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SNCB : la Vivaldi ouvre dangereusement la porte de la privatisation

Malgré des annonces de réinvestissement dans le rail belge, la Vivaldi ne rompt pas avec la logique européenne qui pousse à la privatisation. Une occasion manquée. Au détriment des usagers et de la qualité du service.

Mardi 13 octobre 2020

Michaël Verbauwhede et Maria Vindevoghel

Avec les écologistes au gouvernement, on aurait pu s’attendre à un vent nouveau en matière de mobilité. C’est vrai qu’on note un changement « en surface » par rapport aux « années Galant/Bellot » : réinvestissement dans le rail, volonté de s’inscrire dans une vision à long terme (encore à réfléchir), développement des trains de nuit, ou encore du transport de marchandises par train. Autre bon point : l’annonce du maintien de la SNCB comme seul opérateur de transport de voyageurs pendant les 10 prochaines années.

Ce dernier point est d’autant plus important que beaucoup craignaient l’ouverture du rail à la concurrence avec le nouveau gouvernement. Contre l’avis des usagers, des cheminots, et d’une série d’universitaires engagés, réunis pour l’occasion dans un front commun peu banal. La libéralisation a fait l’objet de nombreuses luttes sociales aux chemins de fer ces dernières années. Le maintien du monopole public pour la SNCB a donc un goût de victoire pour ce front commun.

Mais ne nous réjouissons pas trop vite : l’accord de gouvernement ouvre la porte à la privatisation d’au moins deux manières différentes.

Ouverture à la concurrence privée sur un projet pilote

Première menace : l’ouverture du réseau ferroviaire à des opérateurs privés. Le texte de l’accord permet la mise en œuvre d’un « projet pilote (…) dans un bassin de mobilité, où un seul opérateur (…) pourra être désigné par voie d'appel d'offres ». En clair, dans une région donnée (la presse évoque la province du Limbourg), un appel d’offres pourrait être lancé, mettant en concurrence la SNCB avec d’autres opérateurs (la presse évoque l’opérateur privé Arriva) pour le transport de passagers. Le vainqueur remporterait le « marché » et l’exclusivité sur ces lignes régionales.
Lors du débat sur l’accord de gouvernement, le nouveau Premier ministre Alexander De Croo a confirmé ces expériences-pilotes. L’objectif affiché est de « regarder si cela fonctionne, et (…) vérifier si la SNCB serait prête si on était obligé de libéraliser ».

Contrairement à une croyance répandue, rien n’oblige la Belgique à libéraliser. Pour bien comprendre ce dernier passage, il faut examiner la logique du « quatrième paquet ferroviaire » de l’Union européenne. Auparavant, le monopole public était la règle. La concurrence (libéralisation) était l’exception. La nouvelle réglementation inverse la logique : la règle devient la concurrence et le monopole public l’exception. Il reste donc totalement possible de ne pas ouvrir le rail belge à la concurrence. Plutôt que de créer une digue pour protéger l’entreprise publique, l’accord de gouvernement, en permettant ces projets, ouvre la brèche pour le privé. Un dangereux précédent… et un choix purement politique.

Comme l’a rappelé le nouveau ministre de la Mobilité Georges Gilkinet (Ecolo) sur Bel RTL, ce projet s’inspire de la gestion de la mobilité aux Pays-Bas. Chez nos voisins du Nord, les opérateurs privés remportant un marché reçoivent d’importants subsides. L'occasion de rendre le train moins cher pour les usagers ? Non : les tickets coûtent entre 20 et 50 % de plus que chez nous. Les tarifs aux Pays-Bas ont augmenté plus rapidement que partout ailleurs en Europe.

La qualité du service laisse aussi à désirer : un train néerlandais sur quatre est en retard, pour entre un et deux sur dix en Belgique (si on se base sur le même critère). Le très libéral cabinet de consultance Boston Consulting Group confirme la piètre qualité du service, qui place les Pays-Bas en queue de classement en Europe dans ce domaine, derrière la Belgique. Pas vraiment un « modèle » de service public de qualité, donc.

La SNCB vendue au privé ?

Le gouvernement ouvre une autre porte : celle qui permet de faire entrer « l’expertise du privé » au sein de la SNCB. Derrière ces mots en apparence anodins se cache la possibilité de vendre une partie du capital de la SNCB au privé.

Aujourd’hui, la SNCB est une société anonyme de droit public détenue entièrement par l’État. Alexander De Croo n’a jamais caché sa volonté de vendre une partie du capital de la SNCB au privé. En 2016, il déclarait dans la presse : « C'est le moment de se mettre à la recherche d'un partenaire privé disposant de l'expertise pour la SNCB, qui a besoin d'un vent nouveau. »

C’est ce qu’il s’est passé à bpost. Derrière l’excuse de faire rentrer « l’expertise du privé », on casse petit à petit la logique de service public (course à la rentabilité, création de sous-statuts de travailleurs, augmentation des tarifs…). Notons que cette possibilité est compatible avec le maintien du monopole pour la SNCB pour 10 ans. Comme bpost, détenu à 50 % par un fonds d’investissement, qui conserve le monopole de distribution du courrier sur le territoire.

Cette idée prouve l’énorme mépris pour l’expertise « publique » de plus de 30 000 cheminottes et cheminots. Ils n’ont pas besoin de quelques managers du privé, payés des milliers d’euros par mois et biberonnés aux théories néolibérales dans des grandes écoles de commerce. Ce dont les cheminots ont besoin, c’est qu’on leur donne les moyens et les outils de réaliser correctement leur travail (transporter les usagers). C’est devenu presque mission impossible après des années d’austérité, de désinvestissement, de déshumanisation du rail, ou de projets grandioses à plusieurs centaines de millions d’euros qui empêchent les investissements là où ils sont nécessaires.

L’« expertise privée » a déjà montré son inefficacité aux chemins de fer

La soi-disant « expertise du privé » et son obsession de la rentabilité sont déjà présents à tous les étages au sein des chemins de fer.

  • Près de 33 millions d’euros ont été dépensés ces cinq dernières années en frais de consultance au privé. Les derniers CEO de la SNCB sont tous issus du privé (Descheemaecker, Cornu, Dutordoir), certains étant d’ailleurs très grassement payés. Résultat ? Une ponctualité en chute libre (avant la crise du coronavirus).
  • La SNCB sous-traite en grande partie au privé le nettoyage des trains. Les usagers l’expérimentent tous les jours : les trains sont loin d’être tous propres.
  • Autrefois entièrement aux mains de la SNCB et donc public, le transport de marchandises par train a été privatisé. Il est aujourd’hui en partie assuré par Lineas (ex B-Logistics). La part de marchandises transportées par train n’a jamais été aussi basse qu’aujourd’hui. L’ex-entreprise publique est aujourd’hui en faillite virtuelle et demande de l’aide à l’État pour survivre.

Cette logique a été suivie dans de nombreuses entreprises publiques en Belgique. Bpost en est un exemple. Les travailleurs n’ont pas tous le même statut. Les conditions de travail sont extrêmement difficiles. Un facteur avec dix ans d'ancienneté touche 1 635 euros net. Est-ce cela le modèle de la Vivaldi pour les chemins de fer ?

« Préparer la libéralisation »

Si rien ne semble totalement décidé, l’accord est quand même une occasion manquée de rompre avec la logique de l’Union européenne qui pousse à la libéralisation. Le texte est clair : le gouvernement veut « préparer la libéralisation ». Il prévoit donc de « poursuivre les efforts de hausse de la productivité » (faire plus avec moins de personnel) initiés par Jacqueline Galant, que socialistes et écologistes critiquaient pourtant depuis l’opposition.

Autre exigence pour le chemin de fer : inscrire un critère de « rentabilité » au sein du futur contrat de gestion de la SNCB. Comment un service public peut-il devenir « rentable » ? En augmentant le prix des billets sans doute. Ce n’est donc pas un hasard si l’accord prévoit de donner une plus grande autonomie à la SNCB pour fixer ses tarifs. « La SNCB pourrait en profiter pour augmenter les tarifs aux heures de pointe », s’est déjà inquiété l’asbl Navetteurs.be.

On doit pourtant rappeler que baisser les tarifs attire les usagers, comme le montre l’expérience des 12 tickets gratuits. Parmi les 3,6 millions de Belges qui les ont commandés, au moins 360 000 demandeurs (soit 10 %) ont indiqué n’avoir jamais pris le train. Pourquoi le gouvernement ne s’inspire-t-il pas de cette expérience, s’il veut effectuer un « transfert modal durable » ?

Pour un rail performant et public

L’accord de majorité loupe le coche sur le rail. Outre un réinvestissement, une réforme ambitieuse aurait été de procéder à un fusion d’Infrabel (gestionnaire d’infrastructures) et de la SNCB (qui fait rouler les trains).

Cette scission a été réalisée en 2012 comme une étape vers la libéralisation. Inefficace, elle complique la communication sur le terrain. Elle est aussi coûteuse pour le rail : double structure de management, deux fois plus de services centraux (comptabilité, service juridique…). Cette inefficacité est largement reconnue. Même l’ancien ministre de la mobilité, François Bellot (MR), avait plaidé pour la fusion.

Or, l’accord de gouvernement est muet sur ce point. Opérer ce revirement, permis par la législation européenne, aurait permis de développer un rail plus efficace.

Le rail a un superbe avenir devant lui. Il peut devenir la colonne vertébrale de la mobilité de demain. Mais pour cela, l’État doit le garder entre ses mains, et laisser la porte fermée à la privatisation. C’est une condition sine qua non pour un rail performant.