Trump est sur le sentier de la guerre et cette guerre commence par les tarifs douaniers
Le président des États-Unis, Donald Trump, intensifie la guerre commerciale et chamboule l'économie mondiale. Après des décennies, le libre-échange ne semble plus avantageux pour les capitaux américains. Résultat : les règles commerciales existantes semblent jetées par dessus bord. Le gouvernement des États-Unis utilise sa puissance économique et militaire pour éloigner les pays de la Chine et les attirer dans sa sphère d'influence. On ne sait si cette démarche aboutira, mais Trump est sur le sentier de la guerre. Et cette guerre commence par les tarifs douaniers.

BELGA
Le 2 avril 2025, Donald Trump a secoué l'économie mondiale en annonçant le « Liberation Day » (le jour de la libération). Nonante pays dans le monde se sont vu imposer de nouveaux tarifs douaniers à l’importation. En d'autres termes, les produits importés de l'extérieur des États-Unis sont soumis à une taxe. Les pays avec lesquels les États-Unis ont un déficit commercial important, c'est-à-dire ceux qui exportent plus vers les États-Unis qu'ils n’en importent, sont particulièrement touchés.
Mais une annonce plus importante a suivi sept jours plus tard, le 9 avril : un moratoire de 90 jours a été introduit. Outre l'impôt de base de 10 %, l’augmentation des tarifs, qui varie d'un pays à l'autre, est reportée. De cette façon, les pays touchés ont le temps de négocier des « tarifs préférentiels » avec les États-Unis. Tous les pays sont éligibles, à l'exception de la Chine. Pour cette dernière, Trump prévoit des tarifs douaniers encore plus élevés. Ceux-ci ont atteint un niveau sans précédent de 145 % en réponse aux tarifs douaniers imposés par la Chine en contrepartiei.
Beaucoup de choses ont déjà changé depuis ces annonces. Certains tarifs douaniers ont été retirés, d'autres ont été renforcés. Au moment où vous lirez ces lignes, les détails auront peut-être encore changé. On ne sait pas très bien lequel, mais il est clair que le gouvernement Trump a un plan. Il veut atteindre la Chine en l'isolant de l'économie américaine et en forçant les autres pays à se mettre au pas des États-Unis. Reste à voir s’il y parviendra.
Escalade de la guerre commerciale, en particulier contre la Chine
L'introduction de tarifs douaniers semble constituer une rupture radicale avec des décennies de dogme néolibéral. Sous ce régime, promu par le capital américain, les tarifs douaniers à l'importation étaient systématiquement diminués, et le libre-échange était le mot d’ordre. Jusqu'à aujourd’hui.
Mais ce tournant ne vient pas de nulle part. La guerre commerciale, qui dure depuis des années, s'est intensifiée et fait rage principalement entre les États-Unis et la Chine.
Lors de son premier mandat, Trump avait introduit des tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium, entre autres. Il avait également mené une bataille contre les entreprises de technologie chinoises telles que Huawei. Dans cette guerre, le gouvernement Biden a poursuivi les mesures prises, notamment par le biais de la loi CHIPS et de la loi sur la réduction de l'inflation (IRA), pour protéger les secteurs stratégiques tels que les semi-conducteurs et ramener la production aux États-Unis, même si c'était davantage par le biais de subventions que de tarifs douaniers brutaux. Le président Biden n'a toutefois pas touché aux droits de douane imposés par son prédécesseur à la Chine.
Les tarifs douaniers imposés après le « Liberation Day » vont bien plus loin. Ils ne ciblent plus seulement des produits spécifiques, mais potentiellement toutes les importations en provenance d'un pays. Ce qui est nouveau, c'est qu'ils frappent aussi durement les « alliés » historiques des États-Unis tels que l'Union européenne. Le vieil adage selon lequel « les États-Unis n’ont pas d'amis ou d'ennemis permanents, ils n’ont que des intérêts » semble plus vrai que jamais.
Cependant, l'establishment économique et le monde de la finance ont réagi avec stupeur. Dans les jours qui ont suivi l'annonce, quelque 5 000 milliards de dollars de valeur boursière se sont évaporés dans le monde entier. Le S&P 500 a chuté de plus de 10 %. Les rendements des obligations d'État étasuniens ont grimpé en flèche, signe d'une perte de confiance et de craintes croissantes d’une récession. Les marchés financiers étaient manifestement mal à l'aise. Et c’est ce malaise qui est à l’origine des 90 jours de pause et du discours plus modéré que Trump utilise depuisii.
Panique en Europe, divisions sur la réaction à adopter
Partout dans le monde, les réactions aux tarifs douaniers ont été confuses. Les États-Unis ont lancé une guerre commerciale agressive contre tout le monde. L'Union européenne, qui exporte beaucoup vers les États-Unis sous la houlette de l'Allemagne, n’est pas épargnée. En 2024, l'UE a affiché un excédent commercial de près de 200 milliards d'euros avec son principal partenaire commercial, les États-Unis.
Des personnalités comme la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, se sont rapidement rendues à Washington dans l'espoir de négocier une baisse des tarifs douaniers. On essaie de plaire à Trump. Une attitude dont le président des États-Unis se délecte. Il s'est vanté de la façon dont les pays du monde entier font la queue pour négocier avec lui. « They are kissing my ass » (ils me lèchent les bottes), a-t-il déclaré à ce sujetiii. Il ne laisse pas grand-chose à l’imagination.
Cependant, d'autres voix en Europe appellent à regarder ailleurs que vers les États-Unis et à renforcer les liens avec d'autres partenaires tels que la Chine. Lors de ses visites officielles à Pékin et dans la capitale vietnamienne Ho Chi Minh, le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, a de nouveau appelé à miser sur le « multilatéralisme » et la « solidarité » plutôt que sur les guerres commercialesiv.
L'Europe est clairement divisée sur la réaction à adopter, mais quand on sait que les États-Unis ne sont plus un partenaire commercial fiable et que tous les pays du monde reconsidèrent leurs relations commerciales, il est logique de cesser de se concentrer sur les États-Unis et de se tourner également vers les pays émergents du Sud.
« La méthode dans la folie » : une stratégie au détriment de la classe travailleuse aux États-Unis et ailleurs
Les tarifs douaniers à l'importation sont une mauvaise nouvelle pour beaucoup de citoyens des États-Unis. En effet, les tarifs douaniers affectent principalement la classe travailleuse américaine, qui voit les prix des biens de consommation augmenter – le Yale Budget Lab a calculé un impact à court terme de 3 % sur le niveau des prix, ce qui équivaut à une perte de pouvoir d'achat de 4 900 dollars par ménagev.
L'impact varie selon les ménages. Les plus pauvres, qui consacrent la majeure partie de leurs revenus aux produits de consommation de base et achètent souvent les moins chers, sont encore plus touchés. Car ce sont précisément ces produits de consommation bon marché qui sont fabriqués en Chine et dans d'autres pays. Les tarifs douaniers à l'importation les rendent donc deux à trois fois plus chers.
En outre, ces tarifs abrupts déclenchent également d'autres phénomènes. Ils augmentent les coûts pour les commerçants américains qui importent des produits.
Ceux-ci peuvent répondre de trois manières. Soit ils choisissent de répercuter une partie des tarifs douaniers à l’importation et de faire un peu moins de bénéfices. Soit ils répercutent tout et continuent de faire autant de bénéfices qu'avant. Soit ils choisissent d'exploiter cette situation particulière, d'augmenter les prix plus que nécessaire et de réaliser ainsi des surprofits.
On a connu ce dernier phénomène lors de la crise de l’énergie et de la hausse soudaine de l'inflation. Cela a également provoqué une lutte des classes pour savoir qui devait supporter le coût de l'inflation et qui allait s'enrichir grâce à la profitflationvi. On connaît déjà les premières entreprises à avoir tiré profit de cette situationvii.
Les tarifs douaniers alimentent donc l'inflation, et l'économie risque d'entrer en récession. Le Fonds monétaire international (FMI) a déjà abaissé ses prévisions de croissance pour les États-Unis de 2,7 % à 1,8 % pour 2025, et d'autres économistes craignent une croissance encore plus faible, voire une contraction. Même une partie de l'élite américaine subit des pertes en raison des turbulences du marché boursier.
Bien que les chocs de la guerre commerciale puissent avoir des effets négatifs à court terme, le gouvernement Trump pousse à une réorientation des rapports de force politiques et économiques. Les 90 jours de pause (sauf pour la Chine) constituent une tactique de négociation. Trump ne veut plus d'accords multilatéraux (accords conclus entre plusieurs pays en une fois), mais des accords bilatéraux entre les États-Unis et un autre pays, afin de maximiser la puissance économique, militaire et monétaire des États-Unis.
Il veut faire pression sur les pays individuellement pour qu'ils servent les intérêts des États-Unis, par exemple en achetant des équipements militaires étasuniens en échange d'une baisse des tarifs douaniers. Ou en introduisant des tarifs douaniers européens sur les importations en provenance de Chine au lieu de celles en provenance des États-Unis. Cela correspond parfaitement à son slogan « Make America Great Again » et à sa stratégie d'isolement de la Chine.
La vulnérabilité du « Made Elsewhere »
En arrière-plan, une réalité économique entre en jeu : la vulnérabilité des chaînes de production mondialisées. Des décennies de délocalisation de la production vers des pays à bas salaires ont rendu l'économie américaine dépendante des fournisseurs étrangers. Cela s'applique aux biens de consommation essentiels comme aux matières premières et aux produits semi-finis destinés à l'industrie américaine.
La crise du Corona l'a douloureusement mis en évidence. Une pénurie de puces informatiques a mis à l’arrêt des usines automobiles aux États-Unis et en Europe, ce qui a entraîné du chômage, des déficits et des hausses de prix.
Cette dépendance constitue un risque économique, mais surtout un problème stratégique. En période de conflit, ces chaînes mondiales sont trop fragiles. La Maison Blanche le dit elle-même : la situation actuelle « compromet notre capacité à produire des biens essentiels pour la population et l'armée, mettant ainsi en péril la sécurité nationale »viii.
Ils veulent ramener aux États-Unis les secteurs stratégiques (militaire, technologique comme la biotechnologie, les batteries, la microélectronique) ou les renforcer (« Made in America »). Comme mentionné plus haut, Biden a tenté de le faire à l’aide de subventions (IRA). Trump veut maintenant utiliser des droits de douane.
Déconnexion de la Chine, mais pas d'emplois pour les travailleurs américains
Parce que Trump dépasse largement les droits de douane ciblés sur certains secteurs, il est clair qu'il veut aller plus loin. Il souhaite déconnecter en grande partie l'économie des États-Unis de celle de la Chine. En 2024, le pays a importé pour près de 439 milliards de dollars de produits chinois, ce qui a entraîné un déficit commercial de plus de 295 milliards de dollars. Il s'agit de biens de consommation, de composants industriels critiques et de produits semi-finis.
Cette dépendance à l'égard du rival stratégique constitue donc un problème croissant pour l'establishment étasunien. L'escalade des droits de douane doit rompre ces liens. Trump espère que d'autres pays, en Asie ou en Amérique latine, par exemple, s'engouffreront dans la brèche et reprendront la production de biens de consommation bon marché, attirés par des tarifs douaniers avantageux à l'issue de négociations.
Cela montre immédiatement le mensonge derrière la promesse de Trump à la classe travailleuse de son pays. Il a affirmé que les droits de douane permettraient de rétablir les emplois disparus en raison du libre-échange néolibéral. Pourtant la déconnexion de la Chine n'amènera pas ces emplois en masse aux États-Unis, mais bien dans d'autres pays à bas salaires plus faciles à garder sous le coude. Le modèle néolibéral d'exploitation d'une main-d'œuvre bon marché n'est pas aboli, il est simplement réorganisé géographiquement sous le contrôle des États-Unis.
La Chine riposte et propose des alternatives
La Chine ne subit pas la guerre tarifaire sans réagir. Elle a répondu en imposant ses propres taxes, pouvant aller jusqu'à 125 %, sur les produits des États-Unis (machines, produits chimiques, pièces d'avion) et en imposant des restrictions (films hollywoodiens, exportations de terres rares). Pékin affirme avoir « suffisamment d'autres moyens » pour répondre à Washington.
Les États-Unis sont un marché d'exportation important pour la Chine (environ 15 % des exportations chinoises en 2023). La déconnexion que Trump veut imposer pousse le pays à vendre ces produits ailleurs. Pour cela, l'initiative de la Nouvelle route de la soie, ou Belt and Road Initiative (BRI), est cruciale : le commerce avec les pays partenaires de la BRI représentait plus de 50 % du commerce extérieur total de la Chine en 2024. Celle-ci affirme vouloir poursuivre dans cette voie.
De plus, la Chine n'est pas le seul pays touché. La guerre tarifaire déclenchée par Trump expose très clairement les intérêts et la stratégie des États-Unis. Cette situation est problématique pour de très nombreux pays et alimente la résistance.
Partout dans le monde, les pays cherchent à être moins dépendants des États-Unis. Au sein d'alliances comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, récemment élargies à l'Égypte, l'Éthiopie, l'Iran, les Émirats arabes unis et l'Indonésie), des structures commerciales et des systèmes financiers alternatifs (tels que BRICS Pay) sont en cours d'élaboration pour briser la domination du dollar et des réseaux financiers occidentaux comme SWIFT. La situation géopolitique accélère cette tendance à être moins dépendant du dollar, même si un détachement complet n'est pas encore pour demain.
Des opportunités nées du chaos
Trump joue avec le feu. Comme le montre l'histoire, une guerre commerciale à grande échelle peut être le précurseur d'un conflit militaire. Mais sa démarche brutale expose également la véritable nature de l'impérialisme américain : il ne pense qu'à lui-même. Lorsqu'il est dominant, il prône le libre-échange pour ouvrir les marchés. Lorsqu'il est menacé, comme par la montée en puissance de la Chine, il recourt sans hésiter au protectionnisme et à la guerre économique.
Cela ne laisse personne indifférent, en particulier les pays du Sud. De plus en plus de voix demandent l’abandon des liens avec les États-Unis et l’adoption d’une coopération Sud-Sud, fondée sur l'égalité et le bénéfice mutuel, plutôt que sur la dépendance. Cela offre aux pays la possibilité de se développer industriellement et de créer des richesses pour leur propre classe travailleuse, indépendamment du capital américain.
L'Europe est également confrontée à ce choix. Sommes-nous en train de suivre le chemin de Meloni, de danser sur l'air de Trump dans l'espoir d'une aumône ? Ou allons-nous choisir notre propre voie en reconnaissant que le monde est plus grand que l'Atlantique ?
L'Europe doit donc renforcer sa propre industrie. Des opportunités de redéveloppement industriel ont été manquées à plusieurs reprises au cours des dernières décennies. Les constructeurs automobiles européens sont donc à la traîne dans le développement de voitures électriques abordables. L'expansion des lignes de production d'acier vert ou d'un réseau d'hydrogène est retardée de plusieurs années. Certains projets sont même arrêtés. En outre, les prix élevés de l'énergie rendent la production dans le secteur chimique européen beaucoup plus coûteuse qu'aux États-Unis. Enfin, dans le développement des nouvelles technologies numériques, l'Europe est également devenue un acteur de troisième ordre.
Les investissements militaires massifs qui sont actuellement déclarés partout sur notre continent ne sont pas ce dont nous avons besoin. Ils contribuent à peine à l'économie et augmentent les risques de conflit au lieu d'assurer une véritable sécuritéix.
Si nous voulons réparer notre économie à l'époque des tarifs douaniers de Trump, nous ne pouvons pas suivre les mêmes recettes qui l’ont démolie au cours des dernières décennies. Elles ont fortement réduit les investissements publics et permis au profit privé de prendre le pas sur l'investissement industriel.
Nous devons inverser la tendance. Nous devons mettre fin à la course aux armements et nous engager à réaliser des investissements publics dans les infrastructures et les technologies vertes, ainsi que dans une énergie abordable que nous prendrons en main démocratiquement. Enfin, nous devons augmenter les salaires afin que la consommation puisse renforcer l'économie. Le secrétaire général adjoint du PTB, Benjamin Pestieau, et l'expert industriel Max Vancauwenberge ont expliqué cette vision industrielle dans Lavax.
En ce qui concerne le commerce, nous devons nous tourner vers le Sud pour trouver la solution, comme le souligne à juste titre l'économiste Mariana Mazzucato. Là-bas, les pays appellent à saisir ce moment pour réévaluer les relations mondiales, s'attaquer à l'injustice sociale et climatique avec la guidance des gouvernements, et non en faisant une confiance aveugle au marché. C’est essentiel, non seulement pour l'égalité, mais aussi pour relancer l'économie mondiale sur la base de la coopération et du gagnant-gagnant, plutôt que sur celle de la domination des États-Unis.
ihttps://www.aljazeera.com/news/2025/4/28/trump-china-tariff-war-whos-winning-so-far
iihttps://edition.cnn.com/2025/04/22/business/trump-china-trade-war-reduction-hnk-intl/index.html
iiihttps://www.theguardian.com/us-news/video/2025/apr/09/they-are-kissing-my-ass-trump-says-countries-are-pleading-to-negotiate-tariffs-video
ivhttps://www.euronews.com/my-europe/2025/04/11/spains-pedro-sanchez-aims-for-closer-trade-ties-with-china-amid-us-tariffs-uncertainty
vhttps://budgetlab.yale.edu/research/state-us-tariffs-april-15-2025
vihttps://lavamedia.be/fr/inflation-ou-pas-cest-la-lutte-des-classes-qui-determine-qui-paie//
viihttps://jacobin.com/2025/04/price-gouging-trump-tariffs-ftc
viiihttps://www.whitehouse.gov/fact-sheets/2025/04/fact-sheet-president-donald-j-trump-declares-national-emergency-to-increase-our-competitive-edge-protect-our-sovereignty-and-strengthen-our-national-and-economic-security/
ixhttps://www.standaard.be/opinies/meer-defensie-uitgaven-goed-voor-de-economische-groei-dat-is-een-fabeltje/63759251.html
xhttps://lavamedia.be/fr/lindustrie-est-a-nous-neuf-principes-pour-sauver-lindustrie-en-europe/