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Affaire Chovanec : le problème se situe au sommet de la hiérarchie policière et de l’État

Loin de constituer un cas isolé, l’affaire Chovanec révèle un problème plus profond au sommet de l’appareil d’État. De nouvelles réformes et un contrôle plus démocratique de la police s’imposent de toute urgence.  

Mardi 15 septembre 2020

Gaby Colebunders

Le 24 février 2018, Jozef Chovanec, 38 ans, est décédé de mort violente dans une cellule de police de l’aéroport de Charleroi. Ce n’est qu’après que sa femme ait divulgué les images à la presse que les choses ont commencé à bouger. Le ministre de l’Intérieur de l’époque Jan Jambon (N-VA, entretemps ministre-Président flamand) qui, dans un premier temps, disait tout ignorer de l’affaire, était soudainement au courant. Or, le problème n’est pas seulement que Jambon ait menti, mais surtout qu’il ait trouvé si banale la mort d’un homme à l’issue d’une intervention policière qu’il ne s’est guère soucié de l’enquête. Jan Jambon se trouvait à la tête d’un appareil policier et judiciaire dont la hiérarchie supérieure couvre la violence et le racisme.

La veuve de Jozef Chovanec tend un miroir à la police, à la justice et au ministre

Depuis deux ans et demi déjà, Henrieta Chovancova mène, avec un immense courage, un combat solitaire pour la vérité. En Slovaquie, à plus de 1 000 kilomètres du lieu où sont survenus les faits, elle tente de démêler le tissu de mensonges qui entoure la mort de son mari. Jozef Chovanec est mort en février 2018 après une violente intervention de la police dans une cellule de Charleroi. M. Chovanec souffrait de ce qu’on appelle le « syndrome de délire agité ». Il s’agit d’un épisode psychotique qui se caractérise par une montée subite et extrême de la température corporelle, une grande vigueur physique, une insensibilité à la douleur et des accès de colère.

La veuve de la victime accuse l’ensemble de la hiérarchie policière, la justice et le ministre de l’Intérieur de l’époque

Après avoir été enfermé dans une cellule pendant des heures, M. Chovanec s’est mis à donner des coups de tête contre la porte, jusqu’au sang. Sans se soucier de poser le diagnostic approprié, les policiers l’ont maîtrisé en s’asseyant sur lui avec le genou sur la poitrine pendant pas moins de seize minutes. Entretemps, ils lui avaient recouvert la tête d’une couverture. Les images capturées par la caméra de surveillance montrent les agents en train de rire et de se livrer à toutes sortes de pitreries. On y voit même une policière faire le salut hitlérien. Suite à l’intervention, M. Chovanec a fait un arrêt cardiaque et un massage cardiaque a dû être pratiqué. En état de mort cérébrale, il a été transporté à l’hôpital, où il est décédé trois jours plus tard.

On sait que des tas de choses ont mal tourné et, pourtant, le dossier est en train de prendre la poussière quelque part depuis deux ans et demi. « Il ne se passe rien et les gens se protègent les uns les autres », a déclaré la veuve de la victime à la VRT. Elle accuse l’ensemble de la hiérarchie policière, la justice et le ministre de l’Intérieur de l’époque.

Mme Chovancova a toutes les raisons de soupçonner qu’on veut étouffer l’affaire. Pendant tout ce temps, ni les officiers de police responsables ni le tribunal n’ont fait quoi que ce soit avec les images vidéo, qui montrent très clairement la gravité des faits. Les agents impliqués, dont celle qui a fait un salut hitlérien, sont restés actifs toutes ces années. Le juge d’instruction a même refusé de procéder à une reconstitution des faits. Le médecin légiste initialement désigné a conclu que l’intervention de la police n’était « pas déterminante » dans la mort de Jozef Chovanec. Henrieta Chovancova n’a rien cru de tout cela et s’est portée partie civile dans l’affaire. Elle a désigné un contre-expert qui a contesté la conclusion du médecin légiste.

Afin de faire enfin avancer l’enquête, la veuve de Jozef Chovanec s’est vue contrainte de divulguer les images au grand public. « Je ne voulais pas que ma fille voie un jour ces images de son père, mais je n’ai pas eu le choix. » Les images ont suscité une vive indignation. Sous la pression citoyenne, la juge d’instruction a annoncé qu’elle allait autoriser une reconstitution deux ans et demi après les faits. Mais au lieu d’admettre les failles de l’enquête, le ministère public de Mons s’est mis sur la défensive avant même que l’enquête ne soit terminée : « Il n’y a aucune preuve que l’action de la police ait été la cause de la mort de Chovanec. » Cette communication invraisemblable a durement ébranlé la veuve de la victime.

À l’époque, le ministre de l’Intérieur Jan Jambon et les hauts responsables de la police n’ont rien fait pour clarifier l’affaire. Au cours de ces dernières semaines, M. Jambon a passé plus de temps à essayer de couvrir son propre rôle qu’à tenter de faire la lumière sur les faits survenus. « Comment peut-on faire confiance à une telle personne ? Il affirme une chose et, l’instant d’après, il soutient le contraire », dit Henrieta Chovaneca. Les images ont aussi fait beaucoup de bruit en Slovaquie. De nombreux Européens de l’Est ont le sentiment que les Occidentaux les considèrent comme des citoyens de seconde zone. Un citoyen slovaque qui meurt dans une cellule de police en Belgique ? Pas de quoi en faire un plat, semble-t-il. Pendant toutes ces années, les autorités belges n’ont à aucun moment cherché à contacter la veuve de Jozef Chovanec. Qu’il s’agisse des responsables politiques, de la justice ou de la police, rien n’a été fait pour tirer l’affaire au clair ni pour obtenir justice pour les proches.

Tout sauf un cas isolé

L’affaire Chovanec évoque des souvenirs douloureux en Belgique. Les similitudes avec l’affaire Jonathan Jacob en 2010 sont évidentes. Comme Jozef Chovanec, M. Jacob était atteint du syndrome de délire agité (SDA). Il prenait des amphétamines et a été admis plusieurs fois pour psychose. Il avait besoin d’aide, mais il a été tué par les « bottinekes » (BBT) d’Anvers – une unité spéciale locale – dans une cellule de la police à Mortsel. Tout comme l’affaire Chovanec, l’affaire Jacob n’a été ébruitée que lorsque les images de surveillance ont été rendues publiques. Sous la pression de l’opinion publique, une enquête et finalement une condamnation ont eu lieu, pas moins de sept ans après les faits. On en a tiré des leçons sur la nécessité d’une prise en charge adaptée par la police des personnes souffrant de troubles mentaux. Cependant, l’affaire Chovanec montre que, dix ans après les faits, rien n’a été fait.

L’affaire Chovanec met également en lumière des problèmes structurels qui avaient déjà été révélés antérieurement. Dans les affaires Dutroux et Loubna Benaïssa également, la justice et la direction des forces de police (la gendarmerie, à l’époque) n’en ont pas fait assez. Les parents des victimes n’étaient « que » des travailleurs et n’ont pas été impliqués. L’enquête était truffée d’irrégularités. Et quand celles-ci ont éclaté au grand jour, les responsables ont serré les rangs.

Sous la pression des 300 000 participants à la Marche Blanche, une réforme approfondie du système de police a eu lieu

En 1996, 300 000 personnes ont manifesté à Bruxelles pour dénoncer cette justice de classe. Les participants à la Marche Blanche réclamaient un contrôle démocratique et une force de police transparente qui prenne au sérieux la sécurité des citoyens. Sous cette pression, une réforme approfondie du système de police a eu lieu. La police et les responsables politiques ont adopté le concept de « police de proximité ». La gendarmerie autoritaire a été supprimée et les services locaux revalorisés. La police devait sortir de sa tour d’ivoire pour se rapprocher des gens, connaître leur réalité et les seconder dans les quartiers. Elle devait bien connaître le tissu social, être au service de la population et s’efforcer d’agir de manière préventive. La police devait désormais impliquer les victimes lors de la résolution des crimes. Au lieu de se protéger, la police serait désormais tenue de rendre des comptes à la population. Il conviendrait aussi d’accorder de l’importance à la sécurité des travailleurs. Cette conception du travail policier s’inscrivait dans une optique plus large dans laquelle les problèmes sociaux devaient être résolus principalement dans une optique de prévention. Pour lutter contre la criminalité, l’accent devait être mis sur des emplois de qualité, une bonne protection sociale et la lutte contre les inégalités.

Le modèle du maintien de l’ordre de la N-VA : vers une police autoritaire

Les partis traditionnels n’ont jamais réalisé cette vision d’une police de proximité, centrée sur la communauté. « Les changements ont été purement cosmétiques », selon Sofie De Kimpe, professeure de criminologie à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). La N-VA, par contre, n’a jamais accepté l’idée d’une police de proximité en tant que telle. Dans une société où nos droits sociaux sont attaqués et où les inégalités se creusent, la N-VA attribue à la police un rôle avant tout répressif.

La N-VA prône la militarisation de la police, à l’instar des États-Unis. Elle a mis cette vision en pratique à l’époque où Jan Jambon était ministre de l’Intérieur. Sous M. Jambon, on a investi davantage dans des unités spéciales, dans des dispositifs de surveillance coûteux à la « Big Brother » comme les caméras avec lecture de plaques d’immatriculation (ANPR), et dans des véhicules blindés pour la police d’Anvers. Avec des méthodes de renseignement spéciales telles que les écoutes téléphoniques, les infiltrations et la prolongation de la détention préventive, nos droits démocratiques ont été progressivement remis en cause.

Les agents de quartier sont essentiels pour s’attaquer aux problèmes, y compris lorsqu’il s’agit de radicalisation ou de drogue, car ils connaissent bien les quartiers et les problèmes sociaux

Dans l’esprit d’une police de proximité, le niveau local devrait être central et la police fédérale devrait jouer un rôle de soutien. Sous la direction du ministre Jambon, nous avons vu le contraire se produire. Au nom de la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, des ressources ont été transférées du niveau local vers le niveau fédéral. Depuis lors, il est de plus en plus souvent question de « guerres ». Guerre contre la drogue, guerre contre le terrorisme... Les commissariats de quartier ferment un peu partout. À la place, on voit apparaître de véritables « Robocops »... L’accent est mis sur le recours accru à la violence, tandis que la police prend de plus en plus de distance par rapport à la population.

Or, rien ne prouve que cette approche idéologiquement lourde de sens porte ses fruits, bien au contraire. Les agents de quartier sont justement essentiels pour s’attaquer aux problèmes, y compris lorsqu’il s’agit de radicalisation ou de drogue, car ils connaissent bien les quartiers et les problèmes sociaux. C’est grâce au travail classique accompli par les agents de police que l’attentat de Verviers a pu être déjoué. Le professeur Paul Ponsaers se montre également critique à l’égard de cette évolution : « Nous constatons aujourd’hui que le gouvernement prend toutes sortes de mesures visant principalement à développer le volet répressif de la lutte contre le terrorisme et que le volet préventif est, lui, laissé à l’abandon. »

Mais ce que Bart De Wever et Jan Jambon veulent avant tout, c’est que la police maintienne l’ordre établi au moyen d’une approche répressive. Immédiatement après la formation du gouvernement Michel-De Wever en 2014, Jan Jambon a suggéré à son collègue, le ministre de la Défense, Steven Vandeput (également de la N-VA), que l’armée puisse être déployée contre les manifestations syndicales et le mouvement citoyen Hart Boven Hard/Tout Autre Chose. En 2016, le bourgmestre d’Anvers Bart De Wever est même allé jusqu’à faire appel à la police pour déloger de force un piquet de grève syndical dans le port.

Ce modèle de maintien de l’ordre va de pair avec une tendance globale de droitisation au sein des forces de police, à commencer par les plus hauts rangs. Les éléments racistes et violents sont de plus en plus tolérés. La professeure De Kimpe évoque une « culture du silence » qui tient les institutions sous son emprise. Il se développe un courant d’extrême droite et la culture du silence imposée par le sommet de la hiérarchie permet à ce mouvement de suivre son cours. Ce problème va bien plus loin qu’une policière qui fait un salut hitlérien.

Il n’y a pas eu que les affaires Chovanec et Jacob, il y a eu d’autres décès. Pensez à la petite Mawda ou à la mort de Mehdi et Adil à Bruxelles. Chaque fois, des questions restent en suspens sur l’usage de la violence par la police et sur la manière dont elle est intervenue. Récemment, le média d’investigation Apache a permis de lever le voile sur un groupe Facebook dans lequel des policiers tiennent des propos ouvertement racistes et glorifient l’usage de la violence. La direction de la police était au courant de l’existence de ce groupe qui servait à transmettre des informations, et pourtant aucune mesure n’a été prise. Bien sûr, les quelque 6 700 membres de ce groupe n’étaient pas tous coupables de commentaires racistes. Néanmoins, ce que cet exemple montre, c’est qu’il existe manifestement une culture de tolérance vis-à-vis de comportements de cette nature de la part de certains hauts responsables.

Le 21 mars 2016, des messages vexants à caractère raciste ont été publiés à la une du quotidien De Standaard par un groupe WhatsApp de la police d’Anvers. Quatre ans plus tard, l’enquête judiciaire est toujours entre les mains... du parquet d’Anvers. Au début de cette année, la RTBF a diffusé un reportage montrant comment des agents qui sont eux-mêmes devenus victimes de sexisme et de racisme ont été réduits au silence. Lorsqu’ils se sont plaints, ce ne sont pas les auteurs mais les victimes qui ont été mutées dans une autre zone. « Le racisme ou les comportements agressifs de la police sont encouragés par le fait que la direction des forces de police ne fait pratiquement rien contre eux », explique Sofie De Kimpe.

La nécessité de nouvelles réformes et d’un contrôle plus démocratique

Face à cette violence et à ce racisme, il est urgent d’instaurer un contrôle démocratique plus sérieux de la police. Ce contrôle doit viser avant tout les échelons supérieurs de la hiérarchie. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déjà condamné la Belgique à plusieurs reprises parce que les enquêtes contre la police n’ont pas été menées de manière approfondie. L’organe chargé du contrôle de la police – le Comité P – est actuellement composé principalement d’anciens agents. Une fois leur enquête terminée, c’est à la Zone de police elle-même de sanctionner les personnes mises en cause. Ainsi, l’officier responsable et le juge sont une seule et même personne. Il n’est donc pas rare que de telles plaintes restent sans suite, ce dont le Comité P, lui-même, se plaint.

Aussi semblerait-il que le mécanisme de plainte existant ne serve pas tant à exfiltrer les contrevenants qu’à les protéger et à faire taire les éventuels contestataires. Afin de garantir réellement la transparence de la procédure de plainte, le Comité P doit devenir plus indépendant. Dans le passé, les Nations Unies ont déjà conseillé à la Belgique d’ajouter des experts externes au Comité P afin d’accroître son indépendance. Les organisations de défense des droits humains et la Ligue des droits humains devraient y avoir leur place.

La police devrait avant tout devenir un acteur social à part entière, en consultant les travailleurs sociaux pour la jeunesse, les clubs sportifs engagés, le CPAS et d’autres initiatives sociales

Annoncée contre toute attente, la mise sur pied au sein de la police d’un système de notification pour les lanceurs d’alerte pourrait constituer un pas dans la bonne direction. Il s’agit à présent d’ancrer ce service dans la loi afin d’en garantir l’indépendance. L’effectif très réduit de ce service – trois agents, à peine une patrouille – doit être renforcé et protégé contre le licenciement. Ses membres doivent disposer de pouvoirs étendus et des personnes extérieures doivent être impliquées. Ils doivent être soumis à une obligation de déclaration auprès des hauts responsables de la police et du ministre.

Il est également urgent de recentrer l’attention sur une police de proximité, centrée sur la communauté. Au lieu d’investir de plus en plus dans des caméras et des unités spéciales, la police devrait avant tout devenir un acteur social à part entière, en consultant les travailleurs sociaux pour la jeunesse, les clubs sportifs engagés, le CPAS et d’autres initiatives sociales. C’est ainsi qu’on peut travailler de manière préventive et faire de la médiation, avant même que survienne une violation de la loi. Les sanctions doivent avant tout servir à empêcher que des crimes ne soient commis à nouveau. Voilà l’approche la plus efficace.

Nous avons besoin de toute urgence d’une politique qui s’inscrive dans l’esprit de la réforme de la police plutôt que de laisser libre cours aux tendances fascisantes. Ensemble, construisons le rapport de force pour mener à bien cette importante bataille démocratique.