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Publifin saison 2 : la privatisation ou le hold up du siècle

Dans la série Casa De Papel, les braqueurs imaginent un plan qui leur permet d’imprimer des billets de banque sous le nez des autorités. Peut-être inspirés par cela, des politiciens et capitalistes wallons sont occupés à monter le hold up du siècle. Mais la comparaison s’arrête là, car, si le plan des héros de la fameuse série vise à ne pas voler le peuple, celui des larrons dont il s’agit ici est un véritable pillage du patrimoine public. Voici venue la suite de la saga Publifin.

Samedi 7 septembre 2019

Pour rappel, la saison 1 avait révélé en 2017 comment l'establishment politique liégeois s'enrichissait avec l'argent public dans le cadre de l'intercommunale Publifin. Le casting de la saison 2 reprend une bonne partie des acteurs de la saison 1 auxquels viennent s'ajouter des politiciens de toute la région wallonne et quelques grands capitalistes. La trame ? C'est tout simplement le scénario du pire : la privatisation d’un grand nombre de joyaux du groupe Publifin (rebaptisé Enodia). Alors qu’on nous annonçait plus de démocratie, de transparence et de contrôle public, c’est tout le contraire qui se passe. Pourquoi les choses ne se passent-elles pas comme elles devraient ?

Depuis trois ans, toute une machine se met en route pour pousser jusqu’au bout la logique qui est à l’œuvre depuis le début dans la gestion de Publifin et toutes ses filiales. Les partis traditionnels de Liège (avec l’aval des états majors francophones du PS, du MR et du cdH) préparent, en fusion totale avec le petit monde des capitalistes industriels et financiers liégeois, la privatisation de ce qui pourrait rapporter le plus. Tout en permettant, éventuellement, à Stéphane Moreau, celui qui était au cœur du scandale, d’en ressortir avec plus de pouvoir (et d’argent).

Récap’

Commençons par le point de départ. Juste après la commission Publifin, les partis traditionnels avaient promis du changement : plus de contrôle démocratique sur Publifin-Enodia, la fin des rémunérations honteuses et le départ de Stéphane Moreau. Or, les partis traditionnels liégeois, avec l’appui du monde capitaliste local et des représentants des partis traditionnels wallons, se sont assis sur ses promesses.

1. La commission avait demandé plus de transparence et de contrôle des actionnaires communaux en exigeant la suppression de Finanpart, la société écran située entre Publifin-Enodia et Nethys qui empêche le contrôle des actionnaires publics communaux et provinciaux sur les gestionnaires de Nethys. Trois ans plus tard, où en est-on ? Finanpart n'est pas supprimé. Pire encore : de nouvelles portes blindées ont été rajoutées pour empêcher d'avoir un regard et un droit de décision direct sur les filiales de Nethys. Si le contrôle direct de Resa par les communes a bien été restauré (ce qui est positif), le reste de la structure s'est encore complexifié car de nombreuses filiales de Nethys sont désormais chapeautées par deux nouvelles sociétés. Newco1 (dont Nethys est actionnaire à 99 %) est la première de ces sociétés. C'est l'actionnaire des filiales dites « concurrentielles », à savoir principalement Win (une société informatique stratégique qui gère le stockage des données et qui possède le Wallonie Data Center) et Elicio (une société qui produit de l'éolien, notamment en mer du Nord). Les administrateurs de cette société sont les mêmes que ceux de Nethys. Newco 2, dépend de Newco1. Elle a depuis été rebaptisée VOO SA. Elle possède les actifs de trois filiales de Nethys : ACM, BETV et Wallonie-Bruxelles Contact Center (WBCC) qui ensemble, constituent la société Voo.

2. Cette même commission avait aussi demandé un renforcement du contrôle public sur les activités de Publifin-Enodia et Nethys. C’est le contraire qui s’est passé. Car en plus d’une complexification de la structure, le CA de Nethys, le cœur de l'intercommunale liégeoise, a été modifié pour donner plus de pouvoir aux investisseurs privés. Il faut lire l'article « les coulisses de Nethys : pourquoi rien ne change / ou si peu » (https://archive.ptb.be/articles/les-coulisses-de-publifinnethys-pourquoi-rien-ne-change-ou-si-peu), pour avoir une vue détaillée de cette composition. Rappelons que Pierre Meyers, qui possède une fortune personnelle de 76 millions et qui est l'ancien co-actionnaire principal de la multinationale liégeoise CMI, est devenu président du conseil d'administration de Nethys. Rappelons aussi que François Fornieri, le patron de l'entreprise Mithra, qui possède une fortune personnelle de 356 millions d’euros et qui est le 61e homme le plus riche de Belgique, est aussi administrateur de Nethys. Aujourd'hui, le CA est composé de la fine fleur des millionnaires locaux et de représentants de partis politiques habitués à gérer des entreprises privées. Rappelons pour plus de clarté que ces choix sont ceux des partis politiques traditionnels liégeois qui ont procédé aux nominations de ce nouveau CA…

3. La commission avait aussi demandé le départ de Stéphane Moreau de ce CA et de l’ensemble des structures du groupe. Dans ces conclusions, elle demandait d'« écarter les personnes dont la responsabilité est engagée dans les manquements et dysfonctionnements identifiés dans le présent rapport des organes de l’ensemble des filiales du Groupe Publifin. » Qu'en est-il ? Non seulement Stéphane Moreau est toujours administrateur délégué de Nethys, mais il reste administrateur à la Socofe, la société de financement wallonne chère à Jean-Claude Marcourt. Depuis le scandale, il est même devenu administrateur de nouvelles sociétés : Publigaz, Newco1 et Newco2 (VOO SA). Il est l'administrateur délégué de NEWCO1 et le président de NEWCO2... Ce détail n'en est pas un et a toute son importance pour comprendre la stratégie de privatisation en cours.

Objectif stratégique : privatiser

Depuis longtemps, le souffle de la privatisation se fait sentir dans les filiales de Publifin. Le processus fait partie de la vision défendue par les plus hauts responsables politiques wallons. Par exemple, Jean-Claude Marcourt, en 2017, déclarait à propos de Nethys : « Mettons, pourquoi pas, une partie en bourse si on veut des règles de transparence. » Jusque là, le principe même d'intercommunale en place chez Publifin-Enodia rendait difficile d'accentuer le processus de privatisation.

Pourtant, aujourd'hui, les représentants des partis traditionnels utilisent la commission d'enquête pour privatiser « afin de répondre aux prescriptions de la commission ». En réalité, cette justification est en trompe l’œil. Car ce n'est pas ce qu'a vraiment demandé la commission.

Le rapport final de la commission d'enquête, qui s'est penché sur la question, a conclu sur la recommandation suivante : « Engager les organes des différentes entités du groupe PUBLIFIN-NETHYS, [...] , notamment en envisageant de céder à des tiers certaines participations, liées notamment à des activités situées à l’extérieur du pays, dans des conditions optimales sous l’angle économique, ou de céder à des sociétés publiques régionales les participations liées à des activités qui dépassent le périmètre d’intervention de l’intercommunale ».

Traduction ? Revendre les activités liées à des activités en dehors du pays, comme les parts du groupe Publifin-Enodia dans le journal Nice Matin ou la Provence, c'est logique. Quant à celles qui se passent ici, s’il faut réfléchir à revendre des parts de sociétés qui n'ont rien à voir avec les missions de l'intercommunale Publifin-Enodia, alors autant que ça soit à des sociétés publiques régionales. Il n'y a donc pas dans cette recommandation de la commission un appel à privatiser les activités « concurrentielles ».

Cela n'a pas empêché le CA de Publifin-Enodia de s'accorder officiellement, en janvier 2018, sur la stratégie suivante : « Faire évoluer Enodia, de telle manière à ne plus détenir de participations majoritaires dans des secteurs concurrentiels ». En d’autres mots, Publifin-Enodia ne peut plus contrôler des sociétés majoritairement dans des secteurs concurrentiels. Elle doit donc vendre au privé, c’est-à-dire privatiser. C’est le phénomène que nous craignions dans l’article publié quelques mois auparavant, en février 2018, intitulé « Publifin : multinationale ou intercommunale ? » https://archive.ptb.be/articles/publifin-intercommunale-ou-multinationale

Privatiser quoi ?

En conséquence, le CA de Nethys a défini ce qui était privatisable et sa valeur. Le choix (en tenant en compte que ces informations tombent au compte goutte et que l’opacité sur ce processus est huilé) se serait fixé sur quatre pôles de Nethys :

  • Le producteur d’énergie renouvelable éolien terrestre et maritime Elicio et toutes ses filiales (notamment des filiales de production d'éolien à la mer du Nord).
  • Le pôle assurance avec le groupe Integrale.
  • La société Newin, qui permet de stocker les données internet de millions d’usagers, ainsi que ses filiales.
  • Et finalement, sur trois sociétés (ACM, BE TV et WBCC) qui ont fusionné pour former une société juridique nommée « Voo société anonyme ».

Le point commun entre toutes ces sociétés ? Elles font partie de ce qu'on appelle « les activités concurrentielles de Nethys ». En d'autres termes, la stratégie de l'establishment liégeois et wallon est de privatiser une bonne partie de la production d'électricité (Elicio), les assurances du groupe, le stockage des données informatiques, le câble, ses opérateurs et les services qui y sont liés. Soit toutes les sociétés citées plus haut qui ont été logées dans les filiales Newco1 et Newco2. Pourquoi ? C'est un choix purement idéologique. Sous prétexte que ces secteurs seraient concurrentiels, qu'il n'y a pas de monopole public et que le marché est libéralisé, il faudrait procéder à leur privatisation.

Pourtant, s'ils sont malheureusement soumis aux règles de la concurrence, ces secteurs restent stratégiques. Voo, par exemple, est câblo-opérateur, gère le réseau de télévision wallon par câble et propose aussi un accès à Internet. Posséder Voo, c'est donc posséder l’infrastructure par laquelle transitent les milliards de données digitales partout en Wallonie. Elicio, par exemple, est une société publique qui gère la production éolienne aussi bien terrestre que maritime. Dans les deux cas (et ce constat est valable pour les autres bijoux que Publifin-Enodia veut privatiser), il est nettement préférable que le public soit aux commandes que le privé.

De plus, Voo, en tant que société publique, est une société qui rassemble plus de 600 travailleurs, dont presque 400 travaillent dans le call center situé aux Hauts-Sarts à Herstal. Qu'adviendra-t-il de ces travailleurs et de ce call center si Voo est revendu à une multinationale ? Il est loin d'être impossible que ce call center soit délocalisé là où les salaires sont encore plus bas qu'ici. Lutter contre la privatisation, c'est donc aussi défendre l'emploi.

Un dernier argument pour la route ? Les sociétés d'actionnariat public distribuent des dividendes aux communes et provinces actionnaires. C'est le cas aussi du câblo-opérateur. Depuis 20 ans, le câblo-opérateur liégeois (ALE/Teledis, devenu d’abord Tecteo, puis Voo) a redistribué 8 423 419 d’euros à la commune de Liège, 3 010 912 d’euros à la commune de Seraing et 1 704 487 d’euros à la commune d’Herstal, pour ne prendre que ces quelques exemples. Les défenseurs de la privatisation diront que, ces dernières années, Voo fait des pertes. Mais ce n'est pas un argument pour justifier la vente au privé. Car ces pertes sont temporaires et sont liées aux gros investissements qui ont été réalisés ces derniers temps. Et, si des investisseurs privés sont prêts à racheter Voo au prix fort, c'est que le retour sur investissement espéré dans le futur est important. Le point de vue du PTB est clair. Ce retour sur investissement doit revenir aux communes et aux provinces qui pourront l'utiliser pour mener une politique sociale et créer de l'emploi. Cela ne doit pas revenir à des millionnaires, milliardaires et multinationales qui profiteraient des investissements publics pour encore faire plus de profit.

Encore un coup des Liégeois ?

Les plus simplistes réduiront cette stratégie de privatisation à un coup des Liégeois. Il est vrai que les cadres du PS, du MR, suivis par ceux du cdH en Cité ardente ont certainement réfléchi de longues heures à cette stratégie. Mais ils ne sont pas les seuls... Car ces sociétés publiques, mises en vitrine, aiguisent les appétits. La ministre de tutelle, la libérale Valérie De Bue, est une partisane de cette stratégie. Tout comme un autre ministre libéral, Willy Borsus, qui aurait accompagné Stéphane Moreau dans des réunions avec des investisseurs potentiels.

Et, dans la valise présentée aux investisseurs, il y a du lourd... La multinationale Mc Kinsey a commencé à évaluer la valeur de Newin, Voo et Elicio. Voo, dont le processus de privatisation semble être le plus avancé, aurait, selon Mc Kinsey, des capitaux propres pour 623 millions euros. Est-ce la valeur réelle ? C’est en tous cas le montant qui a été déterminé pour calculer la valeur comptable de la société Newco2, qui s’est transformée en VOO SA. C’est donc devenu le montant officiel. Mais ce moment pose questions. Un article du Vif évalue la valeur de la société à plus de 1,65 milliards. Certains, comme le Crédit suisse, établiraient la valorisation nette de Voo à 1,5 milliards d’euros.1 Une sous estimation de la valeur de la part de Nethys pour permettre ensuite un bénéfice record à son futur acquéreur ? Possible. Mais de là à le certifier, il y a un pas à ne pas franchir.

Bruxelles arrive

Dans ce jeu financier où l'on parle en milliards, les décideurs bruxellois et carolos ne sont pas en reste. Car le câblo-opérateur Voo n'est pas seul en Wallonie et à Bruxelles. En effet, 6 communes bruxelloises (Ixelles, Auderghem, St Gilles, Woluwé-Saint-Pierre, Evere et Uccle), ainsi que 21 communes wallonnes (dont Charleroi) se sont regroupées au sein de l'intercommunale Brutele, un autre câblo-opérateur. Or les actionnaires de Brutele seraient prêts à vendre leur intercommunale. Cette entreprise serait valorisée à hauteur de 300 millions d’euros. À côté des prétendants au rachat que sont Orange et Telenet, les représentants de l'intercommunale liégeoise se pressent aussi au portillon. Autant dire que si Voo en devient acquéreur, la valeur de la société liégeoise n'en sera que plus grande.

C'est pourquoi un rapprochement est en cours. Un accord de principe a déjà été trouvé, le conseil d'administration de Brutele ayant donné son accord pour entamer les négociations « aux meilleures conditions possibles dans l'intérêt des 27 communes » [de Brutele]. Tout cela sous la direction de l'ancienne échevine socialiste de Charleroi Anne-Marie Boeckaert, qui est actuellement présidente du CA de Brutele et de la MR Nathalie Gilson, ancienne échevine d'Ixelles.

Du monde au balcon

La stratégie est donc de privatiser Voo (de préférence après le rachat de Brutele). Mais qui est candidat ? Incroyable mais vrai : celui qui est devenu un des hommes politiques les plus détestés de la population suite à l'affaire Publifin fait partie des acquéreurs potentiels. Ses supporters ? Ils sont très nombreux. À commencer par ses collègues du PS et des autres partis traditionnels, qui, même s'ils l'ont lâché face caméra pendant le scandale, s'agitent en coulisses pour l'aider.

Quel est donc le plan de Stéphane Moreau dans cette histoire ? Il s’agirait pour lui d’acheter les parts (ou une partie des parts) de Newco2 (la société Voo), la société publique dont il est actuellement président, et d’en devenir le dirigeant à titre privé.

Pour y arriver, Stéphane Moreau a besoin d’argent. L’homme est riche, très riche même. Mais a-t-il la capacité d’acheter la majorité de l’actionnariat de Voo seul ? C’est peu probable. Moreau va certainement avoir besoin de capitaux. Et donc d’autres capitalistes qui, encore plus que lui, ont de l’argent pour investir en vue de faire un maximum de profit. On sait depuis longtemps qu'Orange et Telenet sont des acheteurs potentiels (comme pour Brutele). Mais certains investisseurs privés moins connus seraient intéressés. Un article de l'Echo évoque Providence Equity (acteur américain des telecoms) ou KKR (private equity americain), CVC Capital Partners ou Xavier Niel. Des inconnus pour nous. Mais par pour ceux qui nous dirigent. Ils sont d'ailleurs habitués à faire affaire ensemble. Par exemple, Xavier Niel est un capitaliste français qui a racheté les parts de Nethys dans les journaux Nice Matin et la Provence. CVC Capital partners est un ancien actionnaire de Bpost qui a investi à l'époque de la libéralisation du secteur postal en Belgique pour revendre ses parts peu après et empocher, avec la bénédiction du gouvernement de l'époque, un juteux bénéfice...

Mais, apparemment, ils ne sont pas les seuls candidats au hold-up.

Car pour réussir son coup, Stéphane Moreau a besoin d'un homme de confiance, d'un partenaire. Cet homme, c'est François Fornieri. Il connaît bien le milieu politique liégeois et wallon et il a l’oreille attentive auprès des décideurs. Il est même présenté comme une icône. Ce statut est intéressant car il facilite et garantit la complicité des politiciens.

Qui est François Fornieri ?

De prime abord, c'est un homme qui compte. Il est connu comme patron de Mithra, souvent présentée comme une société innovante qui prouve le dynamisme de l’économie liégeoise et wallonne. Il a commencé sa carrière comme délégué médical auprès du groupe pharmaceutique Sanofi. Puis il est devenu responsable des ventes de la société allemande Schering pour le Benelux. En 1998, il participe à la création de Mithra Pharmaceuticals, dont il finit par prendre le contrôle. Manager de l’année en 2011, il est soutenu à bout de bras par Jean-Claude Marcourt et Elio di Rupo et a été élevé au titre du « mérite des officiers wallons », octroyée par le gouvernement wallon, en 2013. Il est « citoyen d’honneur de la ville de Liège » et « Ambassadeur de la Province de Liège ». Il devient même vice président de l’Union wallonne des entreprises. Et en 2017, au lendemain du déclenchement du scandale Publifin, il devient administrateur de Nethys. Et il accède directement à la fonction de président du comité de rémunération de cette société. C’est lui, donc, qui est désigné par les partis traditionnels pour fixer le salaire de Stéphane Moreau.

Fornieri est en fait de tous les coups du capitalisme liégeois. Sa stratégie ? Recevoir l’argent public pour pouvoir s’enrichir personnellement. Après avoir pris le contrôle de la société Mithra, il reçoit du Plan Marshall et de Meusinvest (une société d’investissement liégeois publique privée dirigée par l’Ecolo Jean-Michel Javaux et dont il est lui-même administrateur) des subsides publics.

Peu avant 2015, il demande des investissements supplémentaires aux pouvoirs publics pour le sauver. Même s’il sera accusé par après d’avoir manipulé son plan financier pour justifier cette demande de capitauxi, les pouvoirs publics ne seront pas très regardants : il va recevoir 7,7 millions d’euros de Meusinvest, 10 millions de la Société Régionale d’Investissement wallonne (SRIW) et 10 millions d’euros d’Ogeo Fund, le fonds de pension de Publifin-Enodia, dirigé par Stéphane Moreau. En 2015, suite à l’investissement de son nouvel ami Marc Coucke, Mithra Pharmaceuticals se lance en bourse. Aujourd’hui, selon les comptes 2018, et malgré tous ses subsides, la société Mithra Pharmaceuticals, le joyau de la réussite wallonne, a une perte cumulée de 64 millions d’euros. Rien que pour l’année 2017 (la dernière année comptable), elle a essuyé une perte, sur ses activités, de 27 millions d’euros… Paradoxalement, sa fortune personnelle a explosé. Il avait en 2015 une fortune personnelle avoisinant les 100 millions d’euros. En quatre ans, elle a quasiment quadruplé…ii

Pour aider à réussir ce casse du siècle, François Fornieri cumule quatre, voire cinq avantages.

Premièrement, il a des capitaux pour aider à acheter certains avoirs privatisables de Publifin-Enodia.

Deuxièmement, Stéphane Moreau lui a déjà rendu de grands services en investissant 10 millions d’euros dans Mithra avec le fonds de pension des travailleurs de Publifin-Enodia, Ogeo Fund. La filiale financière du fonds de pension Ogeo Fund (Ogesip Invest), qui est chargée de jouer l’argent des pensions des travailleurs des services publics liégeois en bourse est d'ailleurs devenue actionnaire de Mithra à hauteur de 3 %. Une telle aide, cela ne s’oublie pas.

Troisièmement, François Fornieri représente à lui seul ce que le capitalisme le plus évolué représente à Liège : un industriel qui, avec la complicité des partis traditionnels, s’enrichit avec les subsides publics et qui lui-même est appelé à gérer les entreprises et les groupes publics financiers dont il se sert pour s’enrichir.

Quatrièmement, et c’est la conséquence de ce troisième point, il connaît très bien Nethys et ses filiales (dont Voo) vu qu’il est lui-même devenu administrateur (et président du comité de rémunération) juste après le scandale.

Enfin, une dernière carte de François Fornieri pourrait aider à réaliser ce deuxième hold up : Fornieri connaît bien la Flandre. Or, si Fornieri et Moreau pensent à acheter Voo, ils pensent aussi certainement à le revendre après l’acquisition. Et dans les scénarios possible, la revente à l’opérateur Telenet (une filiale flamande de la multinationale américaine Liberty Global) est un des scénarios les plus envisagés.

En effet, Fornieri est non seulement associé, au flamand Marc Coucke (le 26 homme le plus riche de Belgique), mais son cercle de connaissances va bien au-delà. Par exemple, dans les actionnaires de Mithra, on trouve aussi le promoteur flamand Bart Versluys (le 88e homme le plus riche de Belgique qui possède une fortune de plus de 200 millions d’euros) ou encore Christiane Malcorps, qui fut tour à tour membre du club économique nationaliste flamand, membre du comité de direction de la Voka (le lobby patronal flamand) avant d’être membre du comité de direction de l’UWE (l’Union wallonne des entreprises).

Où creuser le tunnel ?

Le scénario de privatisation par rachat de Stéphane Moreau n’est pas nouveau. Il semble avoir déjà été entamé puis recalé au début de l’année 2019 par le ministre Marcourt. Il n’a pas été recalé sur le fond. Car l’establishment liégeois et wallon semble s’accorder sur ce scénario. Il a été recalé car il aurait trop fait mal au PS (et au MR) à quelques mois des élections. Mais, maintenant que les élections sont passées, les choses semblent se précipiter. Un journaliste du Soir a découvert au mois d’août que François Fornieri avait créé deux nouvelles sociétés qui comptaient, chacune d’elles, seulement deux administrateurs : François Fornieri lui-même et Stéphane Moreau en tant qu’administrateur délégué. Pourquoi faire ? Ardentia Holding servirait à racheter Voo et Ardentia Tech servirait à racheter Elicio et Newin. Interrogé, Fornieri n’a pas confirmé. Mais il n’a pas nié. Stéphane Moreau, lui, n’a pas réagi.

Si ce scénario se vérifie, Stéphane Moreau, avec l’aide de Fornieri, tous deux administrateurs de Nethys, rachèteraient Voo, la filiale de Nethys.

Si ce scénario aboutit, Moreau, Fornieri et leurs amis pourront en tirer un maximum de profit en toute légalité. Seuls, ou avec d'autres. En revendant Voo à un concurrent, comme évoqué ci-dessus, la plus-value est assurée. Le secteur est en plein boom et les acheteurs ne manquent pas.

Peut-on modifier le scénario de la saison 2 ?

Aujourd'hui, lorsque la commission demande le départ de Moreau, les partis traditionnels répondent : « C'est  hors de question ». Mais lorsque quelqu'un demande la privatisation, tous ces partis répondent en cœur : « On est d'accord ». Ce n'est pas une fatalité. La saison 2 n'est pas terminée et la saison 3 n'est pas encore écrite.

Jusqu’à présent, les saisons 1 et 2 nous ont appris que les partis traditionnels sont au service des entreprises privées. Qu'en Région wallonne, les partis traditionnels sont main dans la main avec les investisseurs privés. Que, là où le capitalisme est le plus mûr, les représentants politiques sont en symbiose avec les représentants des entreprises privées et qu'ils ne font, comme dans le cas de Nethys, tout simplement qu'un… Mais aussi que le capitalisme utilise la concurrence pour imposer sa dictature du profit. Et qu'au final, il concentre les richesses dans les mains d’une poignée de gens qui finissent par contrôler des secteurs entiers de la société, et qui, stimulés par la recherche active et permanente du profit, font peser sur les travailleurs tout le poids de leur enrichissement.

Cependant, la saison 1 a aussi montré comment les travailleurs ont réussi à imposer la création d'une commission d'enquête, alors que tous les partis traditionnels refusaient en bloc cette idée. Il est donc tout à fait possible que le rapport de force s'installe pour empêcher que les vœux de Moreau et consorts se réalisent.

Car, même si les défenseurs de la privatisation ont déjà écrit leur scénario, le tournage n’a pas encore eu lieu. Un retournement de situation est encore possible. La colère de millions de Belges a réussi à imposer un grand déballage des scandales de Publifin avec la commission d’enquête. Ces mêmes personnes peuvent encore réussir à faire entendre les intérêts du service public et de la démocratie en empêchant ce hold up. Le PTB mettra ses forces dans la bataille pour y arriver.

La privatisation dans les gènes du PS

Pourquoi, dès lors, le PS pousse-t-il à la privatisation ? Pour comprendre, il faut analyser les différentes étapes qui ont poussé à la situation actuelle. Au départ, que les secteurs soient soumis aux règles du marché (production électricité ou assurances) ou qu'ils soient encadrés par le public via un monopole (télé distribution puis câble), la force du mouvement social a permis que ces entreprises soient mis sous actionnariat exclusivement public.

Mais, petit à petit, la situation a évolué pour donner de plus en plus de place au marché. Les secteurs monopolistiques ont été libéralisé avec l'accord des pouvoirs fédéraux ou régionaux. Puis les sociétés évoluant dans ces secteurs soumis aux lois du marché ont développé une logique concurrentielle, dont les victimes ont été les usagers et les travailleurs de ces sociétés.

Pourtant, même dans cette situation de plus en plus gagnée à l'idéologie libérale, ces sociétés continuent à avoir des avantages par rapport aux entreprises privées qui la concurrencent. Premièrement, l'actionnariat public permet un minimum de contrôle public et démocratique. Deuxièmement, il permet aussi aux travailleurs de ces entreprises de continuer à bénéficier d'un cadre travail qui ne se confond pas complètement avec celui des multinationales. Troisièmement, la population exerce une certaine pression sur les responsables politiques de ces sociétés afin qu'ils garantissent un minimum de services publics (qualité, prix plus accessible que le privé, emplois locaux...). Enfin, ils garantissent que tout ce qui permet à une société de fonctionner, toutes ses artères principales, ne sont pas soumises à la dictature du profit.

Ces avantages théoriques, en fonction de l'état d'avancement de la privatisation et de la libéralisation de ces secteurs, ne sont pas toujours garantis dans l'ensemble. Mais il reste que cela en fait des sociétés qui sont socialement, économiquement et démocratiquement supérieures aux sociétés capitalistes privées.

Pourtant, ces quelques restes du service public peuvent disparaître, aux yeux du PS, qui a abandonné sa boussole idéologique. Le PS s'est aligné sur l'idéologie et la croyance libérale qu'il n'y a rien à faire contre le marché et que l'intérêt du marché est supérieur à l'intérêt public. Résultat ? Après avoir fossoyé nos services publics comme il l'a fait avec la Poste, Belgacom, la Sabena, la CGER et le Crédit communal ou la libéralisation de la distribution d'énergie, le PS continue à privatiser.

Le PS argumente en disant que les caisses communales sont vides et que l'argent de la revente de ces bijoux pourrait les renflouer. Mais cela ne tient pas la route. Cette opération n'aurait lieu qu'une fois. Or, en possédant ces sociétés publiques, les pouvoirs locaux permettent un retour financier régulier avec les dividendes et garantissent, via leur propriété, que les pouvoirs publics continuent à contrôler des parties stratégiques qui permettent à la société de fonctionner en faisant barrage au privé.

 

Et le salaire de Stéphane Moreau ?

Même les plus tièdes supporters des conclusions de la commission auraient au moins espéré que les sommes perçues par Stéphane Moreau, Alain Mathot, André Gilles et consorts soient remboursées et que le salaire de 1 million d’euros de Stéphane Moreau soit revu largement à la baisse et au minimum aligné sur les règles en vigueur (200 000 d’euros). Le résultat trois années plus tard ?

Concernant le remboursement, seulement un tiers des sommes perçues dans les réunions à 500 euros la minute ont dû être remboursés. Mais, surtout, les dirigeants de ce scandale (Moreau, Gilles, Mathot) et leurs adjoints (Pire, Drion, etc…) n’ont rien dû rembourser.

Le conseil d’administration de Publifin-Enodia n’a par ailleurs même pas exigé la réduction du salaire de Stéphane Moreau. Tout au plus le conseil d’administration s’est-il contenté d’une promesse, celle formulée par l’ancienne présidente du CA de Publifin-Enodia Stéphanie De Simone, que Stéphane Moreau avait bien accepté une diminution. Mais tout cela a été formulé oralement, sans aucune garantie et sans aucun contrôle démocratique, y compris même de la part de ceux qui sont censés contrôler. Donc le doute subsiste. Fortement.

 

Un petit mandat pour la route

Les raisons de la complexification de la structure de Publifin-Enodia sont-elles seulement à chercher dans la volonté de renforcer l’opacité de l’intercommunale ? Non. Il est clair que les dirigeants de Publifin-Enodia et de Nethys (la commission l’a largement démontré) ont toujours organisé l’opacité pour masquer l’enrichissement personnel et certains aspects dérangeants de la stratégie politique, financière et industrielle du groupe. Aujourd’hui, on a peut-être changé certains administrateurs chez Enodia, mais ceux-ci restent animés par la même logique que les précédents. Par exemple, la présidente de Publifin-Enodia, Muriel Targinon, s’est octroyé un poste de spécialiste du secteur de l’énergie (ce qu’elle n’est absolument pas) chez EDF Luminus, une filiale d’Enodia, qui est rémunéré 30 000 euros par an…

1 Fumée blanche des communes pour revendre Brutélé à Enodia » samedi 31 août, l'Echo.

i https://medor.coop/fr/articles/le-gout-amer-des-pilules-mithra-industrie-pharma-Bourse/

ii De rijkste belgen