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Pourquoi les États-Unis continuent-ils à soutenir systématiquement Israël ?

Depuis le début de l'assaut généralisé contre Gaza, Israël peut compter sur le soutien inconditionnel des États-Unis. Aux Nations unies, les États-Unis utilisent régulièrement leur droit de veto contre les résolutions de cessez-le-feu, bien que celles-ci soient soutenues par plus de cent pays. Les États-Unis protègent systématiquement Israël. Plus encore : ils en sont le principal fournisseur d'armes. Pourquoi ?

Mercredi 20 décembre 2023

Israël se situe en Asie occidentale. Nous appelons généralement cette région le Moyen-Orient, ce qui en dit déjà long sur son importance historique et stratégique. En effet : le Moyen-Orient a reçu ce nom parce qu'il se trouve sur la route commerciale entre l'Europe occidentale et les anciennes colonies de « l'Est », l’Inde en particulier.

La région demeure une route commerciale importante. Pensez au canal de Suez, qui relie la mer Rouge à la Méditerranée. 12 % du commerce mondial transite par ce canal. Son importance est apparue clairement en 2021, lorsque le porte-conteneurs géant Ever Given en a obstrué le passage pendant une semaine. Cela a eu un impact considérable sur l'économie mondiale.

Mais la région est également importante parce qu'elle abrite plus de la moitié des réserves mondiales de pétrole et de gaz. Depuis le 19e siècle, ces combustibles constituent une source majeure de richesse pour l'économie capitaliste mondiale. Pour les États-Unis, la principale superpuissance depuis la Seconde Guerre mondiale, les gisements de pétrole et de gaz du Moyen-Orient revêtent donc une importance particulière. Tout d'abord, le contrôle de la production de pétrole est un moyen d'influencer les prix du marché mondial. La stabilité des prix est importante, en partie parce que les États-Unis sont eux-mêmes un grand producteur de pétrole.

Toutefois, une superpuissance comme les États-Unis ne pense pas seulement à ses intérêts économiques. Il y a également des considérations stratégiques. Depuis la guerre froide, les États-Unis souhaitent contrôler le pétrole afin de surpasser leurs concurrents. La CIA a parlé de la « Oil denial policy », qui consiste à exercer le pouvoir en veillant à ce que les concurrents ne puissent pas accéder au pétrole. Cette logique est encore d’actualité aujourd'hui. Le concurrent émergent actuel des États-Unis est la Chine. Avec sa croissance économique, c'est aussi l'Asie de l'Est qui connaît la plus forte croissance en termes de demande d'énergie. Cela explique également pourquoi les États-Unis veulent à tout prix garder le contrôle du Moyen-Orient.

Un atout régional

Pour s’assurer le contrôle du pétrole, les États-Unis avaient depuis les années 1930 noué une relation étroite avec la dictature de la famille royale des Saoud en Arabie saoudite. En 1953, l'Iran est également devenu un soutien important, après que les États-Unis aient porté le Shah au pouvoir au moyen d’un coup d'État contre le gouvernement démocratiquement élu.

Le monde était alors en pleine décolonisation et les pays arabes aspiraient eux aussi à l'indépendance et à l'émancipation. Le nationalisme arabe s'est notamment développé en Égypte, sous le président Abdel Nasser, qui a opté pour une voie indépendante et s'est opposé à la domination de l'Occident. En 1956, lorsqu'il décide de nationaliser le canal de Suez, Israël convainc la France et la Grande-Bretagne d'entrer en guerre contre l'Égypte. Les États-Unis ne voient pas cette situation d’un bon œil. Ils craignent en effet que de telles hostilités ne poussent les pays arabes dans les bras de l'Union soviétique. Washington les oblige à mettre fin à l'offensive et à faire machine arrière.

Cet incident montre qu'Israël joue un rôle politique et militaire clé dans la région, et que l'âge d'or des superpuissances européennes au Moyen-Orient est révolu. Les États-Unis commencent de plus en plus à considérer le pays comme un atout régional.

À l'époque, le journal israélien Haaretz en fait l’éloge en le qualifiant de « chien de garde des puissances occidentales », capable d’ « apporter la stabilité et l'équilibre dans la région ». « Il n'y a aucun risque qu'Israël se montre agressif envers ses voisins arabes si une telle attitude allait à l'encontre des intérêts des États-Unis et de la Grande-Bretagne », écrit le journal, « mais ils peuvent compter sur Israël pour punir un ou plusieurs de ces voisins si ceux-ci vont à l'encontre des intérêts de l'Occident. »1

La guerre des six jours de 1967 marque un nouveau tournant. Israël réussit à infliger une défaite écrasante à ses voisins arabes. Le New York Times affirme que cette réussite est due aux renseignements reçus de la part des États-Unis et conclut qu'Israël est devenu le 51e État des États-Unis d'Amérique.2

L'importance d'Israël pour les États-Unis n'a fait que croître depuis lors. En 1979, les États-Unis perdent l'un de leurs principaux alliés dans la région : le Shah d'Iran est renversé. Le président US, Ronald Reagan, ne mâche pas ses mots lorsqu'il déclare quelques mois plus tard dans le Washington Post : « Notre position serait plus faible sans les avantages politiques et militaires qu'Israël nous offre. (...) La chute de l'Iran a encore renforcé la valeur d'Israël, qui constitue peut-être le seul atout stratégique dans la région sur lequel les États-Unis peuvent encore vraiment compter. »3

Depuis lors, la relation entre les deux pays demeure indéfectible et se manifeste principalement par une coopération et un soutien militaires intenses. Depuis la création d’Israël, les États-Unis ont donné à ce pays plus de 263 milliards de dollars pour son budget militaire. Pas plus tard qu'en 2016, le président étasunien Obama a signé une promesse d'aide de 38 milliards de dollars sur 10 ans en faveur de la machine de guerre israélienne, soit près de 4 milliards de dollars par an.

Un État colonial d'apartheid

1948 a été l'année de la Nakba en Palestine, l'année où 750 000 Palestiniens ont été chassés. C'est aussi l'année où l'apartheid a été instauré comme politique gouvernementale en Afrique du Sud. Les descendants blancs des colons européens, culturellement et économiquement liés à l'Europe, ont introduit la ségrégation pour consolider leur pouvoir. Ce faisant, ils servaient leurs propres intérêts, mais aussi ceux de l'impérialisme occidental. La Grande-Bretagne a peut-être dû accorder l'indépendance au pays, mais elle ne voulait pas renoncer à sa source de diamants, d'or et d'autres minerais.

Les dirigeants locaux formaient une communauté soudée qui se sentait menacée par la majorité des autres populations. Ce n'est que par la violence et la répression qu'elle a pu perpétuer sa puissance. Cela n'était pas uniquement une réalité au niveau national. L'État sud-africain était en conflit quasi permanent avec ses voisins. Tout cela convenait aux anciennes puissances coloniales, car cela leur permettait de continuer à exercer une influence sur le Sud du continent africain par l'intermédiaire de l'élite blanche sud-africaine. Pendant la guerre froide, le pays était en état de guerre quasi ininterrompu avec ses voisins l'Angola et la Namibie. Il a également entrepris des actions armées et des opérations secrètes dans d'autres pays voisins tels que la Zambie et la Rhodésie, l’actuel Zimbabwe. L'armée sud-africaine et l'appareil répressif national pouvaient compter sur les armes et le soutien militaire des États-Unis.

L'Afrique du Sud et Israël étaient également des alliés très proches à l'époque, collaborant même au développement de bombes atomiques. Il n'est pas surprenant que les deux États s'entendaient si bien. Israël est également né comme un pays de colons dans un environnement « étranger ». Il s'agit d'un État sans constitution et donc sans frontières définies par la Constitution. Officiellement, Israël est l'État de tous les Juifs, où qu'ils soient dans le monde, et donc aussi l’État de ceux qui n'ont pas l'intention d'y habiter un jour.

Cette distinction est également à la base de ce que l'on appelle la forme israélienne d’apartheid : il y a la citoyenneté d'une part et la nationalité d'autre part.

Les Palestiniens qui y vivaient déjà ont été reconnus comme des citoyens, mais ils n’ont pas pu obtenir la nationalité. Elle n'est réservée qu'aux juifs. Tous les Juifs qui souhaitent s'installer en Israël peuvent très facilement obtenir la citoyenneté. C'est ainsi qu'est né un État avec une distinction structurelle entre citoyens de première et de deuxième catégorie. C'est pourquoi les organisations de défense des droits humains parlent d'apartheid. Le Premier ministre Netanyahou l'exprime ainsi : « Israël n'est pas l'État de tous les citoyens (...) mais l'État-nation du peuple juif uniquement. »

Ainsi, comme l'Afrique du Sud, Israël est un État colonial organisé sur base d'un apartheid religieux/culturel. De plus, le groupe dominant se sent constamment menacé par les Palestiniens et les pays voisins. Cela crée un effet de levier idéal pour qu'une superpuissance l'utilise pour dominer la région, à l’instar de l’Afrique du Sud.

La puissance de ce levier réside dans une société hautement militarisée. Les Forces de défense israéliennes (FDI) jouent un rôle majeur dans la vie de tous les citoyens. Avec environ 180 000 soldats professionnels, elle emploie 4,4 % de la population active. Cela place le pays dans le top 10 mondial. En outre, tout jeune Israélien d'origine juive âgé de 18 ans doit effectuer un service militaire obligatoire de 32 mois pour les garçons et de 24 mois pour les filles. Après le service militaire obligatoire, ils sont affectés aux réservistes. Jusqu'à leur quarantième anniversaire, ils peuvent encore être appelés si nécessaire. Après le 7 octobre, plus de 360 000 réservistes ont été appelés, soit plus de 8 % de la population active.

Le pays arrive en 15e position dans la liste des pays qui dépensent le plus dans le domaine militaire, soit 23,4 milliards de dollars par an. Par rapport à la taille de son économie, il se situe même au-dessus des États-Unis, avec près de 5 % du produit intérieur brut. Ce qui est remarquable, c'est que cet énorme budget de la défense est financé à hauteur de 18 % par un autre pays : les États-Unis.

L'industrie israélienne de l'armement est l'un des secteurs clés de l'économie du pays. Elle est dominée par trois entreprises, dont deux appartiennent à l'État. Ces dernières années, elle a aussi délibérément investi dans de petites start-ups axées sur l'innovation, en étroite collaboration avec les États-Unis.

Cela représente également une valeur ajoutée pour Washington. Ce qui est testé aujourd'hui à Gaza, les États-Unis pourront l'appliquer plus tard dans d’autres guerres. Ou, comme le dit un expert de la Foundation for Defense of Democracies (Fondation pour la défenses des démocraties), un groupe de réflexion basé à Washington : « Israël est entouré d'ennemis qui l'attaquent régulièrement. Retarder l'utilisation de certaines applications peut être d’une importance vitale pour Israël. Cette réalité a doté l'establishment militaire israélien d'une flexibilité que les États-Unis peuvent utiliser à leur avantage pour faire face à la menace croissante de la Chine. »4

Des relations mondiales en mutation

À l'heure actuelle, les États-Unis considèrent surtout la montée en puissance de la Chine comme une menace. Cela ne rend pas la région du Moyen-Orient moins stratégique. Indirectement, le contrôle du pétrole confère également le pouvoir sur l'Europe et l'Asie, qui s'approvisionnent également en pétrole dans la région.

Il en va de même pour le contrôle du canal de Suez et du Moyen-Orient en tant que route commerciale entre l'Asie et l'Europe. Sur ce front également, les États-Unis veulent avant tout contrecarrer la Chine. La Chine développe de nouvelles routes commerciales à travers le monde dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ». Dans ce contexte, elle a conclu des partenariats avec 12 pays arabes et la Ligue arabe.

Les États-Unis ont tenté de contrecarrer ces développements en mettant en place des accords de coopération similaires. En 2020, sous la houlette du président Trump, ils ont réussi à réunir Israël, le Bahreïn et les Émirats arabes unis autour de la table pour signer les accords dits d'Abraham. Le Soudan et le Maroc y ont adhéré par après. Les relations entre Israël et l'Arabie saoudite évoluent également. Il semble que les pays arabes soient peu à peu disposés à considérer Israël comme un pays « normal » parmi eux.

Les États-Unis lancent également un projet de coopération en matière de commerce et d'investissement reliant le Moyen-Orient à l'Inde, d'une part, et à l'Europe, d'autre part.

L’India-Middle East Europe Economic Corridor (Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe ou IMEC) a bénéficié de la coopération des Émirats arabes unis, de l'Arabie saoudite, de la Jordanie et d'Israël. Le Premier ministre israélien, Netanyahou, parle du « plus grand projet de coopération de l'histoire ». Pour Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, il s'agit d'un « pont vert et numérique entre les continents et les civilisations. »

Toutefois, des développements récents inquiètent les États-Unis. L'Arabie saoudite, leur allié indéfectible depuis les années 1930, souhaite aujourd'hui miser sur plusieurs chevaux et met les superpuissances en concurrence. En 2022, après l’invasion de Ukraine par la Russie, le pays a décidé de limiter la production de pétrole, afin que les prix du pétrole augmentent sur le marché mondial. Il s'agit en réalité d'un cadeau à la Russie, qui peut financer la guerre grâce à ses exportations de pétrole.

La plus grande surprise survient quelques mois plus tard, en mars 2023, lorsque l'Arabie saoudite et l'Iran annoncent qu’ils ont conclu un accord avec l'aide de la Chine. Ils rétablissent leurs relations diplomatiques et enterrent la hache de guerre. Pour couronner le tout, le pays annonce en août qu’à partir de 2024, l'Arabie saoudite fera partie des BRICS+, l'alliance du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud, qui s'élargira à cinq autres pays, tous de la région : outre l'Arabie saoudite, il s'agit de l'Égypte, de l'Éthiopie, de l'Iran et des Émirats arabes unis.

Une fois de plus, les relations mondiales sont en train de changer. Même des pays comme l'Arabie saoudite veulent se défaire de leurs relations exclusives avec l'Occident. Ce faisant, ils font fi des tabous et ne voient aucun inconvénient à faire des affaires avec les ennemis des États-Unis, tels que la Russie, la Chine et l'Iran.

Une isolation croissante

Pendant toute cette période, l'alliance spéciale entre les États-Unis et Israël est restée intacte. Cela ne signifie pas que Tel-Aviv a toujours aveuglément suivi Washington. Les dirigeants locaux ont également leurs propres intérêts. Certains gouvernements israéliens sont plus extrémistes que d'autres. Mais grâce à ce lien, les deux partenaires se retrouvent dans des intérêts communs.

La constante reste qu'Israël ne peut survivre sans le soutien financier et politique de Washington et que les États-Unis ont besoin de leur pilier local pour défendre leurs intérêts dans la région. Ce dernier point est plus que jamais d'actualité, car d’autres alliés de la région commencent à agir de manière plus indépendante. Alors que les relations mondiales commencent à changer à nouveau, les États-Unis s’accrochent à la sécurité que peut leur offrir leur lien avec l'Israël colonial. C’est pourquoi Netanyahou peut compter sur le soutien indéfectible de Washington.

Les pays du Sud ne considèrent pas la guerre à Gaza comme un conflit local. Ils ont une vision plus large du contexte. Nous en prenons de plus en plus conscience ici aussi. Le 16 décembre, le magazine The Economist a averti du danger que représente pour l'économie mondiale le fait que les géants du transport de conteneurs n’osent plus laisser leurs navires passer par le canal de Suez pour le moment. La situation du Moyen-Orient ne peut être dissociée de l'équilibre des forces à l’échelle mondiale et des intérêts des grandes puissances, États-Unis en tête.

Pour arrêter la guerre, nous devons donc aussi faire pression sur Washington. Israël ne peut poursuivre la guerre ni l'occupation sans le soutien des États-Unis. Le président Biden peut prétendre se préoccuper de la paix et des droits humains, mais s'il le souhaitait réellement, les souffrances des Palestiniens pourraient cesser rapidement.

On pourrait croire que la violence brutale dont a fait preuve Israël est une réussite et qu'elle contribue à sa victoire, mais rien n'est moins vrai. L'axe Israël-États-Unis est de plus en plus isolé sur la scène mondiale. Nous pouvons le constater aux manifestations qui ont lieu partout dans le monde, mais aussi à la désapprobation que la guerre suscite chez les voisins arabes d’Israël et parmi la grande majorité des pays du Sud. Avec en tête, et ce n’est pas un hasard, L'Afrique du Sud.

1Ha'aretz, 30 septembre 1951. Cité dans Phil Marshall, Intifada: Zionism, imperialism and Palestinian resistance (Bookmarks, London 1989) p. 77.

2https://www.nytimes.com/1971/06/05/archives/israel-the-51st-state.html

3Cité dans Phil Marshall, Intifada: Zionism, imperialism and Palestinian resistance (Bookmarks, London 1989) p. 89.

4https://breakingdefense.com/2023/07/how-israels-military-is-prioritizing-dual-use-start-ups-to-accelerate-defense-tech/