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Huts et la Cour européenne contre les dockers : la loi Major sera-t-elle réduite à une coquille vide ?

La Cour de justice de l’Union européenne a émis un avis qui laisse présager un arrêt très libéral contre le statut des dockers belges. De la loi Major, il ne doit rester qu’une coquille vide. On veut moins de syndicats, et plus d’agences intérim. Une telle libéralisation du travail portuaire ouvre la porte au dumping social. Cette affaire ne concerne pas seulement les dockers (européens), mais tous les travailleurs et toutes les travailleuses qui veulent davantage de protection sociale, les syndicats qui veulent avoir un impact, et toutes celles et ceux qui défendent une Europe plus sociale.

Mercredi 23 septembre 2020

La loi Major, qui protège le statut des travailleurs portuaires, est le fruit d’une longue lutte sociale menée par les travailleurs dans les années 60 et 70. Depuis des années, les entreprises portuaires (la famille Huts et sa société Katoennatie en tête) s’attaquent à cette loi, et au statut de nos dockers. Le PDG d'une société portuaire explique leur motivation : « Sans cette loi Major, on économiserait plusieurs millions d'euros sur le port d’Anvers. » Et leurs plantureux bénéfices grossiraient ainsi sans doute de quelques millions d'euros supplémentaires ! Les Huts et leurs acolytes ont essayé toutes sortes de tactiques : contourner constamment les règles, introduire une procédure de plainte par le biais de la Commission européenne, faire du lobby auprès de leurs partis amis l’Open Vld et la N-VA, et recourir à la voie juridique. Jusqu’à présent, les dockers combatifs ont pu repousser chaque attaque.

La semaine dernière, cette bataille est entrée dans une nouvelle phase. Entre 2014 et 2016, les dockers ont enrayé une procédure de plainte de la Commission européenne, en acceptant une modeste réforme du statut portuaire. Huts et sa clique ont été très déçus du résultat. Ils ont engagé une procédure devant les plus hautes instances judiciaires belges pour faire annuler la réforme. À leur tour, les tribunaux ont renvoyé la patate chaude à la Cour de justice de l’Union européenne. Un arrêt très libéral de la plus haute juridiction européenne serait une mauvaise chose pour l'avenir de nos dockers.

La jungle sociale

Dans la plupart des cas, l'arrêt de la Cour européenne fait suite à un avis préliminaire, rédigé par un « avocat général ». Celui-ci affirme que le statut portuaire belge est contraire aux règles européennes. Il attaque les dockers principalement sur deux points.

Premièrement, les ouvriers portuaires bénéficient d'une bonne protection sociale grâce à un système de « pool ». Un employeur portuaire doit recruter des dockers identifiés dans un pool et ne peut pas, par exemple, recourir à des agences intérim. Deuxièmement, les syndicats portuaires organisent la procédure d’identification des dockers, en collaboration avec les employeurs. Aux yeux de l'avocat général, ces restrictions sont trop sévères pour les entreprises portuaires. C'est le grand problème des règles libérales européennes. Les droits du grand capital passent toujours en premier, et non le droit des travailleurs à une protection sociale adéquate.

Si l'on exclut les syndicats et que l’on donne carte blanche aux agences intérim dans le port, la reconnaissance du travail portuaire (et donc la Loi Major) sera réduite à une coquille vide. Le port redeviendra alors la jungle sociale qu'il était autrefois. Après des années de lutte, les dockers ont obtenu une bonne protection sociale, en échange de leur flexibilité. Le port reste un lieu de travail dangereux, où les accidents de travail graves sont nombreux. Chaque année, nos 9 000 dockers déplorent plusieurs accidents de travail mortels. Sans un contrôle syndical fort, la situation ne ferait qu'empirer.

Les dockers peuvent gagner

La question du statut des travailleurs et de la protection sociale ne concerne pas seulement les travailleurs portuaires. Il n’y a qu’à voir tous les secteurs où le travail est flexibilisé, où les syndicats n'ont pas la possibilité d'imposer des règles strictes, où le dumping social représente une menace constante. Pensons à tous ces travailleurs qui ont des statuts précaires à l'aéroport de Zaventem, ou à la concurrence sociale assassine que subissent les ouvriers du transport et de la construction. Ils aspirent tous à davantage de protection sociale, sous la forme d'un statut fort.

Il y a vingt ans, les dockers ont été les premiers à parvenir à enrayer la libéralisation européenne. Ils sont maintenant confrontés à un nouveau défi de taille, celui d'influencer le cours de la justice. Mais ils peuvent gagner. La pratique montre que les juges peuvent tenir compte des résistances sociales et des intérêts économiques. Les ports belges occupent une position clé dans l'économie européenne. La majorité des marchandises de millions de consommateurs et d'entreprises européens passent par nos ports. Une affaire similaire contre les dockers espagnols prouve que les grèves et la résistance sociale peuvent déterminer l'issue d'une affaire judiciaire.

Le président du PTB, Peter Mertens, a été le premier homme politique à réagir à cette nouvelle attaque. Il met en garde contre la justice de classe dont les dockers risquent d'être victimes : « Il y a un fossé incroyable entre les principes libéraux que l’avocat général de la Cour européenne applique à la loi Major, et la réalité sur le terrain. Dans la pratique, le statut portuaire a prouvé qu’il était la meilleure garantie de protection sociale, de conditions de travail sûres, et de productivité élevée. Nous devons nous unir pour soutenir ensemble nos dockers. »

Qu’en disent les autres partis politiques ?

La coalition Vivaldi

Les partis politiques qui négocient actuellement un accord de coalition gouvernementale ont des points de vue divergents sur la Loi Major. L'actuel président de l'Open Vld et préformateur Egbert Lachaert a soumis une proposition de loi en 2017 qui allait dans le sens d'une « loi Huts » : il voulait restreindre sévèrement la portée de la reconnaissance du travail portuaire. Heureusement, seule la N-VA l’a soutenu, et il n'a pas trouvé de majorité au Parlement. Le CD&V défend la réforme menée par son ancien ministre Kris Peeters en 2016. Le sp.a, par l’intermédiaire de Kathleen Van Brempt, a exprimé son soutien aux dockers. Le sp.a a toujours préconisé une modernisation du statut, en concertation avec les partenaires sociaux. Il faut donc attendre de voir ce qui ressortira éventuellement des négociations gouvernementales.

Le Vlaams Belang

Le Vlaams Belang est toujours prompt à manifester son soutien aux dockers. Mais en coulisses, c’est une toute autre histoire. Ils votent contre les intérêts des syndicats. Le chef de file au Parlement flamand, Sam Van Rooy a déclaré l’an dernier, lors d'un débat pour les PDG d’entreprises portuaires : « Je prête une oreille attentive aux changements de la Loi Major, tels que proposés par l'Open Vld. » Dans les faits, il partage le même avis que la Cour de justice de l’Union européenne : on peut garder la loi Major, à condition de lui imposer une réforme libérale.