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Mort de la petite Mawda : il faut que la justice soit rendue

La nuit du 17 mai 2018, sur une autoroute du Hainaut, un enfant a été tué d’une balle dans la tête, tirée par la police. Elle s’appelait Mawda Shawri et elle avait deux ans. Le procès s’ouvre le 23 novembre 2020, mais de nombreuses zones d’ombres persistent. Le combat pour la vérité et la justice n’a jamais cessé. Iman Ben Madhkour et Loïc Fraiture

Mardi 17 novembre 2020

Le père de la petite Mawda est ouvrier dans la construction. La maman est femme au foyer. Le couple quitte l’Irak en 2015 avec leur petit garçon âgé de deux ans. « Tout ce que nous voulions, c’était un endroit sûr pour nos enfants. Il n’y avait plus d’avenir en Irak. Cela va mieux un jour puis des bombes tombent le jour suivant. Nous voulions un endroit sûr pour nos enfants et un bon enseignement afin qu’ils puissent se développer en tant que personne. »1

Entre-temps, Mawda est née, en Allemagne. « Mawda était une enfant heureuse. Très active et tout le temps en train de rire, explique sa maman. Elle s’amusait tellement. Notre fille ne savait pas encore de quoi notre monde était fait. »2 Ayant de la famille au Royaume-Uni, la famille décide de quitter l’Allemagne et réussit à arriver à Blackburn, au nord de l’île. Ils sont cependant expulsés quelques mois plus tard et vivent plusieurs semaines à Grande-Synthe, près de Calais, dans un camp de fortune qui rassemble d’autres réfugiés.

« Please ambulance ! »

C’est lors de leur nouvelle tentative de rejoindre le Royaume-Uni que se produit le drame. La nuit du 17 mai 2018, entassés à 30 dans une camionnette avec d’autres réfugiés venus d’Irak et d’Afghanistan, ils sont pris en chasse par la police sur plusieurs kilomètres. Une balle est tirée par un policier. Mawda est atteinte en pleine tête. Quand la camionnette s’arrête sur l’aire d’autoroute suivante, le père de Mawda sort avec la fillette inanimée dans les bras en criant « Please ambulance, Please ambulance ! ». Mais les policiers pointent leur arme sur les migrants, les font s’agenouiller – même le petit frère de Mawda – menottent les adultes, et décident de les mettre tous en état d’arrestation. Les policiers tentent de réanimer Mawda et appellent l’ambulance. Quand celle-ci arrive, les parents seront empêchés d’accompagner leur fille. Ils seront emprisonnés. Ce n’est que le lendemain, lorsqu’ils sont enfermés, qu’ils apprendront la mort de leur fille, sans interprète.

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Mawda est enterrée deux semaines après sa mort, à Evere. La famille a été accompagnée d’un cortège de près de 2 000 personnes, dont Carine Russo (la maman de Melissa, jeune fille enlevée et tuée par Marc Dutroux, photo de droite), qui a tenu à être présente pour témoigner sa solidarité. (Photo Jean-Marie Dermagne)

 

Presque 24 heures après la mort de Mawda, les policiers donnent aux parents un document intitulé « ordre de quitter le territoire » et les mettent dehors, sans aucune autre information concernant leurs droits. Ils portaient toujours leurs vêtements couverts du sang de leur fille. Quant aux autres passagers de la camionnette, ils ont aussi reçu un ordre de quitter le territoire plus tôt dans la soirée. Certains ont été relâchés, d’autres envoyés en centre fermé avant une expulsion. Il s’agissait pourtant de témoins clés dans l’affaire.

Deux jours plus tard, l’État prévoit de faire enterrer Mawda dans le « carré des indigents » d’un cimetière, cet espace réservé pour le corps des personnes non réclamé par la famille. Mais les parents de Mawda se battent et un mouvement citoyen se constitue pour demander de la dignité humaine. Mawda sera finalement enterrée deux semaines plus tard, dans l’espace musulman du cimetière d’Evere. La famille a été accompagnée d’un cortège de près de 2 000 personnes, dont Carine Russo (la maman de Melissa, jeune fille enlevée et tuée par Marc Dutroux), qui a tenu à être présente pour témoigner sa solidarité.

Des versions officielles contradictoires et mensongères

De nombreuses questions subsistent sur l’attitude du parquet et de la hiérarchie de la police dans cette affaire. Malgré les faits aujourd’hui reconnus, d’autres versions, « officielles » mais totalement fausses, ont été avancées. La police a ainsi par exemple évoqué des coups de feu tirés par les réfugiés eux-mêmes.

Mais surtout, dans un premier temps, la police a nié qu’une balle avait été tirée. Les ambulanciers n’ont pas été informés de la nature de la blessure. La thèse que les policiers ont avancé est celle de « l’enfant bélier » : ils ont écrit dans leur PV que la tête de Mawda avait été utilisée pour casser la vitre et servir de bouclier humain aux migrants. Et même qu’elle serait morte d’être tombée par la fenêtre. L’officier puis le procureur ont repris cette version que la mort de Mawda était due à un traumatisme crânien infligés par les passagers de la camionnette. Si bien qu’en quelques heures l’affaire a été classée. Le parquet de Tournai affirmera avec conviction que « ce n’est pas le tir de policiers qui est à l’origine du décès de Mawda », assurant que le Comité P avait « très vite clôturé ce dossier en ce qui concerne la responsabilité des policiers ». Il a fallu la pression d’associations citoyennes prévenues par des migrants qui étaient à bord de la camionnette ainsi que celle des médias pour remettre cette version en cause. La juge d’instruction quant à elle, pourtant informée le matin-même de la cause du décès par balle, n’a pas ordonné la libération des parents. Ce n’est que six jours plus tard que le procureur général de Mons devra finalement admettre publiquement que « le résultat de l’autopsie est clair : la mort de l’enfant a bien été causée par un coup de feu de la police ».

Les victimes transformées coupables

Au lieu d’exiger que toute la lumière soit faite sur ce qui s’est passé, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jan Jambon (N-VA), et son président de parti, Bart De Wever, ont directement tout fait pour rejeter la faute sur les parents : « Les parents ne sont pas seulement des victimes, il est permis de souligner la responsabilité des parents », « Ce décès est le résultat des trafiquants d’êtres humains », « La police a fait son travail », ou encore « Il y a toute une histoire d’illégalité qui entoure cette famille irakienne ».

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De nombreuses personnalités ont aussi appelé à la mobilisation comme Roger Waters, le chanteur de Pink Floyd, le réalisateur Ken Loach ou encore le philosophe et militant de gauche Noam Chomsky (Photo).

 

C’est ainsi que des parents, de victimes, sont transformées en coupables. Eux, dont le seul crime est d’avoir voulu fuir la guerre et chercher une vie meilleure pour leur famille. Et en attendant, ils évitent de remettre en cause la responsabilité de l’État. Ils évitent de remettre en cause aussi les guerres, les interventions militaires, les livraisons d’armes, le soutien aux régimes pétroliers les plus dictatoriaux, ou la destruction du climat. Toute la responsabilité est mise sur la famille par ces politiciens de droite. Même le policier qui a tiré a tenu à se distancier des propos de De Wever à travers son avocat : « Il ne s’associe en rien à tout propos stigmatisant les migrants comme délinquants. Il a lui-même, malgré sa situation délicate, été profondément heurté que la responsabilité des parents soit envisagée dans un tel contexte. »

L’opération Médusa : une responsabilité politique

Ce que la N-VA et le gouvernement de l’époque voulaient absolument éviter, c’est que les interventions policières et la politique migratoire répressive soient remise en question. A l’époque, Jan Jambon avait lancé fièrement son projet « Médusa » : des opérations de traque des migrants près de la frontière française. Le nom fait référence à Méduse, le monstre de la mythologie grecque qui pétrifie ceux qui oseraient la regarder dans les yeux. Le but est clair : il s’agit de terrifier les migrants pour les dissuader de revenir. C’est dans le cadre d’une de ces opérations que Mawda a été tuée.

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Sur la devanture d'un commerce à Saint-Gilles. (Photo Karmakolle)

 

Des policiers eux-mêmes se plaignent de la façon dont ces opérations se déroulent et de la pression qu’ils subissent dans ce cadre. Les policiers de la route sont surchargés de travail et épuisés. Ils n’ont pas le temps de récupérer. Néanmoins, la pression politique sur le projet et donc sur les policiers impliqués augmente. Quelques mois avant la mort de Mawda, Jambon demandera que l’opération Medusa soit « intensifiée »... La N-VA a fait d’une politique migratoire agressive son cheval de bataille.C’est sa tactique pour rediriger la colère légitime de la population, provoquée par leur politique antisociale vers les migrants, qu’ils décrivent comme des « illégaux », des « criminels » ou des « profiteurs ».

Justice pour Mawda

Le 23 et 24 novembre 2020 prochain, le tribunal de Mons devra se prononcer sur l’affaire Mawda. Il faut espérer que deux ans après, il sera fait justice à la petite Mawda et à sa famille. Mais il reste de nombreux obstacles.

Le parquet, qui représente l’État belge, continue en effet de vouloir minimiser et étouffer l’affaire. Le policier qui a tiré le coup fatal est ainsi poursuivi pour « coups et blessures involontaires, ayant entraîné la mort par défaut de prudence ». Or c’est normalement ce qui est requis lorsque l’auteur a causé la mort de la victime par défaut de prévoyance ou négligence. Mais ce n’est pas le cas ici. Il est établi qu’avant de tirer, le policier a d’abord dû armer son arme et charger la balle, tout à fait volontairement.

Alors que, dans le même temps, le chauffeur de la camionnette lui sera jugé pour « obstruction méchante à la circulation ayant entraîné la mort par défaut de prudence » et risque des peines plus graves. Le procureur général de Mons affirme, pour aggraver le chef d’accusation, que « la police n’aurait pas tiré si le conducteur s’était arrêté, avait suivi les ordres de la police et n’avait pas conduit de manière aussi dangereuse ».

Soyons clairs : si le conducteur aurait bel et bien dû s’arrêter, ce n’est pourtant pas sa conduite qui a « entraîné la mort », mais bien la balle du policier. De plus, le refus du chauffeur de s’arrêter ne justifie pas de faire usage d’une arme à feu. La police ne peut pas utiliser une arme à feu s’il n’y a pas de danger imminent pour l’entourage ou pour les policiers. Le policier doit être poursuivi pour avoir commis un acte volontaire. C’est ce que demandent à juste titre les avocats de la famille de Mawda.

Mais tous ces éléments montrent que les faits ne sont toujours pas traités de manière juste et équitable. Se pose aussi la question de toutes les personnes qui n’ont pas dit la vérité ou ont tenté de l’étouffer. Vont-ils être identifiés et poursuivis ? Va-t’on aussi pointer les responsabilités politiques ? Et cela va-t’il mener à une remise en cause des ces politiques ? Toutes ces questions sont aujourd’hui sans réponse et au cœur du procès qui va s’ouvrir.

Depuis deux ans, des travaux de contre-enquête remarquables et de longue haleine – comme ceux du journaliste Michel Bouffioux – ont permis d’entendre un autre discours que celui des autorités. Des citoyens et des collectifs se sont mobilisés et ont maintenu la pression. Et le combat continue pour que la vérité soit reconnue et que la justice soit rendue

1. Het Nieuwsblad, 19 mai 2018 • 2. Idem

Participez et suivez ici l’agenda des actions du collectif #Justice4Mawda.