Le PTB plus proche de toi et toi plus proche du PTB. Renforce la vague sociale.!

Télécharge notre app

Le modèle portugais est-il exportable en Wallonie ?

Certains en font leur modèle. Un pays – le Portugal – avec un gouvernement socialiste qui aurait réussi à en finir avec l’austérité, non seulement sans rompre avec les traités européens, mais même sans que la Commission européenne ne bronche. Une politique de gauche serait donc possible sans rupture?

Vendredi 28 juin 2019

Le PS portugais arrive au pouvoir après les élections de 2015. Lors de ces élections, les partis de droite sont sanctionnés dans les urnes après avoir été combattus plusieurs années durant dans la rue. Le PS avait été laminé cinq ans auparavant pour avoir pratiqué la même austérité.

Le PS avait été laminé cinq ans auparavant pour avoir pratiqué la même austérité.

En 2015, le parti se refait une virginité politique en menant campagne contre l'austérité. Sa victoire est néanmoins timide. A lui seul, le PS n’a pas la majorité au Parlement portugais. Pour pouvoir gouverner, il doit conclure des accords avec les deux partis de la gauche radicale portugaise: le Parti communiste portugais (PCP) et le Bloc de gauche (Bloco). L’objectif de ces partis? Revenir au moins sur les pires réformes antisociales imposées par l’Union européenne dans le cadre d’un programme d’ajustement structurel (réduction du salaire minimum, réduction des pensions, diminution du nombre de jours de congé, allongement du temps de travail dans la fonction publique…) Pour y arriver, PCP et Bloco ont apporté un soutien extérieur au gouvernement minoritaire du PS.

L’objectif de ces partis? Revenir au moins sur les pires réformes antisociales imposées par l’Union européenne.

Une voie à suivre en Wallonie aussi ? Une analyse de la situation portugaise montre que la situation du pays n'est du tout comparable. Et ensuite, le miracle portugais (sortir de l'austérité, retrouver de la croissance et réduire le déficit public) ternit chaque jour un peu plus, les travailleurs en voyant de moins en moins la couleur.

Un modèle basé sur une remise en question

Pendant plus de 15 ans – quelle que soit la couleur du gouvernement – le Portugal a subi une cure d'austérité d'une ampleur jamais vue en Belgique. Entre 2000 et 2016, le Portugal avait en effet été soumis presque de façon permanente à la procédure pour déficit budgétaire excessif.

Le Portugal a pendant des années été gouverné directement par des « Men in Black » de la Commission européenne.

Après la crise financière, le Portugal a pendant des années été gouverné directement par des « Men in Black » envoyés par la Commission européenne. Il s'agit de fonctionnaires de la Commission qui dirigent quasi directement les affaires de l’État à la place des gouvernements locaux. Les conséquences ? Pendant qu’on bloquait les pensions, les salaires enregistraient une perte rapide d’au moins 4% en moins de deux ans. Une vague de privatisations frappait entre autres l’industrie, la distribution de l’eau, les transports publics et le rail, le secteur de l’énergie et les médias. En 2012, un quart de la population risquait la pauvreté ou l’exclusion sociale à cause notamment des coupes dans les services publics. Entre 2011 et 2016, un demi-million de Portugais ont quitté le pays.

Un contraste avec l'attitude du PS en Belgique qui ne veut rien remettre en cause.

Le parti socialiste portugais arrive au pouvoir après avoir mené campagne contre l'austérité. Le PS en Belgique n'a en fait jamais mené véritablement campagne contre l'austérité. Cela aurait requis une remise en cause de sa propre politique passée. Le soutien de la gauche radicale, en revanche n’a été arraché au Portugal qu'à condition qu’une série de mesures les plus anti-sociales des gouvernements d'austérité soient retirées. C'est comme ça que la gauche radicale a pu obtenir l'augmentation du salaire minimum, le retour de la semaine de 35 heures dans la fonction publique, le gel du processus de privatisation... Un contraste avec l'attitude du PS en Belgique qui ne veut rien remettre en cause. Magnette et Di Rupo ont par exemple refusé de mettre en question la chasse aux chômeurs qui sanctionne 60 fois plus fort les chômeurs wallons que ceux des autres régions. Le PS ne se remet pas en cause sur sa politique du logement qui a conduit à la destruction de plus de près de 2000 logements sociaux au moment où les besoins explosent. Le PS proposait donc au PTB un « modèle portugais » amputé de ses bons côtés.

La différence entre un pays et une région

Mais les différences entre la Wallonie et le Portugal ne s’arrêtent pas là. Politiquement, le « modèle portugais » repose sur un rapport de force électorale particulier. Que le PS portugais ait été obligé d'accepter certaines mesures sociales, a tout à voir avec le fait que le PCP et le Bloco pouvaient faire tomber le gouvernement socialiste à tout moment. Il en va différemment en Wallonie.

Le PCP et le Bloco peuvent faire tomber le gouvernement socialiste à tout moment. Il en va différemment en Wallonie.

Si le PTB décidait d’appuyer de l’extérieur un gouvernement wallon, constitutionnellement, il ne pourrait pas faire tomber ce gouvernement. Il est impossible d’avoir des élections anticipées au niveau régional. Si le PS ne respectait ainsi pas ses engagements, la seule façon qu’aurait le PTB de faire tomber le gouvernement wallon serait donc d’en proposer un autre avec...le MR et le cdH! Autant dire, que si le PTB permettait l’installation d’un gouvernement wallon minoritaire PS, il signerait un chèque en blanc pour 5 ans. Pas étonnant dès lors que Paul Magnette soit venu avec cette proposition sans mentionner ce « détail ».

Enfin, il convient de rappeler que la Wallonie est une région, pas un pays comme le Portugal. Elle fait face à un double carcan. Le carcan européen d’une part, mais aussi les lois de financement fédérales issues de la sixième réforme de l’État votées…. aussi par Di Rupo, Magnette & Co. Cette loi de financement va mener à une diminution des rentrées pour la Région wallonne de 625 millions à l’horizon 2024 soit près de 5 % en moins. En outre, la Wallonie ne possède pas les leviers fiscaux que peut avoir un État pour taxer les grosses fortunes ou les multinationales par exemple. On pourrait même avoir la situation où le PS au fédéral resserre le carcan financier des Régions et impose au gouvernement wallon de pratiquer l'austérité.

Le choix entre marteau et enclume

Au Portugal, les résultats positifs des mesures prises étaient au début indéniables. Néanmoins, les socialistes avaient été très clairs. Ils refuseraient toute rupture avec les règles budgétaires de l’Union européenne. Cela signifie concrètement que le gouvernement portugais accepte d’avoir beaucoup plus de rentrées financières que de dépenses. C’est la règle, non plus de l’équilibre budgétaire, mais de « l’excédent primaire ». C’est de l’argent que le gouvernement portugais ne peut donc pas utiliser pour encourager l’économie ou pour renforcer les droits sociaux. Les règles européennes imposent en effet en même temps un rythme irréaliste de réduction de la dette publique. Le remboursement de la dette reste le poste de dépense principal du budget portugais, plus important que par exemple le budget de l’enseignement, dénonce à juste titre la gauche radicale.

En suivant le menu européen, le Parti socialiste s’oblige à retirer d’une main ce que les luttes sociales ont obtenu de l’autre.

Si on respecte le cadre européen, il faut donc faire des choix. Dans le cadre européen, plus d’investissements publics, c’est moins de mesures sociales. Plus de mesures sociales signifie moins d’investissements publics. En somme, en suivant le menu européen, le Parti socialiste s’oblige à retirer d’une main ce que les luttes sociales ont obtenu de l’autre. Si on renforce les salaires des fonctionnaires ou augmente les pensions, on diminue alors le peu d’argent pour les nécessaires investissements. Une baisse des impôts sur les plus bas salaires a été « compensée » par des taxes indirectes plus élevées. Si on facilite un peu les départs anticipés à la retraite, on lie parallèlement le départ à la pension à l’espérance de vie. Soit, une façon d’augmenter l’âge de la pension de manière continue, comme le désire la Commission européenne.

Quand en 2016, le gouvernement Costa décide de revenir sur certaines mesures antisociales, l’objectif d’équilibre budgétaire l’oblige en même temps à diminuer les investissements publics qui chutent de manière vertigineuse à 1,5 % du PIB, leur niveau le plus bas depuis au moins 10 ans. Les conséquences de l’acceptation du carcan budgétaire sont lourdes. En l’absence d’investissements publics, le système de santé et les transports en commun prennent l’eau. Les investissements privés eux favorisent l’immobilier et la construction d’hôtels. Le redressement relatif de l’économie portugaise est d’ailleurs lié en grande partie à l’augmentation du tourisme, parfois jusqu’à 10% en une année. Cette augmentation a provoqué, à son tour, une spéculation importante dans le secteur de l’immobilier, faisant augmenter les loyers et les prix des maisons pour les habitants des grandes villes. Sans surprise, l’emploi dans ces secteurs est précaire et en outre souvent mal payé.

La Commission européenne guette

La Commission européenne a accepté l’annulation de certaines mesures d’austérité parce qu’en parallèle le gouvernement bloquait l’investissement public. Tant qu’un gouvernement promet de respecter la trajectoire européenne de libéralisations, privatisations et austérité, il peut obtenir un peu de flexibilité sur le timing de la part des institutions européennes. L’objectif est figé, le rythme de la marche peut être négocié. Ainsi, un gouvernement peut demander à la Commission de d’abord augmenter l’âge de la pension, sans devoir en même temps privatiser tout de suite la distribution de l’eau. Cela permet aussi d’éviter de provoquer un grand mouvement social contre les mesures. C’est d’ailleurs ce qu’a essayé de faire le gouvernement Michel. La Commission a en effet permis à Charles Michel de ne pas respecter toutes ses impositions sur la dette publique, en échange de ses politiques asociales. En 2017, la Commission observait ainsi que la Belgique « n’a pas respecté le critère de réduction de la dette à la fin de la période de transition (2014-2016) » et que pour 2017 le critère de la dette « n'est à première vue pas rempli » non plus. Néanmoins, la Commission n’imposait aucune sanction parce qu’il y avait suffisamment de réformes structurelles promises supposées avoir un effet bénéfique sur le budget (réforme de la loi de fixation des salaires de 1996, tax-shift, réforme des pensions...).

La Commission européenne n’amoindrit pas la pression sur le Portugal. En novembre 2016, la Commission européenne estimait que le budget portugais risquait de ne pas être en conformité avec le Pacte de stabilité et de croissance. Moins d’un an après le début du gouvernement PS au Portugal, la Commission lui tapait de nouveau sur les doigts parce qu’il ne consentait pas suffisamment d’efforts pour réduire sa dette et pour atteindre les objectifs à moyen terme à propos de son déficit budgétaire. Le gouvernement portugais ne lâche pas de lest sur le front budgétaire. « La société portugaise reste confrontée à un exercice d'une grande exigence », a prévenu le ministre des Finances Mario Centeno qui, depuis décembre 2017, porte pourtant aussi la casquette de président de l'Eurogroupe, la réunion des ministres des Finances de la zone euro.

Un « miracle » portugais qui pâlit

« É muito simples: não temos dinheiro. » (« C’est très simple, nous n’avons pas d’argent »). C’est avec ces mots qu’Antonio Costa, premier ministre socialiste du Portugal, renvoyait chez eux en mai de cette année les enseignants voulant récupérer leurs salaires, bloqués depuis neuf ans. Face à la proposition de la gauche radicale de rendre cet argent aux enseignants, les socialistes s’alliaient ensuite à la droite pour rejeter la proposition de loi. Un gouvernement socialiste sauvé par la droite. L’épisode illustre toutes les limites du « modèle portugais » tant vanté par les socialistes belges.

Le gouvernement portugais a réquisitionné les infirmiers en grève.

Le personnel infirmier est entré en grève et, depuis novembre, 5000 interventions chirurgicales ont été reportées ou annulées. La réaction du gouvernement socialiste doit faire réfléchir. Il a réquisitionné les infirmiers afin de faire respecter l'obligation de service minimum prévue par la loi.

Selon le Diário de Notícias, le Portugal compte aujourd’hui 891 000 travailleurs précaires. C’est une augmentation de 73 000 par rapport à 2011, l’année où le pays avait sollicité l’aide financière de la « troïka » (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international). Même sous le gouvernement socialiste elle a augmenté de 6,1 % en 2018. Quand la Commission européenne et le Parti socialiste fêtent donc la création d’emploi, elles oublient que celle-ci se fait au prix de toujours moins de sécurité sociale. Le gouvernement socialiste n’est pas étranger à cette précarité. Comme s’il fallait compenser une légère hausse de l’investissement public, le syndicat CGTP-IN constate que le gouvernement bloque le rétablissement du droit aux négociations collectives et insiste même, avec le soutien de la droite, sur un projet de loi qui renforcera la précarité et la dérégulation des contrats. Sans surprise, le désenchantement de la population augmente. Depuis l’arrivée du gouvernement d’Antonio Costa en 2015, le nombre de grèves a plus ou moins doublé. L’année 2018 a vu 173 préavis de grèves dans le secteur public, contre seulement 85 en 2015.

Pour l’avenir, une résistance sociale nécessaire

La Commission européenne ne permettra pas à un gouvernement de mener une politique de gauche en rupture avec le néolibéralisme. La réponse nous vient de la Grèce où l’intention proclamée par le premier gouvernement Tsipras d’en finir avec l’austérité a provoqué une réaction très violente de la Commission européenne. Tout gouvernement a donc besoin d’une unité très forte sur la volonté de rupture. Volonté totalement absente dans le chef des dirigeants socialistes, belges ou portugais.

Pourtant, économiquement, et donc socialement, le modèle portugais n’est pas durable dans le cadre des règles européennes. Il faut, dit l’Union européenne, réduire la dette publique. Mais la dette portugaise, tant publique que privée, reste très et trop élevée. En outre, ne pas investir équivaut à créer une dette cachée, car, tôt ou tard, les infrastructures sont vouées à des remises en état. Ne pas investir signifie donc hypothéquer l’avenir. En plus, en cas d’augmentation des taux d’intérêt, le début de bulle immobilière, basée actuellement sur l’afflux de capitaux étrangers à la quête de profits rapides, pourrait rapidement s’effondrer. Si l’on continue à respecter le cadre européen, les mesures sociales du gouvernement portugais semblent donc insoutenables sur le moyen ou long terme.

En vue de l’échéance électorale d’octobre, trois options restent possibles. La première, c’est que le premier ministre Costa continue à bénéficier de sa réputation de « celui qui a arrêté l’austérité » et qu’il réussisse à reporter la facture des investissements. Ainsi il peut espérer diriger d’ici peu à nouveau le pays tout seul, avec une politique d’austérité comme celle des précédents gouvernements sociaux-démocrates. Ou, deuxième option, la droite profite d’une possible crise politique ou autre pour revenir au pouvoir.

Venus d’en bas, de larges mouvements de lutte sociale pourraient se constituer.

Une troisième option est par contre plus que jamais nécessaire si on veut donner une réponse aux aspirations des Portugais, des travailleurs précaires, des fonctionnaires menacés, ou des jeunes au chômage. Qu’il s’agisse d’enseignants, cheminots, infirmiers, juges, pompiers ou gardiens de prison: la liste des fonctionnaires qui se sont mis en grève est longue et témoigne d'une frustration grandissante vis-à-vis de ce gouvernement. Lors du dernier trimestre de 2018, des juges et des dockers, des médecins et des employés de musée, des travailleurs des supermarchés et de la compagnie pétrolière publique se sont mis en grève. Venus d’en bas, de larges mouvements de lutte sociale pourraient se constituer. Ils pousseraient le Portugal vers une alternative de gauche, laquelle remettra en question le carcan européen. Et si le Portugal et d’autres pays européens entament alors une rupture avec le carcan austéritaire et que cette démarche est soutenue par un mouvement social fort, les mesures sociales qui en découleront seront tout autre chose qu’un répit temporaire. L’espoir existe.