Venezuela : Trump passe à l’offensive, résistance dans toute l’Amérique latine
Depuis quelques mois, à la télévision, sur les réseaux sociaux, les images de frappes américaines sur des bateaux dans les eaux des Caraïbes s’enchaînent. Trump prétend que ces frappes servent à lutter contre le « narco-terrorisme du gouvernement vénézuélien ». En réalité, lui et les grands groupes économiques des États-Unis comptent mettre la main sur les ressources de la région et empêcher toute alternative. Pour y arriver, l’administration Trump ne se contente pas de viser le Venezuela : elle étend ses attaques à tous les États latino-américains qui contestent sa domination. Les pressions économiques, les campagnes de déstabilisation et les menaces militaires visent tous les pays qui refuse de se soumettre à l’ordre dicté par Washington.
La « Doctrine Monroe 2.0 », plus agressive que jamais
« L’Amérique aux Américains » : c’est sous ce slogan que le président américain James Monroe énonça en 1823 une doctrine qui n’avait d’autre but que de faire du continent latino-américain « l’arrière-cour » des États-Unis. Ce qu’il voulait dire en réalité était : « L’Amérique latine et les Caraïbes aux États-Unis » – et plus aux Européens, anciens colonisateurs. Pendant deux siècles, cette logique impérialiste a justifié une longue liste d’interventions, de coups d’État et de dictatures soutenues par Washington, du Guatemala au Chili d’Allende en passant par la Bolivie.
Aujourd’hui, face à la montée en puissance de la Chine et la volonté des pays du Sud global de trouver une voie alternative de développement, l’administration Trump réactive ce funeste héritage avec une agressivité décomplexée. Nous assistons à une escalade militaire sans précédent depuis 20 ans, une agression multiforme qui menace non seulement le Venezuela, mais tout projet de souveraineté et de justice sociale en Amérique latine.
Une agression multiforme
Sanctions
Entre 2017 et 2024, les sanctions dirigées par les États-Unis, appelées « mesures coercitives unilatérales », ont coûté au Venezuela 213 % de son PIB en recettes pétrolières manquées.
Comme l’a documenté la rapporteuse spéciale des Nations Unies, Alena Douhan, ces mesures ont exacerbé une crise économique préexistante, avec un effet dévastateur sur l’ensemble de la population, et plus particulièrement sur les personnes les plus vulnérables. https://digitallibrary.un.org/record/3946822
Le mécanisme est double : au-delà du gel officiel des avoirs de l’État et des restrictions commerciales, par crainte de lourdes amendes, les banques et les multinationales bloquent toutes les transactions. Cela paralyse l’importation de médicaments, de matériel pour les hôpitaux et de denrées alimentaires, créant délibérément des pénuries qui visent à provoquer un mécontentement populaire.
Malgré leur sévérité, ces sanctions criminelles n’ont pas atteint leur objectif ultime de « changement de régime ». En fait, la situation sociale et économique au Venezuela montre des signes d’amélioration ces dernières années, en dépit des sanctions. Le pays a réussi à stabiliser partiellement son économie, à diversifier ses partenariats et à mettre en œuvre des mécanismes internes pour atténuer l’impact de la guerre économique, démontrant une capacité d’adaptation qui a surpris les observateurs internationaux.
Menace militaire directe
L’objectif n’étant pas atteint, la manière forte est maintenant l’option militaire pour faire tomber le président Maduro. En août 2025, sous couvert d’une nouvelle « guerre contre la drogue », l’administration Trump a déployé une force militaire massive dans les Caraïbes, au large du Venezuela. Ce déploiement incluait plusieurs navires de guerre, trois bombardiers stratégiques B-52 et plus de 10 000 soldats, appuyés par dix avions de combat F-35 stationnés à Porto Rico.
Dès septembre, Trump ordonne des frappes militaires unilatérales contre des navires près des côtes vénézuéliennes, causant la mort d’une septentaine de personnes dans ce que des rapports internationaux sur les droits humains qualifient d’exécutions extrajudiciaires. « Plusieurs villages de la péninsule vénézuélienne de Paria sont en deuil après la mort de plusieurs habitants côtiers au cours des dernières semaines. Il s’agit de pêcheurs, d’ouvriers et de petits délinquants, et non de chefs de cartels de la drogue, comme le prétend Washington », relaye la VRT.
Le 2 octobre, dans une note envoyée aux membres du Congrès, Trump a décrété que les États-Unis étaient engagés dans un « conflit armé » contre les cartels du narcotrafic qui menaceraient la « sécurité nationale » du pays. Cette qualification vise à appuyer légalement les opérations militaires au Venezuela, sans vote du Congrès (parlement).
Par une décision annoncée le 24 octobre, la flotte US dans les eaux des Caraïbes sera renforcée par le porte-avions USS Gerald R. Ford, le plus grand et le plus récent bâtiment de la marine américaine. Celui-ci transporte environ 5 000 marins et dispose de plus de 75 aéronefs, incluant des chasseurs F/A-18. Cette démonstration de force, clairement disproportionnée, s’apparente à un blocus militaire et sert de pression pour un éventuel scénario d’intervention.
Face à ces attaques et menaces, le Venezuela a répliqué en mobilisant des réservistes et des volontaires parmi sa population, et en déployant des systèmes de missiles le long de son littoral – avec l’assistance de la Russie. Cette dynamique illustre une logique inquiétante où la pression militaire américaine ne fait que précipiter le Venezuela dans une course à l’armement défensif qu’il ne désire pas. Mais au cas où, Maduro veut que ce système de « défense intégrale » soit prêt à toute éventualité, avec aussi l’implication de milliers de communes locales et d’unités populaires de la base.
« La seule solution est le départ de Maduro »
Le 15 octobre, Trump a publiquement reconnu avoir autorisé la CIA à mener des opérations sur le territoire vénézuélien. Comme le rappelle à juste titre De Standaard, la CIA a une longue histoire d’agressions et de (tentatives de) coups d’État contre des gouvernements d’Amérique latine qui refusent de se plier à la volonté de Washington : de la destitution du président Jacobo Árbenz au Guatemala, orchestrée au profit de la multinationale américaine United Fruit Company (Chiquita), au coup d’État contre Salvador Allende au Chili en 1973.
A côté de cela, Washington a placé une prime de 50 millions de dollars sur la tête du président élu Nicolás Maduro, le qualifiant sans preuve de chef d’un « cartel de la drogue » . Dans le même temps, l’attribution du prix Nobel de la paix à l’opposante María Corina Machado sert de nouvel outil de propagande pour faire pression sur Caracas et justifier un changement de régime. Cette figure de l’extrême-droite vénézuélienne, admiratrice du génocidaire Premier ministre israélien Netanyahu, a publiquement demandé aux États-Unis d’intervenir au Venezuela, en déclarant dans une récente interview que « l’escalade par les USA est la seule voie pour libérer le Venezuela ».
Le renversement du président vénézuélien Nicolás Maduro par un coup d’État militaire est exactement ce que prône l’extrême droite au sein de l’administration américaine. Et elle le fait ouvertement. William Brownfield a été ambassadeur des États-Unis au Venezuela de 2004 à 2007, et est également ancien secrétaire d’État adjoint aux affaires internationales liées aux stupéfiants et à l’application de la loi (!). Dans une interview sur la chaîne de télévision vénézuélienne d’opposition Globovisión, il a déclaré : « La seule solution est le départ. C’est-à-dire le départ de Maduro et de son groupe du pouvoir. (...) Et qui sont les Vénézuéliens qui ont la capacité de le faire ? Historiquement, dans presque tous les pays du monde, ce sont les hommes et les femmes en uniforme. » (En Vivo con Mari Montes, Globovisión, May 30, 2024)
Un front plus large à attaquer
L’agression ne se limite pas au Venezuela. Le président colombien Gustavo Petro est également dans le collimateur de Washington, qui l’accuse d’être impliqué dans un trafic de drogue et a gelé ses avoirs en l’inscrivant sur la liste noire du Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC), dite « liste Clinton ». Cette attaque montre que la cible est plus large : il s’agit d’affaiblir l’ensemble des gouvernements progressistes de la région qui osent défendre leur souveraineté.
Les véritables motifs de l’agression
Ce qui se passe aujourd’hui n’a rien à voir avec la lutte contre le trafic de drogue. Selon le Rapport mondial sur les drogues 2025 des Nations unies, le Venezuela ne joue pratiquement aucun rôle dans le circuit latino-américain de la drogue. Ce rapport précise que les plus gros producteurs de cocaïne en Amérique latine sont la Colombie, la Bolivie et le Pérou alors que la quantité de drogues saisies par le Venezuela ne représentent que 1,9 % et que la majorité du transit de cocaïne depuis l’Amérique du Sud jusqu’aux États-Unis se fait en majorité depuis l’océan pacifique.
La Drug Enforcement Administration (DEA) des États-Unis a reconnu dans ses rapports annuels que les États-Unis n’identifient pas le Venezuela comme une route principale du trafic de stupéfiants vers leur territoire. Leurs propres documents démentent formellement le narratif utilisé pour justifier l’agression militaire et les sanctions. Le pays ne connaît pas de culture illégale significative et n’est mentionné que dans environ 5 % des routes de trafic — contre 87 % pour des pays comme la Colombie et l’Équateur, via la côte pacifique.
Comme l’explique le journaliste spécialiste de l’Amérique latine Ignacio Ramonet, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, dans le podcast Tout bascule : « Trump nourrit des ambitions néocoloniales. Il veut s’emparer des immenses richesses du Venezuela — non seulement du pétrole et du gaz, mais aussi de l’or et d’autres métaux précieux. » L’ ancien ambassadeur américain, James B. Story, a déclaré que le Venezuela était « un très mauvais acteur qui se trouve sur les plus grandes réserves de pétrole du monde, ainsi que les minéraux critiques qui vont alimenter l’économie du 21e siècle » . Le but des États-Unis est de s’emparer de ces richesses de la région, et, simultanément, d’empêcher la Chine et la Russie d’y accéder et de consolider leur influence dans la région.
Comme ailleurs dans le monde, face à la montée en puissance des BRICS et du Sud global, les États-Unis sont engagés dans une course acharnée aux matières premières qui s’exprime crûment, comme dans les récentes déclarations de Trump sur le Nigeria : « Nous allons infliger au Nigeria des choses qu’il n’aimera pas du tout. Et il se pourrait que nous entrions dans ce pays les armes à la main. » Ce qui annonce une intervention armée sous le faux prétexte d’un « génocide chrétien ».
Conclusion : nous ne pouvons pas analyser les menaces d’intervention militaire des États-Unis sans constater que la liste des territoires devenus des « zones d’intérêts » pour Washington coïncide avec la carte mondiale des ressources stratégiques et leurs voies d’approvisionnement.
Mais il y a plus. Le Venezuela est un maillon clé de la gauche latino-américaine et le principal allié de Cuba. Depuis 1999, le Venezuela d’Hugo Chàvez – prédécesseur de Maduro – incarne un projet de société alternatif au modèle néolibéral. Son renversement serait un signal fort pour faire tomber les autres « dominos » progressistes en passant par le Brésil de Lula, la Colombie de Petro, le Mexique de Sheinbaum et bien sûr, Cuba. Pour l’impérialisme, il est impératif d’étouffer dans l’œuf toute tentative de construction d’un bloc latino-américain souverain, avec plusieurs pays et mouvements qui se réfèrent au socialisme.
Résistance et solidarité internationale
La résistance vénézuélienne et latino-américaine s’organise sur tous les fronts, à tous les niveaux. L’opposition ferme de leaders progressistes isole Washington diplomatiquement. La récente tentative de Trump de faire pression sur le Brésil avec une guerre tarifaire a spectaculairement échoué, provoquant un sursaut de souveraineté et une hausse de la popularité de Lula, qui a déclaré : « Nous ne sommes, et ne serons plus jamais, la colonie de personne. »
La Colombie, le Mexique et le Brésil condamnent fermement les menaces militaires des États-Unis, en défendant la vision d’une Amérique latine et des Caraïbes comme « Zone de Paix ». Cette notion fut officiellement proclamée lors du sommet de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) les 28 et 29 janvier 2014 à La Havane, par l’ensemble de ses 33 États membres.
Cette dynamique de rejet de l’hégémonie américaine s’est concrétisée par un acte politique majeur : les présidents Gustavo Petro (Colombie) et Claudia Sheinbaum (Mexique) ont refusé de participer au sommet de l’Organisation des États américains (OEA), considérée comme un instrument de la politique étrangère des États-Unis, après l’exclusion de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua de cet organisme. Ce boycott a conduit à l’annulation pure et simple du sommet de l’OAE.
Et l’Europe?
À l’opposé de l’OEA et la mainmise de Washington, on assiste à une dynamique autonome du continent, portée notamment par le président de la Colombie, Gustavo Petro, pour privilégier le renforcement de la CELAC (Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes, regroupant les 33 pays de la région – sans les États-Unis). La CELAC a développé une relation bilatérale de dialogue et de développement avec l’Union européenne. Ce partenariat vient de conclure son 4e Sommet, à Santa Marta en Colombie, les 9-10 novembre. Si la tenue même du sommet témoigne d’un certain succès diplomatique pour les pays qui prônent l’intégration régionale sans ingérence américaine, les discussions sur la déclaration finale témoignent des fortes pressions exercées par Washington sur ses alliés traditionnels dans la région. En effet, des pays comme l’Argentine, le Costa Rica, le Panama et le Paraguay se sont dissociés des paragraphes les plus progressistes du texte, notamment ceux concernant la condamnation du conflit à Gaza, la levée du blocus contre Cuba et la réaffirmation de l’Amérique latine comme « Zone de Paix ».
Le Sommet CELAC-UE aurait dû permettre à l’Europe d’assurer un dialogue commercial et politique d’égal à égal entre les deux continents, sans interférence des États-Unis. Au lieu de cela, Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne), Friedrich Merz (chancelier allemand) et Emmanuel Macron (président français), sous la pression de Trump, ont décidé de ne pas y assister afin de ne pas déranger les plans et les opérations agressives de Trump dans la région.
Avec le PTB, nous avons co-signé la lettre ouverte lancées par des organisations pour la paix belges qui exige du gouvernement belge et des institutions européennes :
- qu’ils interpellent les États-Unis sur la légalité de ces opérations ;
- qu’ils soutiennent les appels à la désescalade, au respect du droit international, à la souveraineté des pays d’Amérique latine et des Caraïbes.
- qu’ils condamnent sans équivoque l’usage de la force létale en dehors de tout cadre judiciaire.
- qu’ils portent une voix indépendante et refuse de suivre l’aventurisme guerrier de Washington.