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Comment PS et Ecolo tentent de mettre les grands patrons à la tête de la Wallonie

30 Juin 2017, le cdH vient juste de retirer la prise du gouvernement qu’il forme avec le PS en Wallonie et s’envole avec le MR. Jean-Claude Marcourt (PS), qui vit ses derniers jours comme ministre wallon de l’Économie, convoque la presse. En compagnie des plus grands patrons de Wallonie, il tient à présenter le rapport du « Conseil de l’Industrie ». Un rapport sur la politique économique wallonne « qui s'impose à tous », précise-t-il. Quel est donc ce document qui s’impose « à tous », y compris au PS et à Ecolo qui annoncent vouloir mettre en œuvre les recommandations des grands patrons wallons ?

Lundi 15 juillet 2019

Benjamin Pestieau et Antoine Hermant

Les « recommandations du Conseil de l’Industrie », c’est en premier lieu le projet socialiste de mettre les grands industriels à la tête de la politique économique wallonne. L’affaire est portée depuis longtemps par Jean-Claude Marcourt. L’homme qui a été longtemps ministre wallon de l’économie ne s’en cache pas. « L'esprit d'entreprise, vous le savez, est une de mes préoccupations majeures », déclarait-il déjà en 2010. Il est à la base des différents plans Marshall et des pôles de compétitivité. La logique de ces plans est toujours la même : offrir des aides et subsides au privé, en partant des besoins de rentabilité des grandes entreprises dans des secteurs dits porteurs.

En 2016, Marcourt décide d’aller un pas plus loin. Il crée le Conseil wallon de l’industrie. Ce Conseil est composé des dirigeants des entreprises les plus importantes de Wallonie (GSK, UCB, Alstom, Google…). Son objectif ? « Fournir des recommandations concrètes d’actions au Gouvernement pour renforcer sa politique industrielle. »

Si le Conseil est présidé par Yves Prete, l’ancien président de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE), le secrétariat est, lui, réalisé par la Cellule d’analyse économique et stratégique de la SOGEPA, le bras financier de la Région wallonne. Au sein du Conseil de l’industrie est aussi créé un « comité restreint de cinq membres » qui assure « la bonne gouvernance et le suivi des mesures proposées. » En d’autres mots, non seulement les grands industriels élaborent leurs recommandations, mais ils assurent aussi le contrôle de leur mise en œuvre par le gouvernement wallon.

Le PS organise donc une sorte de ligne directe entre le monde politique et le grand patronat industriel wallon et place sous sa tutelle les clés de la politique économique wallonne. Les derniers mots de Jean-Claude Marcourt comme ministre sont éloquents à propos de cette prise de pouvoir directe. Interrogé par la RTBF sur le fait qu’on peut se demander « à quoi rime de remettre des propositions à un Gouvernement sortant » (le cdH vient de mettre fin au gouvernement avec le PS pour continuer l’aventure avec le MR), Marcourt répond : « celui qui aura la charge du portefeuille assumera sa responsabilité. Mais il s’agit ici d’un rapport des industriels. Et ce rapport s’impose à tous. » Il sera effectivement une référence pour le ministre Jeholet (MR), qui lui succédera, avant d’être repris par le PS et Ecolo comme base de leur futur gouvernement. L’engagement est en effet très clair dans leur note Coquelicot : « le gouvernement mettra en œuvre les recommandations du Conseil de l’industrie. »

Qui sont les membres du Conseil de l’industrie ?

Il y a d'abord le président du Conseil de l’industrie, Yves Prete, un grand ami de Jean-Claude Marcourt. C'est l'ancien boss de Techspace Aero Booster (aujourd'hui Safran) et l'ancien président de l'Union Wallonne des Entreprises (UWE). « Je suis tout à fait anti-gilets jaunes. Je suis un démocrate, déclare-t-il. Quand je vais voter, je ne réclame pas qu’on vote une deuxième fois. Et je n’ai jamais accepté que quelqu’un me bloque dans la rue. Quand je vois que des gilets jaunes bloquent l’autoroute, on ne sait pas trop pourquoi, cela me dérange. » Vu l’assurance qu’a ce grand patron de voir la politique libérale qu’il souhaite appliquée par les partis traditionnels, il est normal qu’il ne réclame pas qu’on vote une deuxième fois. Il est par contre étonnant de voir que c’est ce genre de personnes qu’Ecolo et le PS veulent suivre pour mettre en place la politique économique wallonne.

On retrouve aussi Thierry Castagne. Ce dernier est directeur général d'Agoria, la fédération patronale du métal et des nouvelles technologies. Pour ce patron, « si on taxe les hauts revenus, nos ingénieurs partiront en Flandre » et il ne faut surtout pas réduire le temps de travail. Au contraire. Pour ce patron, « il faut prendre le travail sur l'ensemble d'une carrière et non sur une semaine de 38 heures. Le temps de travail doit pouvoir se moduler (...) en fonction des besoins des entreprises. »

Il y a également Thierry Geerts, le CEO de Google Belgium, pour qui la digitalisation de l'économie doit être le prétexte pour revoir la législation en matière de travail de nuit et le faciliter. Un travail de nuit contre lequel le monde du travail s'est battu pendant des dizaines d'années car il est extrêmement nocif à la santé.

On pourrait continuer ainsi la liste des membres du Conseil : les boss d'UCB, GSK, CMI defence, Alstom Belgium … Chacun de ses membres représente les intérêts du grand capital industriel actif en Wallonie.

Quelles sont ces recommandations qui doivent s’imposer à tous ?

Sur le plan social : plus de flexibilité, moins de salaire, plus de cadeaux fiscaux pour les entreprises

D’abord, le rapport du Conseil de l’industrie s’inscrit complètement dans la logique qu'il faut baisser les salaires. Il faut « maintenir la compétitivité de nos entreprises en garantissant des coûts du travail comparables à ceux de nos partenaires commerciaux ». Le problème est pourtant que les salaires belges sont trop bas. Ils sont ceux qui ont le moins progressé de toute l'Europe ces 5 dernières années.

Le Conseil de l’industrie veut aussi « simplifier la fiscalité économique régionale et locale et soutenir une fiscalité belge propice au développement économique ». En d'autres mots, cela veut dire baisser les impôts des grosses entreprises. Un comble, quand on sait par exemple qu’une entreprise comme UCB, qui fait partie du Conseil, ne payait que 0,7 % d’impôt sur ses bénéfices et était reprise en 2017 dans le Top 50 des entreprises qui payent le moins d’impôt en Belgique.

Pour le Conseil de l’industrie, il faut également « mettre en œuvre en Wallonie les clauses de flexibilité possibles dans les conventions sectorielles ». Quelles sont ces « clauses » ? Il s'agit par exemple du 'plus-minus conto' qui est un système qui calcule le temps de travail non pas sur la semaine, non pas sur le mois, non pas sur l'année, mais sur plusieurs années (jusqu'à 6 ans). Le système est surtout utilisé jusqu'ici dans l'automobile à Bruxelles et en Flandre. Le but est que le travailleur adapte son temps de travail en fonction du cycle de production. Par exemple en travaillant beaucoup pendant 2 ans et moins pendant 2 autres années. Au gré des besoins de l'entreprise.

Sur le plan écologique : une politique où les gros pollueurs sont récompensés

Dans le rapport du Conseil de l’industrie, on peut lire qu'il faut « mettre en œuvre le dispositif carbon leakage (ou 'fuite de carbone' en français, ndlr) avec des moyens renforcés ». Derrière ce nom compliqué, se cache un mécanisme mis en place par l'Union européenne. Des droits de polluer sont donnés gratuitement à des entreprises qui seraient susceptibles de délocaliser leur unité de production dans des pays où la réglementation environnementale est plus laxiste. Un peu dans la même logique qui veut qu’on baisse les impôts des multinationales qui sont susceptibles de délocaliser si elles estiment leurs impôts trop élevés, ici on accorde des droits de polluer à celles qui pourraient délocaliser pour aller polluer ailleurs.

Les industriels wallons demandent donc, au nom de la compétitivité, le renforcement de ce mécanisme européen qui offre des cadeaux aux entreprises, même si c’est au détriment de la nature. Ces grands industriels recommandent également « d’instaurer un tarif 'industrie' qui garantit des coûts énergétiques plus compétitifs (...) avec une attention complémentaire pour les entreprises électro intensives ». Cela veut dire que les entreprises qui consomment le plus d'électricité devraient être privilégiées et voir leur facture baisser au nom de la compétitivité.

Les exigences de ces patrons wallons prennent plus de relief encore quand on lit les déclarations de leur président, Yves Prete : « Le dimanche, il y a 70.000 personnes qui disent qu’on ne peut pas polluer et le lundi, on bloque les routes parce que la TVA sur le mazout est trop élevée … Le mouvement des gilets jaunes, c’est le signe que l’on n’a pas expliqué à la population ce qu’on voulait. » En gros, tout doit être fait pour que les entreprises paient leur énergie le moins cher possible. Par contre, les travailleurs qui n'arrivent pas à boucler leurs fins de mois n’ont, eux, pas le droit de protester contre l’augmentation de leur facture d'énergie. Pour ces patrons, la lutte pour le climat est intéressante si elle permet de justifier de nouvelles taxes contre le peuple mais elle s'efface complètement quand elle met à mal la compétitivité des entreprises. On peut difficilement faire plus cynique.

Sur le plan démocratique : moins de libertés syndicales

Pour le Conseil de l’industrie, il faut enfin « maintenir un climat social serein (…) en ne permettant le déclenchement de grèves qu’avec le soutien de toutes les organisations syndicales représentées et après un vote à majorité qualifiée. » Il s'agit ici d'une nouvelle tentative de mettre la pression sur le droit de grève. Exiger des procédures lourdes comme le soutien de toutes les organisations syndicales représentées revient à empêcher toute possibilité d'entrer en grève. Il s'agit aussi d'un discours idéologique qui tente de faire croire que les problèmes économiques de la Wallonie viendraient de ses tensions sociales et pas de la soif de profits des grandes multinationales pour qui la santé, le bien-être des travailleurs et l'environnement ont peu de valeur.


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Pour résumer, le document des industriels wallons propose de poursuivre la même politique de cadeaux aux plus riches et de sacrifier les salaires, les conditions de travail, le droit de grève et la nature au nom de la compétitivité des entreprises. Il s’agit de poursuivre les mêmes recettes ultralibérales qui sont en vigueur depuis plus de 30 ans et qui nous ont amenés dans la crise.

Comment des partis qui se disent de gauche osent-ils dire que ce genre de recommandations doivent être mises en œuvre et « s'imposer à tous » ? N’est-il pas temps au contraire de mener une toute autre politique industrielle, faite d'investissements publics qui répondent aux besoins de la population en matière de logement, de soins de santé ou d’énergie, tout en créant de l’emploi de qualité. Une politique où les moyens publics sont investis en fonction des besoins sociaux et écologiques urgents de la société et non en fonction de la rentabilité des multinationales et des grandes entreprises privées.