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Loi manifestants-criminels : Paul Magnette a tout faux

La loi qui assimile les manifestants à des criminels du ministre libéral de la justice Vincent Van Quickenborne suscite beaucoup de résistance. Dans le monde syndical, dans le monde associatif et la société civile, chez les mutuelles, à la ligue des droits humains, chez les académiciens du droit… et au sein même de certaines fédérations du parti socialistes. Dans l’autre camp, parmi les défenseurs du projet de loi, on trouve un certain…. Paul Magnette.

Mardi 18 juillet 2023

Les députés-ouvriers du PTB opposés à la loi interdisant le droit de manifester.

Par Benjamin Pestieau, responsable des relations syndicales pour le PTB et Nabil Boukili, membre de la commission justice de la chambre pour le groupe PTB

Dans un courrier dont nous avons pu prendre connaissance (voir en bas de cet article), le président du Parti socialiste tente de convaincre les membres de l’Action commune (*) de la Wallonie-Picarde et de Liège. Les deux fédérations régionales qui avaient écrit des motions pour dénoncer le projet de loi liberticide du ministre de la Justice. Dans ce courrier, Paul Magnette essaie de défendre le projet de loi. Pour lui, le projet de loi amendé grâce aux socialistes ne constituerait pas un recul démocratique. Mais au final, dans sa tentative de démonstration, il a tout faux. Faux sur les constats, faux sur la compréhension de la séquence politique actuelle et faux sur l’analyse juridique. 

Non, nous ne vivons pas une recrudescence des violences en manifestation

Paul Magnette explique : « Ces dernières années en Belgique (…) des ‘casseurs’, ont infiltré des mouvements revendicatifs. » Et de citer en vrac les mobilisations contre le meurtre de Georges Floyd, les manifestations contre le confinement ou encore les gilets jaunes. Et il ajoute : « Des casseurs ont infiltré certains rassemblements citoyens afin de détourner leurs messages et de provoquer des dégâts matériels importants (bris de vitrine et vols dans les commerces, équipes de journalistes prises à partie, voitures en feu, …) et physiques (coups, jets d’objets lourds ou en feu en direction des policiers, …). » Le bourgmestre de Charleroi tente de créer au début de son courrier un climat anxiogène comme s’il y avait un phénomène nouveau en Belgique alors que les manifestations belges de ces dernières années n’ont pas connu des phénomènes violents particuliers au regard du passé : grèves et manifestations de 1960-1961, grèves et manifestations des mineurs ou des sidérurgistes dans les années 1980, manifestation des travailleurs des Forges de Clabecq en 1997, le mouvement des enseignants et des étudiants de 1995 et 1996, grèves de 2015, 2016…  Dans chacun de ces exemples, il y a eu des affrontements avec les forces de l’ordre, des dégâts matériels importants, des jets d’objets lourds, des coups, etc. Il n’y a pas eu récemment de réelles nouveautés concernant les manifestations en Belgique. Paul Magnette a donc tout faux sur les constats.

Une séquence dangereuse de restrictions toujours plus fortes des libertés civiles

Ce qui est nouveau, par contre, c’est la volonté de la famille socialiste de « cadrer » encore plus ou, plutôt, de limiter le droit de manifester. Ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui, c’est une répression toujours plus forte en Europe des mouvements sociaux. Ce qu’il y a de nouveau, c’est la montée de l’extrême-droite en Belgique et en Europe qui voue une haine contre le mouvement syndical et la société civile. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que certains juges estiment que le droit de commerce est supérieur au droit de grève, entraînant des interdictions de piquet dans tout le pays contre les travailleurs et travailleuses de Delhaize. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que - en contradiction avec la jurisprudence jusqu’alors - deux responsables de la FGTB ont été condamnés sur base d’un article du code pénal (l’article 406) qui ne devait à l’origine pas être utilisé pour réprimer le droit de grève. Là encore, Paul Magnette a tout faux sur la séquence politique actuelle. La nouvelle proposition de loi s’inscrit dans un mouvement de droitisation et de restriction toujours plus profonde du droit de manifester et du droit de grève. 

Un projet de loi dangereux malgré des amendements de vitrine

Paul Magnette a aussi tout faux sur le plan de l’analyse juridique. Tout d’abord, il ne répond pas au fait que des actes commis dans le cadre d’un « rassemblement revendicatif » seront plus sévèrement punis que ces mêmes actes commis hors contexte revendicatif. Concrètement, le projet de loi ne s’appliquerait pas à une émeute sans revendication particulière. Pourquoi condamner plus sévèrement un cadre revendicatif ? Ce seul point révèle le caractère liberticide du projet de loi.   

Ensuite, le président du PS se félicite qu’une interdiction de manifester n’implique pas l’interdiction de faire grève. C’est assez symptomatique du niveau de satisfaction actuelle de la sociale-démocratie en Belgique. Mais plus encore, le projet de loi constitue une véritable menace contre le droit de grève. En effet, qu’en est-il de la participation à des grands piquets de grève ? Est-ce qu’il ne s’agit pas là d’un rassemblement revendicatif ? Dans le conflit Delhaize, certains juges ont estimé que le droit de grève se limitait au droit de suspendre son travail. Or, bien entendu, le droit de grève est bien plus large que cela et comprend le droit de faire des piquets, des piquets massifs, des rassemblements, etc. 

Paul Magnette continue à se tromper quand il explique : « Si le but exclusif de la personne ayant commis une des infractions visées est de porter le message légitime de la manifestation, aucune peine d’interdiction de manifester ne peut être prononcée. » Apparemment, le président du PS n’a pas bien lu le projet de loi ou ne l’a pas lu jusqu’au bout. Voici ce que le président du PS aurait dû dire s’il ne voulait pas travestir la vérité : « Si le but exclusif de la personne ayant commis une des infractions visées est de porter le message légitime de la manifestation ET si elle n’a pas risqué de troubler gravement l’ordre public, aucune peine d’interdiction de manifester ne peut être prononcée. » Et c’est là qu’est le problème. Car qu’est-ce que veut dire « n’a pas risqué de troubler gravement l’ordre public » ? Il y a là une marge d’interprétation large pour le juge. Ce qui fait dire à une série de professeurs d’université que ce projet de loi avec ses fameux amendements « soulève une série de questions au regard tant de l’article 26 de la Constitution que de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, les deux dispositions principales garantissant l’exercice de la liberté de manifester en Belgique ». 

Paul Magnette explique aussi que la loi ne vise que les « actes graves ». Il cite une série d’actes qui sont considérés comme graves par la loi. Mais il ne cite pas dans sa liste la « destruction de biens, le fait d’altérer ou détériorer des marchandises, la dégradation de la propriété immobilière d'autrui ». Ces actes sont aussi considérés comme potentiellement « graves » par la loi et pourraient être utilisés dans le cadre de la nouvelle loi.  

Quelques exemples :

L’incendie volontaire (art. 510 à 518 du Code pénal) pourrait notamment inclure les feux de palettes, courants sur les piquets de grève sans pour autant présenter un risque pour des personnes. Par exemple, l’article 512 du Code pénal indique que : « seront punis d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de cent [euros] à mille [euros], ceux qui auront volontairement mis le feu aux propriétés mobilières d'autrui (…) et à la condition que l'acte ait été de nature à occasionner à autrui un préjudice sérieux ». Mais qu’est-ce qu’un préjudice sérieux ? L’interprétation est laissée au juge. 

La destruction ou détérioration de denrées, marchandises ou autres propriétés mobilières (art. 528 à 534 du Code pénal) pourrait s’appliquer au cas du blocage d’un dépôt de denrées périssables, notamment dans le cadre du blocage du dépôt Delhaize de Zellik, mais aussi par exemple aux actions de producteurs laitiers consistant à déverser leur lait. Étonnamment, le bourgmestre de Charleroi ne mentionne pas ce point dans son courrier. 

La dégradation des propriétés immobilières (art. 534ter ou 534 quater du Code pénal), qui pourrait par exemple inclure le fait de jeter des œufs sur une façade, de la couvrir de peinture, etc. est aussi très problématique. On se souvient que des activistes ont été poursuivis et condamnés pour dégradations de biens immobiliers pour avoir lancé de la peinture à base d’eau sur un bâtiment appartenant à une multinationale pour dénoncer la pollution. Avec ce texte, ils auraient pu se voir interdire de manifester. 

Le reste des amendements apportés peuvent faire illusion mais n’ont en fait qu’une très faible portée juridique. Par exemple, Paul Magnette explique que « le juge devra faire une balance des intérêts entre les impératifs d’ordre public et les libertés fondamentales visées ». Ce point est un simple rappel pour le juge. Il n’a pas de véritable valeur juridique. La constitution et les conventions internationales comme la convention européenne des droits de l’Homme sont déjà contraignantes pour les juges. Le juge fait déjà la balance entre les droits fondamentaux et la gravité de la sanction. C’est d’ailleurs ce qui a été fait dans l’affaire qui a conduit à la condamnation du président de la FGTB comme organisateur d’une « entrave méchante à la circulation ». L’obligation de faire cette balance n’est en aucun cas une garantie. 

Un sursaut démocratique est possible

Comme dit plus haut, tant sur le plan des constats que sur le plan de la compréhension de la séquence politique ou sur le plan de l’analyse juridique, Paul Magnette a tout faux. 

Il reste pourtant à la famille socialiste la possibilité de se sortir par le haut de cette situation. 

Il faut pour cela un sursaut démocratique. Démocratique dans le sens d’écouter les voix des organisations syndicales et les voix de la société civile. Démocratique dans le sens de travailler à élargir les libertés civiles et pas à les restreindre. 

Il faut aussi pour cela un sursaut concret et pas de simples intentions. Il faut retirer ces articles de loi qui limitent le droit de manifester. 

Il faut pour cela un engagement d’élargir les droits démocratiques en abrogeant l’article 406 qui a été à la base de plusieurs condamnations récentes de syndicalistes. Comme pour les intérimaires, il faut interdire l’utilisation d’étudiants pour casser des grèves. Il faut empêcher la possibilité de requêtes unilatérales par le patronat pour empêcher des piquets de grève. Etc. 

 

 

(*) l’action correspond à des réunions plus ou moins structurées (en fonction des régions) entre la FGTB, les mutualités Solidaris et le parti socialiste.