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Les barèmes salariaux sont transparents, sûrs et collectifs. Donc le gouvernement veut… les casser

C’est le troisième assaut du gouvernement Michel-De Wever sur les salaires. Il s’agit de s’attaquer aux barèmes. Et de casser toute solidarité entre travailleurs. Ça vous étonne ?

Jeudi 16 août 2018

Dans le paquet de mesures annoncées pendant que vous étiez en vacances, le gouvernement a également prévu une grosse attaque contre les salaires et le pouvoir d’achat. Après le saut d’index et le blocage des salaires avec la modification de la loi de 1996, c’est le troisième assaut de l’équipe Michel-De Wever contre le revenu des travailleurs.

Les barèmes sont des tableaux qui indiquent le montant du salaire minimum garanti pour une fonction donnée selon l’évolution de la carrière. Ces barèmes sont fixés par les conventions collectives sectorielles ou d’entreprise pour 68 % des travailleurs du privé (40 % des ouvriers et plus de 90 % des employés).

Depuis des années, le monde patronal cherche à mettre un terme à tous les mécanismes automatiques d’augmentation des salaires

Chez les employés, les salaires sont relativement bas en début de carrière. Ils progressent avec les années, de manière automatique, selon l’expérience et l’ancienneté. Chaque « palier » d’augmentation constitue un « barème ». Ainsi, Séverine, employée de catégorie 1 chez Delhaize, a commencé avec un salaire brut de 1662 euros pour un temps plein. Après 22 ans, elle aura 1910 euros brut. Autre exemple : Carmen, cadre chez AXA Bank, vient de commencer avec 2207 euros brut. Après 35 ans de carrière, elle pourra compter sur 3682 euros brut.

Pour une même fonction, l’augmentation se fait progressivement et automatiquement au cours de la carrière. En moyenne, un employé qui a 30 ans de carrière gagne 30 % de plus qu’au début.

Chez les ouvriers, l’évolution barémique se fait plutôt par changement de fonction. Par exemple, quand on devient chef d’équipe ou contremaître. En moyenne, un ouvrier gagne en fin de carrière 6 % de plus qu’au début.

Dans la fonction publique aussi, des barèmes existent. Ils y sont encore plus contraignants que dans le privé. Et, même si le gouvernement n’en parle pas dans son communiqué, il ne faut sans doute pas se faire d’illusion : ils sont aussi dans le collimateur.

Une vieille revendication patronale

Depuis des années, le monde patronal cherche à mettre un terme à tous les mécanismes automatiques d’augmentation des salaires. Que ce soit l’indexation automatique ou le système des barèmes. L’excuse est toujours la même : notre système barémique actuel (fondé sur l’ancienneté des travailleurs) coûterait trop cher et pousserait les travailleurs âgés hors du marché du travail. En révisant les barèmes, une personne plus âgée ne gagnerait donc pas nécessairement plus qu’une personne plus jeune. La solution miracle serait de rémunérer davantage les travailleurs en fonction des prestations et d’instaurer « plus de flexibilité dans les packages salariaux ».

Les barèmes salariaux à l’ancienneté constituent un mode de rémunération transparent

« Les barèmes d’ancienneté ont pour effet qu’à un moment donné, les coûts salariaux croissants ne correspondent plus (assez) à la productivité du travailleur. Le coût relatif plus élevé de ces travailleurs par rapport à celui de jeunes travailleurs qui font le même travail amène l’employeur à écarter des travailleurs expérimentés (plus de 50 ans) du marché du travail », indique-t-on à la FEB. (Le Soir 25 juillet) Le Voka (organisation patronale flamande suggérait « d’abolir les leviers automatiques de salaires pour créer un espace permettant de payer des avantages différenciés » (L’Echo, 17 nov 2017).

Et, en bon exécutant, le gouvernement Michel-De Wever l’a écouté. « Le Ministre de l’Emploi, conviendra, avec les partenaires sociaux, d’un agenda précis s’agissant de la réforme en cours des rémunérations qui ne doivent plus être liées à l’âge mais liées à la compétence et à la productivité. » (Communiqué de presse du ministre Peeters, 24 juillet)

Retour au 19e siècle

Le gouvernement veut donc introduire un nouveau modèle de carrière qui « permettra aux travailleurs de percevoir une rémunération plus en rapport avec leurs compétences et leur productivité à la place d’une simple augmentation linéaire en fonction de l’âge ou de l’ancienneté ». Traduction : l’objectif est d’aller vers un système où chacun serait payé en fonction de sa productivité individuelle et des compétences acquises individuellement.

Il s’agit d’un grave retour en arrière pour casser un mécanisme de rémunération collective (tous les travailleurs qui effectuent une tâche perçoivent le même salaire) pour le remplacer par un système au « mérite », à la « productivité » individuelle. Comme cela se faisait au 19e siècle, où l’on appliquait des rémunérations « à la pièce ».

Comment mesurer les qualités humaines et relationnelles ?

Mais les critères de productivité et de compétence qui devraient être pris en compte permettent-ils de fixer les salaires de façon objective ? Dans certains environnements de travail, le rendement est facilement mesurable, dans d’autres, c’est bien plus complexe. Déterminer la compétence d’une personne est également très subjectif, surtout dans certains secteurs comme le social ou les soins de santé. Comment mesurer les qualités humaines et relationnelles ?

Les barèmes salariaux à l’ancienneté constituent un mode de rémunération transparent. Sur base de l’ancienneté, de l’index et des négociations interprofessionnelles et sectorielles, chaque travailleur reçoit plus de pouvoir d’achat. Même s’il travaille dans une entreprise qui a peu de marge de négociation. Supprimer les barèmes, les plafonner ou les diminuer ne fera qu’augmenter les inégalités.

Au final, il s’agit ni plus ni moins que d’une nouvelle tentative des patrons pour garantir et augmenter leurs profits, en diminuant leurs coûts. Des barèmes qui attribuent des augmentations automatiques de salaire sont donc un obstacle.

L’énorme majorité des gens travaille bien

Casser la solidarité entre travailleurs

Si les salaires sont fixés en fonction de la productivité individuelle, chaque travailleur sera en concurrence avec ses collègues. Seuls les travailleurs les plus forts et les plus performants pourraient obtenir des augmentations de salaires. Malades ? Blessés ? Tout le monde serait poussé à « performer » pour obtenir son augmentation. Le système permet en fait de briser la seule force du monde du travail : le rapport de force collectif.

L’énorme majorité des gens travaille bien. En organisant des tentatives de mesurer qui travaille mieux que l’autre, le patron oblige à consacrer beaucoup d’énergie dans des « évaluations » qui aboutissent à beaucoup de frustrations et à de nombreuses tensions entre les travailleurs.

Et chez les patrons ?

En revanche, les PDG des entreprises du Bel 20 ont eux reçu une augmentation de 26 % entre 2015 et 2016. La médiane de leur rémunération totale (salaire fixe, bonus et rémunération liée aux actions) s’élève à 2,08 millions d’euros, soit plus de 150 000 euros par mois.

Les PDG des entreprises du Bel 20 ont eux reçu une augmentation de 26 % entre 2015 et 2016

Pour un employé, il faut presque 30 ans de carrière pour avoir une telle augmentation. Et sans jamais atteindre de tels montants, évidemment.

Quant aux ministres, ils ont aussi leurs barèmes. Selon jobat.be, il y a trois barèmes au gouvernement. Le premier et les vice-premiers ont une rémunération mensuelle de 10 786 euros brut. Les ministres « ordinaires » ont 10 482 euros et les secrétaires d’État 10 039 euros. Cette rémunération leur est versée dès leur premier mois de fonction et n’est pas soumise à une évaluation de leur productivité ou de leurs compétences.

Mais ils voudraient imposer une telle évaluation aux travailleurs !

Et, pour tenter de faire avaler la pilule, patrons et gouvernement compte sur « la concertation sociale » : Pieter Timmermans (FEB) : « On ne va pas passer d’un système à l’autre du jour au lendemain. Ça mérite une bonne concertation, j’insiste sur le fait que, par exemple, la révision de la rémunération liée à l’ancienneté ou les barèmes dont le gouvernement parle permet la concertation sociale. » (RTBF, 26 juillet)

Peut-on vraiment attendre une concertation réelle de la part de ministres payés 10 000 euros qui prétendent limiter à tout prix les salaires des travailleurs ?

L’organisation collective des travailleurs en syndicats a permis de conquérir de nombreux droits et libertés, dont les conventions salariales

Construire un rapport de force

La question des salaires a toujours été, avec celle du temps de travail, au centre de l’affrontement entre les travailleurs qui produisent les richesses et les patrons qui se les approprient. Au 19e siècle, le travailleur était seul face au patron. L’organisation collective des travailleurs en syndicats a permis de conquérir de nombreux droits et libertés, dont les conventions salariales.

Aujourd’hui, les patrons rêvent de casser une des spécificités du syndicalisme belge : son caractère interprofessionnel. Mettre à mal sa capacité à déclencher des mouvements qui paralysent l’ensemble de l’économie, tous les secteurs et toutes les branches en même temps. Il s’agit là en fait de l’application d’une demande de la Commission européenne qui veut que les accords (sur les salaires, sur l’organisation du travail...) se concluent à l’échelon individuel. À l’échelon où le rapport de forces est le plus faible pour la plupart des travailleurs.

Le patronat et le gouvernement veulent revenir à une société où le travailleur est dans une relation individuelle avec son employeur, une situation de faiblesse, un rapport totalement déséquilibré... C’est pourquoi il est important de remettre le rapport de force à l’ordre du jour. Ils ont l’argent, nous avons les gens. Et la solidarité.

9 bonnes raisons de conserver les barèmes

  1. Ils sont clairs, transparents et garantis. Ils permettent de connaître avec certitude le montant du salaire et des augmentations à venir. Ces augmentations sont automatiques. Elles ne dépendent pas des résultats de l’entreprise ou de votre entretien d’évaluation.
  2. Ils reposent sur des paramètres objectifs. Les barèmes et les classifications de fonction permettent d’objectiver les choses. On part du principe que tout le monde travaille du mieux qu’il peut. Mais aussi qu’un jeune qui commence doit encore apprendre beaucoup et ne peut pas prendre certaines responsabilités. C’est pourquoi les barèmes sont plus bas en début de carrière et plus élevés au fur et à mesure de l’évolution dans la fonction. Les jeunes ont la certitude d’évoluer selon des paliers précis pendant leur carrière.
  3. Ils sont l’unique possibilité d’augmentation pour beaucoup de travailleurs (en plus de l’index). Leur patron ne donne rien de plus que ce qu’il est légalement obligé de donner.
  4. Ils permettent de maintenir les travailleurs expérimentés dans l’entreprise et de continuer à les motiver. Sans barèmes, le patron peut gérer les salaires « à la tête du client », ce qui mène souvent à des frustrations et des démotivations.
  5. Ils permettent d’accorder des « suppléments ». Les barèmes sont une base minimale. Rien n’interdit de les dépasser dans des négociations d’entreprise, qui peuvent alors prendre en compte les compétences personnelles des travailleurs.
  6. Ils empêchent la discrimination. Hommes, femmes, jeunes, intérimaires… tout le monde est payé selon les mêmes barèmes.
  7. Ils sont contrôlables et obligatoires. Chaque travailleur peut à tout moment vérifier s’il reçoit le bon salaire.
  8. Ils permettent une certaine simplicité administrative. Pas besoin de calculer chaque année qui reçoit combien d’augmentation. Cela se fait automatiquement.
  9. Ils permettent de se comparer au « marché ». Les barèmes négociés par secteur permettent de limiter la concurrence. Qu’on travaille chez Delhaize ou Colruyt on est payé selon les mêmes barèmes. Même chose chez AXA Bank ou Beobank, les barèmes sont ceux du secteur bancaire.