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Fact check : non seulement le gouvernement ne taxera pas les grosses fortunes, mais il s'en prend aux épargnants

Le gouvernement De Croo prétend faire contribuer les « épaules les plus larges » avec une taxe sur les comptes-titres. Paul Magnette prétendait encore le 9 janvier dans l'Echo que « Viser les comptes-titres nous permet donc de toucher vraiment la fortune ». Il n'en est rien. La taxe épargnera les grosses fortunes et touchera au contraire les épargnants. Décryptage.

Lundi 11 janvier 2021

1. Qu’est-ce qu’un compte-titres ?

Un compte-titres est un compte que l’on peut ouvrir dans une banque afin de gérer des titres financiers : actions, obligations, sicav, etc.

Via PC-banking, le client peut donner des ordres d’achats et de ventes de titres. La banque se charge de mener ces opérations, tout en donnant au client une vue sur ses titres et l’évolution de leur valeur. De plus, la banque verse automatiquement les revenus des titres (dividendes ou intérêts) sur le compte bancaire du client.

2. Qu’est-ce que la taxe sur les comptes-titres ?

La taxe que le gouvernement De Croo entend faire voter en ce début 2021 consiste à prélever chaque année 0,15 % de la valeur des comptes-titres qui dépassent un million d’euros. La taxe est d’application que le compte-titre soit détenu par une personne physique ou par une société.

3. La taxe sur les comptes-titres est-elle symbolique ?

Oui, elle est symbolique : ce sont les partenaires libéraux du gouvernement qui l’affirment eux-mêmes. Ainsi, le président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, déclare qu’il sera question d’un « effort symbolique ».i Et même le secrétaire d’État socialiste Thomas Dermine, ancien bras droit du président du PS Paul Magnette, le confie : c’est une « taxe marginale », juste un « signal ».ii

Les chiffres confirment qu’il s’agit d’une taxe placebo. Le taux de 0,15 % est ridiculement bas et il ne s’applique que sur les comptes-titres, pas sur les autres éléments de patrimoine des riches (voir question 4). Donc, on multiplie une base imposable réduite par un taux rikiki. D’où le faible rendement attendu : 428,7 millions d’euros, soit à peine 0,36 % des recettes fiscales prélevées par le pouvoir fédéral.

On peut utilement comparer ce rendement de 428,7 millions € à ce que rapporterait la taxe des millionnaires du PTB appliquée ne fut-ce que sur... les trente familles milliardaires de Belgique. Sachant que leur fortune cumulée atteint 83 milliards, le rendement annuel serait de 2,5 milliards.

4. Les riches les plus riches vont-ils payer la taxe sur les comptes-titres ?

Non, beaucoup de riches vont échapper à la taxe sur les comptes-titres et particulièrement les riches les plus riches, ceux dont la fortune se compte en centaines de millions ou en milliards d’euros.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils n’ont pas de compte-titres. Déjà, tous les éléments non financiers de leur patrimoine échappent à la taxe : châteaux, villas à Knokke ou à la Côte d’Azur, luxueux chalets dans les Alpes, haras, terres de chasse, yachts, jets privés, bijoux, antiquités, tableaux de maître, etc.

Mais c’est surtout leur gigantesque patrimoine financier qui échappe à la taxe. Celui-ci est détenu via des actions dites nominatives : le nom de l’actionnaire et le nombre d’actions qu’il détient sont directement inscrits dans le registre des parts de la société. Dès lors, comme ces actions ne sont pas détenues depuis le compte-titre d’une banque, ces super-riches payeront zéro euro de taxe comptes-titres.

C’est pourquoi l’économiste Paul De Grauwe, professeur à la London School of Economics, dénonce « l'hypocrisie de la taxe sur les comptes-titres ». Dans une récente tribune, il explique : « De l'esprit de nos nouveaux ministres est née l'idée que les propriétaires d'actions nominatives ne devraient pas payer la taxe. Et qui possède des actions nominatives? Justement les millionnaires et les milliardaires. Ils ne paient donc aucune taxe sur les valeurs mobilières. » Et il conclut : « On peut comprendre que des libéraux s’opposent à un impôt sur les riches, mais pas les socialistes qui prétendent représenter les moins nantis. » iii

5. Est-ce la première fois qu’une taxe sur les comptes-titres est introduite en Belgique ?

Non, le gouvernement Michel avait déjà introduit une taxe sur les comptes-titres en 2018. Le gouvernement Vivaldi, au lieu de créer un véritable impôt sur la fortune, a donc simplement copié la taxe placebo de la très droitière coalition Suédoise, composée des libéraux du CD&V et de la N-VA.

Le gouvernement De Croo a seulement introduit quelques modifications techniques par rapport à la version 1 pour éviter le même funeste sort. En effet, en 2019, la Cour constitutionnelle avait annulé la taxe sur les comptes-titres pour différents motifs, mais surtout en raison de la discrimination évoquée ci-dessus (question 4) : le patrimoine financier détenu via un compte-titres est taxable alors qu’il ne l’est pas s’il est détenu via des actions nominatives.

Pour tenter d’échapper à une nouvelle annulation, la Vivaldi a imaginé un artifice juridique : il ne s’agirait pas d’un impôt visant les personnes, mais d’une sorte de taxe d’abonnement visant les comptes-titres eux-mêmes. Un peu comme une taxe sur une auto ou un pylône gsm. C’est notamment pour cette raison que la taxe comptes-titres 2.0 vise également les sociétés. Mais cet artifice crée une usine à gaz générant pas mal de problèmes et introduisant de nouvelles discriminations (voir question 6).

6. Des épargnants ayant moins d’un million peuvent-ils être touchés par la taxe sur les comptes-titres ?

Oui, et c’est tout le paradoxe de cette taxe : pour éviter de taxer les plus grandes fortunes possédant des actions nominatives, le gouvernement a choisi de viser les comptes-titres sans tenir compte de qui les détient. Ce qui peut avoir comme dégât collatéral de toucher de petits épargnants dont le patrimoine financier est inférieur au million d’euros.

Situation 1 : quatre frères et sœurs sont co-titulaires d’un compte-titre détenant 1,2 million d’euros d’actions (ils peuvent, par exemple, l’avoir hérité de leur père). Comme le gouvernement ne vise pas les titulaires mais le compte-titre, la taxe sera d’application, alors que chacun ne possède qu’un patrimoine de 300 000 euros.

Situation 2 : certains épargnants investissent via des assurances de branche 23, une assurance-vie associée à un investissement financier à risque (investissement en actions). Si ces épargnants ne sont pas détenteurs eux-mêmes d’un compte-titres, la compagnie d’assurances, elle, réalise bien les investissements en question via des comptes-titres. Qui seront soumis à la taxe. Celle-ci sera donc indirectement supportée par les épargnants, même si leur patrimoine financier est largement inférieur à un million d’euros.

7. Pourquoi la taxe ne vise-t-elle que les comptes-titres ?

Les députés PTB Peter Mertens (également président du parti) et Marco Van Hees ont posé maintes fois la question au ministre des Finances à la Chambre : pourquoi votre taxe ne vise-t-elle pas les actions nominatives alors que celles-ci constituent le patrimoine des plus grandes fortunes ? Le grand argentier Vincent Van Peteghem (CD&V) a systématiquement et ostensiblement refusé de répondre à cette embarrassante question.

Pourtant, la réponse est assez évidente. Même si quatre des sept partis de la coalition Vivaldi sont classés à gauche, les libéraux ont refusé toute taxe s’écartant de la taxe sur les comptes-titres façonnée sous la Suédoise par l’ultra-libéral ministre des Finances N-VA Johan Van Overtveldt.

La taxe sur les comptes-titres, tant dans sa version 1 que dans sa version 2, est donc soumise à ces trois balises libérales.

  1. Une taxe purement symbolique.

  2. Une taxe qui ne touche pas les toutes grandes fortunes.

  3. Pas de suppression du secret bancaire, ni de constitution d’un cadastre des fortunes.

En effet, le plus logique – et le moins discriminatoire – pour taxer les plus riches serait de calculer la valeur totale de leur patrimoine et de soumettre celle-ci à l’impôt. Mais il faut alors rassembler toutes ces données dans un cadastre des fortunes, tabou absolu des libéraux.

Dès lors, le seul cadastre des fortunes aux mains du fisc est le cadastre immobilier, qui permet de taxer les simples travailleurs sur leur modeste maison. Ou qui permet de refuser une aide sociale à une personne dans le besoin en permettant aux CPAS de puiser dans cette base de données pour vérifier si elle ne posséderait pas un bien immobilier.

8. Est-il facile de frauder la taxe sur les comptes-titres ?

Oui, puisqu’il n’y a pas de cadastre des fortunes. Imaginons une personne qui possède, dans quatre banques différentes, un compte-titres de chaque fois 900 000 euros. Au total, elle possède un patrimoine financier de 3,6 millions. Mais chacune des banques chargées de prélever la taxe voit un compte-titre non taxable puisque inférieur à un million.

Certes, les banques doivent transmettre les données relatives au comptes-titres au « Point de contact central » (PCC) de la Banque nationale. Mais le fisc ne pourra consulter cette base de données que si elle a des indices de fraude. Mais comment le fisc peut-il avoir de tels indices s’il ignore tout des données bancaires ? C’est un peu comme un policier qui, pour pouvoir faire un alcootest, devrait avoir des indices que l’automobiliste a bu.

Comme le relève le fiscaliste Michel Maus (VUB), « si l'on veut vraiment la justice fiscale, un cadastre des fortunes est la seule option. »iv

9. Quelles sont les différences entre la taxe sur les comptes-titres et la taxe des millionnaires ?

 

iL’Écho, 3 octobre 2020.

iiLe Soir, 21 novembre 2020.

iiiDe Morgen, 5 janvier 2021.

ivHet Laatste Nieuws, 20 juillet 2017.