec cet accord est une impasse. Suivre sans critique l’agenda de l’impérialisme américain affaiblit notre industrie, accélère le réchauffement climatique, rapproche de la guerre et garantit que la classe travailleuse chez nous, et ailleurs dans le monde, paie l’addition.
L’Europe pourrait plutôt travailler à une voie économique et politique indépendante. Dans un monde multipolaire, de nouvelles opportunités de partenariats émergent. Comme le suggèrent des économistes tels que Mariana Mazzucato, l’Europe ferait bien de tourner son regard vers les pays émergents du Sud global et de construire des relations équitables. Cela nécessite une politique industrielle active, axée sur les investissements publics pour un avenir durable et social, plutôt qu’une focalisation aveugle sur la dérégulation et la militarisation.
L’instabilité géopolitique actuelle et les guerres commerciales ne sont pas des coïncidences, mais des symptômes des profondes contradictions d’un système économique en crise. La lutte concurrentielle incessante mène inévitablement à des conflits. Une solution durable ne réside pas dans la réparation de ce système, mais dans un changement fondamental vers une société où les besoins de l’homme et de la planète sont centraux.
1. Trump affirme qu’il est injuste que l’UE puisse exporter beaucoup plus vers les États-Unis que l’inverse. Cependant, cela n’est que partiellement vrai. Bien que l’UE exporte environ 250 milliards d’euros de marchandises supplémentaires vers les États-Unis chaque année, elle importe environ les deux tiers de cette somme sous forme de « services » américains. Il s’agit notamment de services tels que Facebook, Google, Netflix ou les abonnements à ChatGPT. De plus, les entreprises américaines rapatrient chaque année des milliards de bénéfices réalisés en Europe. Si l’on tient compte de tous ces éléments, le solde entre les États-Unis et l’UE est même négatif depuis trois ans.