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Non M. Crucke, l’Union européenne n’impose pas de libéraliser le rail belge en 2032

Selon le gouvernement, l’Union européenne obligerait la SNCB à être en concurrence avec d’autres entreprises à partir de 2032. Il s’agit d’un mensonge utilisé pour justifier une réforme qui ouvre la porte au privé. La vérité est tout autre : la libéralisation est un choix, un choix politique.

Vendredi 17 octobre 2025

SNCB : quand deux visions s'opposent au Parlement

Jeudi soir, 9 octobre 2025, le ministre fédéral de la Mobilité Jean-Luc Crucke (Les Engagés) a annoncé qu’il appliquerait le protocole d’accord qu’il négociait à la SNCB, malgré le rejet par les syndicats1. Ce plan visait notamment à modifier le statut du personnel : à partir de 2028, seuls une partie des postes seraient encore engagés sous statut, les autres étant engagés comme contractuels. Le protocole prévoyait aussi la possibilité de licencier du personnel statutaire et de prévoir un plan social en cas de « perte de parts de marché en raison de la libéralisation »2. Les syndicats ont rejeté le protocole d’accord : environ 80 % des affiliés de la CGSP-Cheminots ont voté contre, et une large majorité également à la CSC-Transcom (74%) et au SLFP1

Pour justifier ce passage en force, Jean-Luc Crucke brandit un argument d’autorité : selon lui, l’Europe nous obligerait à ouvrir le rail belge à la concurrence d’ici 2032. « Le rail belge sera soumis à la concurrence, obligation européenne », répète le ministre dans la presse3. Il présente la réforme du statut du personnel comme obligatoire face à cette échéance : « Le temps presse, insiste-t-il partout, nous devons être prêts pour la libéralisation obligatoire des chemins de fer en 2032 ». À force d’être martelé, ce discours alarmiste est devenu un dogme que plus personne ne questionne.

Pourtant, à bien lire les textes européens, cette affirmation est fausse. « C’est un mensonge de prétendre que l’Union européenne impose la libéralisation en 2032 », réagit Farah Jacquet, cheminote et députée fédérale du PTB. « Jean-Luc Crucke brandit l’épouvantail d’une prétendue obligation européenne pour justifier la casse du statut des cheminots. En réalité, la libéralisation est un choix politique, pas une fatalité dictée par la Commission européenne. »

L’Europe n’impose pas la concurrence à tout prix : des exceptions existent

Revenons en arrière. Avant 2016, le monopole public du transport national de voyageurs (à l’intérieur d’un pays) était la règle, l’ouverture à la concurrence (ou la libéralisation) était l’exception. Le 4e paquet ferroviaire (soit un ensemble de réglementations européennes qui concernent le rail) adopté par l’Union européenne en 2016 a inversé la logique. Désormais, la mise en concurrence devient le principe, et attribuer un contrat de service public directement à l’opérateur historique (sans appel d’offres et donc sans concurrence) n’est plus permis qu’à titre d’exception. Mais dérogation ne signifie pas impossibilité : les législations européennes permettent à un État membre de maintenir un opérateur unique pour ses trains nationaux, sous certaines conditions.

Pour le dire autrement, et contrairement à ce que prétend le ministre, lorsque l’actuel contrat de service public entre l’État belge et la SNCB prendra fin en 2032, deux choix s’offriront au gouvernement : soit lancer des appels d’offres pour mettre la SNCB en concurrence avec d’autres compagnies, soit justifier une attribution directe à la SNCB en remplissant une série de critères prévus4. Ces critères, définis par le règlement européen et précisés dans les lignes directrices de la Commission, sont exigeants mais réalisables5. Les principaux sont les suivants :

  • Caractéristiques du réseau : L’État doit prouver que des caractéristiques structurelles et géographiques du marché ferroviaire belge justifient de se passer de la concurrence. Par exemple, la complexité du réseau belge pourrait être un argument objectif6. La Belgique a un réseau assez dense et en étoile, centré autour de Bruxelles. 1200 trains par jour, soit près d’un train sur trois circulant en Belgique, passent par la Jonction Nord-Midi. Cette jonction est un goulot d’étranglement avec des trains qui rentrent soit par la gare de Bruxelles-Nord (12 voies) soit par la gare de Bruxelles-Midi (21 voies) et qui transitent par la gare de Bruxelles-Central (seulement 6 voies). Un train bloqué dans une des ces voies et c’est tout le système ferroviaire belge qui est grippé avec des retards en cascade sur toutes les grandes lignes. Une coordination minutieuse est absolument indispensable. « Un train bloqué dans la jonction et c’est tout le système qui déraille. Déjà quand il n’y a que la SNCB, c’est complexe, mais on voit mal plusieurs opérateurs se coordonner dans cette Jonction sans chaos », argumente Farah Jacquet6.
  • Amélioration du service ou de l'efficacité coût-bénéfice : Le nouveau contrat attribué sans mise en concurrence devra impérativement améliorer de façon tangible la qualité du service ou le rapport coût-efficacité par rapport au contrat précédent7. En somme, maintenir un monopole n’est autorisé que s’il s’accompagne de progrès concrets pour les usagers ou rend le rail plus « efficace ». Ce garde-fou vise à éviter la complaisance : il faudra prouver, indicateurs à l’appui, que la SNCB fera mieux qu’avant sur la prochaine décennie. « Cela oblige à investir massivement dans le rail public : plus de trains, plus de ponctualité, du matériel moderne… C’est justement ce que nous réclamons ! », souligne Farah Jacquet.
  • Objectifs de performance mesurables : Le contrat direct devra fixer des critères de performance précis (ponctualité, fréquence des trains, qualité du matériel roulant, capacité de transport, etc.), avec des indicateurs vérifiables et suivis régulièrement8. Ces exigences existent déjà dans le contrat de service public actuel de la SNCB, signé en 2022, qui contient toute une batterie d’indicateurs. La Commission impose une évaluation au moins tous les cinq ans du respect de ces objectifs8.
  • Notons que d’autres conditions plus « techniques » existent comme des mécanismes de sanction, une durée du contrat de service public limitée à 10 ans en principe, ainsi qu’une transparence et un contrôle européen des conditions développées ci-dessus.

En résumé, si l’Union européenne pousse à la libéralisation, elle laisse la porte ouverte à une gestion publique intégrale, à condition que celle-ci prouve sa pertinence et son efficacité. Rien n’oblige donc la Belgique à ouvrir le marché et à pousser la SNCB à la concurrence en 2032, contrairement à ce qu’affirme le ministre dans la presse.

Le comble est que l’accord de gouvernement lui-même laisse la porte ouverte à l’attribution directe. On y lit en effet que « le prochain gouvernement fédéral (celui issu des élections de 2029, NdlR) devra décider de la possible prolongation de l’attribution directe à la SNCB (direct award). Ce gouvernement (De Wever-Bouchez, NdlR) prendra toutes les mesures nécessaires pour préparer à la fois la fin et la continuation de l’attribution directe. »

« La balle est clairement dans le camp du gouvernement : s’il voulait réellement préserver le rail public, il a les outils pour le faire. C’est une question de volonté politique », soutient Farah Jacquet.

Un choix politique : investir dans le service public plutôt que le démanteler

Le discours du ministre fait l’impasse sur une autre voie possible : celle de renforcer la SNCB afin qu’elle demeure l’opérateur unique le plus performant possible. Les expériences européennes montrent que la qualité du service ferroviaire dépend avant tout des investissements publics, bien plus que du degré de concurrence. Selon une étude du cabinet de consultance Boston Consulting Group, « la qualité du système ferroviaire est corrélée au niveau de dépense publique par habitant et à l’importance du fléchage des investissements publics vers les infrastructures »13. La Suisse, par exemple, qui a conservé un monopole public quasi complet sur son rail, « a le système ferroviaire le plus performant d’Europe » d’après ce même rapport14. Autrement dit, on peut très bien exceller sans ouvrir le marché, à condition d’y mettre les moyens.

« Cela semble d’autant plus fou d’aller vers l’ouverture à la concurrence alors que le gouvernement britannique vient d’annoncer une marche arrière, après 30 ans de privatisation et de concurrence effrénée sur le rail, qui n’auront apporté que prix élevés, réseau vétuste et accidents mortels en série » poursuit Farah Jacquet. Enfin, l’exemple de la libéralisation du transport de fret ferroviaire en Belgique montre aussi la faillite de toute la logique de concurrence. Lineas, l’entreprise privée de fret ferroviaire belge issue de la SNCB, a du recevoir depuis janvier 2024 un réinvestissement de 160 millions d’euros de ses différents actionnaires (dont l’État fédéral) pour éviter la faillite.

« Plutôt que de précariser l’emploi comme veut le faire le ministre, ou supprimer des arrêts comme le veut la SNCB, on devrait s’inspirer de ces modèles qui misent sur un service public fort, estime Farah Jacquet. La meilleure garantie d’un rail de qualité, ce n’est pas de morceler la SNCB et de la mettre en concurrence avec des opérateurs privés. C’est de lui donner les ressources pour améliorer l’offre, les conditions de travail et le prix des billets pour les usagers. La libéralisation du rail n’est pas une obligation technique : c’est un choix idéologique. Si Jean-Luc Crucke et le gouvernement persistent à organiser la concurrence en 2032, ce sera parce qu’ils l’auront décidé, pas parce que l’Europe leur aurait forcé la main. » 

Le PTB dénonce donc un mensonge utilisé pour faire passer des mesures de régression sociale. La mobilisation sociale vise justement à rappeler qu’une alternative existe : maintenir un monopole public performant, en investissant dans le rail de demain. Les besoins des usagers, l’urgence climatique, le bien-être des travailleurs méritent cela4.

Sources

[1] SNCB/Infrabel : les syndicats cheminots rejettent le projet de protocole d’accord du ministre Crucke - L-Post

https://lpost.be/2025/10/09/sncb-infrabel-les-syndicats-cheminots-rejettent-le-projet-de-protocole-daccord-du-ministre-crucke/

[2] [3] SNCB/Infrabel : malgré le rejet du projet de protocole d’accord, le ministre Crucke n’entend pas faire marche arrière - L-Post

https://lpost.be/2025/10/10/sncb-infrabel-malgre-le-rejet-du-projet-de-protocole-daccord-le-ministre-crucke-nentend-pas-faire-marche-arriere/

[4] La libéralisation des marchés ferroviaires | Mobilité

https://mobilit.belgium.be/fr/rail/la-liberalisation-des-marches-ferroviaires

[5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] Journal officiel C 222/2023

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=OJ:C:2023:222:FULL

[13] [14] Les trains suisses sont les plus performants d'Europe | Tribune de Genève

https://www.tdg.ch/les-trains-suisses-sont-les-plus-performants-d-europe-468553211870