Le PTB prêt pour « la bataille des pensions »
Alors que l’Arizona annonce une série d’attaques brutales contre nos droits, l’inquiétude grandit au sein de la population. Et parmi les sujets qui fâchent, celui de nos pensions est un des plus importants. Pour démêler les enjeux de cette attaque contre une conquête sociale majeure, nous avons demandé à Kim De Witte, spécialiste pension du PTB, de nous éclairer.

Article par Jonathan Lefèvre, publié initialement dans le magazine Solidaire.
Kim De Witte est soucieux en arrivant à la rédaction en cette matinée de juin. Chaque jour, il reçoit d’innombrables témoignages, des messages de gens qui se demandent à quelle sauce ils vont être mangés et d’autres qui lui pose des questions sur la riposte à apporter. « Il faut vraiment faire un travail d’information de qualité pour espérer gagner la bataille des pensions qui s’annonce... » Allons-y alors.
Les mensonges du gouvernement
« La stratégie du gouvernement est axée sur deux axes majeurs, commence celui qui bataille aussi au Parlement fédéral en tant que député. Le premier, c’est nous faire travailler plus longtemps. C’est une ligne constante dans les politiques successives de ces dernières décennies. Les derniers gouvernements ont décidé d’augmenter l’âge de la pension de plus en plus – alors qu’une grosse majorité de Belges est tout à fait contre… Depuis cette année, on en est déjà à 66 ans. Ce qui est nouveau avec l’Arizona, et particulièrement agressif, c’est la fermeture progressive de toutes les portes permettant un départ anticipé. Le gouvernement va complètement supprimer la prépension. En plus, il veut couper très fort dans le droit de la pension anticipée. Et il n’y aura pas d’exceptions pour le métier pénible, ce qui est une régression majeure... »
Et le deuxième axe ? « Des coupes dans nos pensions d’une ampleur inédite. L’objectif est de réduire drastiquement le montant des pensions. Celles des fonctionnaires pour commencer. Le gouvernement veut changer la méthode de calcul : au lieu de prendre les chiffres des 10 dernières années, ils veulent calculer la pension sur 45 ans. Cela signifie que le petit salaire du début de la carrière sera pris en compte en fera chuter le montant final de la pension. De plus, la condition pour une pension complète est portée à 45 années de travail. Et tant pis pour les métiers pénibles ou des carrières plus courtes. »
Le malus pension, jusqu’à 25 % de perte
Une mesure fait particulièrement peur aux gens qui en ont connaissance : le malus pension. On n’a pas souvenir d’en avoir entendu parler durant la dernière campagne électorale... « C’est normal, ce n’était dans aucun programme. C’est un mécanisme pervers qui ne serait pas passé auprès des gens. Par année où on part plus tôt que 67 ans, on aura une pénalité de 5 %. Le malus aura un impact direct sur la majorité des travailleurs : la plupart des gens qui vont partir à 64 ou 63 ans, soit la moyenne chez nous, vont perdre 15 % ou 20 % de leur pension. Une pension qui n’est déjà pas énorme... »
Ce malus est aussi une tactique du gouvernement pour diviser la classe travailleuse. Il oppose celles et ceux qui « travaillent dur » – qui arrivent au 67 ans, donc – à celles et ceux qui ne peuvent arriver l’âge légal. « Comme si c’était une question de volonté... » souffle Kim De Witte. « Tout cela s’ajoute à d’autres mesures comme la suppression de la pension de survie, la pension de divorce, la pension de famille… Un vrai catalogue des horreurs. »
Des conséquences concrètes et dévastatrices pour les travailleurs
Les chiffres avancés par Kim De Witte sont glaçants. Pour les fonctionnaires, et notamment les militaires, les pertes sont considérables : « Ces derniers perdent entre 270 et 790 euros par mois. » Et il souligne que la pension médiane des travailleurs du public (2 ‘00 euros nets) est loin d’être exagérée. Au Luxembourg ou en Autriche, la pension dans le secteur privé est entre 2 000 et 2400 euros nets par mois.
Autre lièvre levé par le spécialiste Pension du PTB, la fin de la prise en compte des périodes assimilées va aussi faire mal à la classe travailleuse. « Prenons l’exemple concret d’une femme de ménage qui a travaillé 30 ans à temps plein et 10 ans à mi-temps – pour s’occuper des enfants ou pour des raisons de santé. Si un client lui dit un jour qu’ elle ne doit pas venir travailler car ça ne l’arrange pas, par exemple, elle peut perdre une année entière. Car alors, elle n'atteindra plus ses 156 jours, condition minimum pour qu’une année soit prise en compte. Une condition difficile à remplir pour les travailleurs précaires, ceux à mi-temps ou ceux aux carrières hachées. Cette femme de ménage devra donc travailler une année de plus pour compenser cette seule journée de chômage technique qu’elle n’a par définition pas choisie… »
L’exemple pris par Kim De Witte n’est pas choisi au hasard. « Les réformes de l’Arizona sont profondément inégalitaires, elles attaquent prioritairement la classe travailleuse. C’est la classe travailleuse, et la classe ouvrière plus particulièrement, qui est visée. Le nouveau calcul de pension se base sur l’âge et plus sur la carrière. Qui commence plus tôt ? Qui meurt plus tôt ? Les personnes exerçant un métier pénible. Ceux qui ont fait de longues études et ont fait de leur hobby leur métier ne sont pas pénalisés, eux. Ils auront même un bonus. Les ministres et les députés qui veulent imposer cette réforme élitiste peuvent, eux, bosser plus longtemps. Ils ne font pas un métier pénible, leur corps n’est pas abîmé par le travail, loin de là. Eux toucheront un bonus : 5 % en plus par année sur une pension déjà beaucoup trop élevée... »
La vision de société du gouvernement : le profit avant le repos
Ce sont deux visions de société qui s’affrontent. Le discours gouvernemental parle de pensions « impayables ». Kim De Witte rappelle qu’avant 2005, aucun rapport international ne mentionnait l’« impayabilité » pour justifier les réformes des pensions. La véritable motivation est de « tuer tout le temps libre, tout le temps non productif. Les malades, les chômeurs, les pensionnés, les personnes qui choisissent de ne pas travailler : le but est de les obliger à rester sur le marché du travail pour créer une pression sur les salaires et les conditions de travail. On veut mettre – de force – plus de gens sur le marché du travail, avec des statuts précaires et des bas salaires pour tirer toute la classe vers le bas. Le gouvernement veut casser de bons emplois avec de bons salaires pour en faire plusieurs emplois précaires. »
À partir de septembre, nous avons bon espoir que le mouvement social reprenne ses actions. Les lois qui démantèlent notre système de retraite ne seront votées au Parlement qu’en décembre. Nous pouvons encore les bloquer.
Responsable organisation et député à la Chambre
Kim De Witte démonte l’argument de l’« impayabilité » en comparant avec d’autres pays : « La Belgique va payer en 2070 ce que la France, l’Autriche, l’Italie paient aujourd’hui déjà. Donc, ce n’est pas impayable. Le véritable problème réside dans les choix budgétaires, comme donner 24 milliards supplémentaires à l’armée. L’Arizona veut augmenter le budget de la Défense dans les 10 ans qui viennent de 3,7 %. C’est donc presque deux fois plus que l’augmentation totale dans les 50 ans qui viennent pour les pensions. Et ce sont les pensions qui seraient impayables ? C’est complètement absurde. »
Colère et inquiétude : les dynamiques de la mobilisation
L’offensive gouvernementale sur les pensions engendre « une peur dans la population », constate Kim De Witte. « Mais cette peur peut se transformer en colère. Les gens ressentent le mépris de classe du gouvernement. "Pour nous, il n’y a jamais d’argent mais pour les plus riches, on en trouve..." Cette colère est un moteur de résistance. Pas mal de gens disent : "OK, on va pas se laisser faire." Pour que cette volonté de bouger se concrétise, la connaissance des réformes et le fait que des alternatives existent est cruciale. C’est du carburant pour le moteur de la résistance. »
Kim De Witte insiste sur le fait que l’enjeu va au-delà des chiffres : « Les travailleurs sentent que c’est juste infaisable. Ils perçoivent cette attaque comme une perte de cette liberté que devrait être la pension, le sentiment d’être "kidnappé dans le système de m... qui m’exploite quand même jusqu’à la fin de ma vie…" C’est une perte pour la société. Les pensionnés ne sont pas inactifs, ils font plein de choses, s’engagent bénévolement dans le sport, les associations, assumant un coût important pour la société si ce travail n’était plus fourni. Ce travail informel est d’une immense valeur pour la société, mais il est en dehors de la valeur marchande. Ce qui explique que la logique capitaliste s’en désintéresse. »
Les alternatives pour une vie digne
Face à cette offensive, le PTB propose une vision claire et chiffrée. « Notre proposition est de ramener l’âge de la pension à 65 ans. Stoppons le vol des cotisations sociales : le gouvernement est en train de vider les caisses de la sécurité sociale vers les actionnaires et d’autres secteurs, comme l’armement. Or, cet argent, c’est nos cotisations sociales. Donc notre salaire différé. Il faut aussi instaurer une fiscalité plus juste : ceux qui ont beaucoup doivent évidemment contribuer selon leurs moyens. Supprimons cette idée de malus pension. Avec cela, on peut rétablir aussi la pension anticipée : nous la fixons à 60 ans après 40 ans de carrière. »
Kim De Witte souligne l’importance de s’inspirer de plusieurs pays qui ont réussi à agir dans ce sens, comme le Canada, la Croatie et la Pologne. « Au Canada, un Premier ministre libéral, Justin Trudeau, a remis l’âge de la pension à 65 ans, sous une pression sociale intense, reconnaissant que la hausse à 67 ans n’avait "rien résolu". En Croatie, les syndicats ont su arrêter la réforme avant que le gouvernement ne la mette en place grâce une mobilisation populaire éclair. En Pologne, les syndicats ont forcé le gouvernement à abandonner la pension à 67 ans et la faire revenir à 65 ans. La fil rouge de ces victoires est la même : l’information, l’alternative et un plan d’action avec un point de rupture clair. C’est la recette pour gagner. Les syndicats ont pris cette lutte en main. »
Un marathon, pas un sprint
Le combat s’annonce comme « un marathon, pas un sprint », glisse Kim De Witte, qui fait appel au retour de la « confiance en soi » : « Les gens ont du pouvoir, ils doivent s’en rendre compte. Et vu que les réformes du gouvernement sont des choix politiques, il faut se rendre compte qu’on peut le faire reculer. »
Le spécialiste Pension du PTB donne rendez-vous à l’automne prochain. « Dès septembre, octobre, la mobilisation syndicale dans cette "bataille des pensions" va s’engager. Une grande manifestation est prévue le 14 octobre. D’ici-là, des actions verront le jour ».
Le PTB s’engage pleinement dans cette bataille, avec le lancement d’un livre que notre interlocuteur prépare et qui sort à l’automne. « On va le présenter à ManiFiesta. J’y serai en débat avec Axel Ronse, le chef de groupe de la N-VA au Parlement fédéral. Ça promet d’être chaud ! À partir de septembre, nous avons bon espoir que le mouvement social reprendra ses actions. Les lois qui démantèlent notre système de retraite ne seront votées au Parlement qu’en décembre. Nous pouvons encore les bloquer. »
À l’heure de quitter la rédaction, les sourcils de Kim De Witte ne sont plus froncés. Mais le regard brille toujours par son intensité. Car l’heure n’est pas au fatalisme, mais à la résistance : « Soit on arrive à reconquérir le droit à la pension, soit on va la perdre complètement. Le temps libre, le repos et la dignité de la classe travailleuse sont les enjeux des prochains mois. Rien de moins. »

Le hold-up sur nos pensions
L’Arizona démasqué : comment le gouvernement veut nous faire travailler plus longtemps pour moins de pension. Découvrez l'analyse de notre service d'études dans le livret « Le hold-up sur nos pensions ».