Le candidat de gauche Zohran Mamdani élu maire de New York
Le 4 novembre 2025, Zohran Mamdani a remporté l’élection à la mairie de New York devant le candidat indépendant soutenu par Donald Trump. Cette victoire, c'est le fruit d'une grande campagne de terrain organisée par la base. Dans son podcast « Tout Bascule », Peter Mertens a reçu Grace Mausser, la coordinatrice de campagne de Mamdani.
Qu'est-ce qui se cache derrière la campagne de Zohran Mamdani ? Entretien entre Peter Mertens et Grace Mausser
Un socialiste comme maire de New York
Extrait de l'épisode 9 du podcast Tout Bascule avec Peter Mertens
« Le 4 novembre, New York va élire son nouveau maire. Et peut-être que, cette fois, oui, ce sera… un socialiste ! Tout l’establishment américain panique. Parce que Zohran Mamdani, un vrai outsider, est bien placé pour gagner.
Donald Trump, lui, n’est pas du tout à l’aise avec ce qui se passe à New York. Il a même menacé d’arrêter Zohran Mamdani.
J’ai parlé avec l’une des responsables de la campagne de Zohran, Grace Mausser. Grace a lancé une campagne de terrain où des dizaines de milliers de bénévoles sont déjà actifs. Franchement, on vit un moment quand même assez dingue.
En décembre 2024, je suis allé à New York pour présenter l’édition américaine de mon livre Mutinerie au ‘Peoples Forum’. J’y étais avec Laura León Fanjul du PTB Liège et Onno Vandewalle de RedFox. C’était un mois après la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles, et on s’attendait à voir beaucoup de gens découragés.
Oui, bien sûr, il y en avait. Mais surtout, on a vu de la résistance. De l’énergie. L’envie d’agir, de changer les choses. On a rendu visite à des syndicats, aux syndicalistes de Labour Notes dans leur petit local de Washington Street à Brooklyn. On a rencontré les camarades du PSL – le ‘Party for Socialism and Liberation’, ceux du CPUSA, le Parti communiste des États-Unis, et aussi les jeunes activistes du Democratic Socialists of America, le DSA.
Le DSA, c’est un regroupement de mouvements de gauche, de socialistes, qui essaient de construire ensemble un nouveau parti, plus à gauche que les démocrates.
Une des manières de le faire, c’est de participer aux élections locales. Dans l’État de New York, le DSA compte aujourd’hui onze élus, au conseil municipal et au parlement de l’État. À chaque fois, ils ont d’abord gagné la primaire démocrate avant de remporter la “vraie” élection, entre guillemets.
Parce qu’aux États-Unis, c’est comme ça.
En vrai, il n’y a que deux partis : les démocrates et les républicains. Mais ce ne sont pas des partis comme chez nous, où on peut devenir membre. À la place, ils organisent des primaires ouvertes, qui permettent de désigner le candidat du parti à une élection. Et donc, en théorie, n’importe qui peut devenir candidat démocrate ou républicain pour l’une ou l’autre élection. Et le DSA utilise cette possibilité, et il le fait avec beaucoup de succès.
Je me souviens très bien du dimanche matin où on a été accueillis dans ce minuscule local du DSA, sur Jefferson Street à Manhattan. Avec plein de jeunes activistes, pleins d’enthousiasme. Pendant la discussion, Grace Mausser, la coprésidente de la branche new-yorkaise du DSA, nous a dit qu’un de leurs membres s’était porté candidat à la nomination démocrate pour la mairie de New York en 2025.
À ce moment-là, ça ne nous disait pas grand-chose, je dois avouer. Peut-être parce qu’on n’y croyait pas vraiment. Peut-être aussi parce qu’on n’en avait jamais entendu parler. Ce candidat, c’était Zohran Mamdani.
Et bam ! Six mois plus tard, en juin 2025, ce même Zohran Mamdani gagne la primaire démocrate et se retrouve en première ligne pour devenir maire de New York. Bientôt, un socialiste à la tête d’une des villes les plus capitalistes du monde ? C’est fou, non ?
La meilleure personne pour expliquer comment Zohran Mamdani et le DSA ont réussi cet exploit, c’est justement Grace Mausser, coprésidente du DSA de New York. Je l’avais déjà rencontrée en décembre à New York, mais en septembre, elle était ici, en Belgique, invitée à ManiFiesta.
On l’écoutera dans un instant. Mais d’abord, place à Zohran Mamdani lui-même :
"Tous les politiques disent que New York est la meilleure ville au monde. Mais à quoi ça sert, si plus personne ne peut se permettre d’y vivre ? L’hôtel de ville est complètement corrompu, mais la vraie crise, c’est le coût de la vie. Les New-Yorkais sont écrasés par les loyers et le prix des crèches et des garderies. Les bus les plus lents du pays nous volent notre temps, notre calme. Les travailleuses et travailleurs sont chassés de la ville qu’ils ont construite. Un bourgmestre pourrait changer tout ça. Et c’est pour ça que je me présente."
Voilà comment Zohran Mamdani a lancé, en octobre 2024, sa campagne pour devenir maire de New York.
Le programme qu’il présente aux électeurs fait un peu penser aux programmes avec lesquels nous nous sommes présentés ici, l’année dernière, aux élections communales.
Je me souviens très bien de cette grande une du journal, en septembre 2024, quand nous étions en tête dans les sondages. “La Havane sur l’Escaut”, c’était le titre. Et le journal avait même dessiné un drapeau rouge sur l’hôtel de ville. En première page, on pouvait lire : “Voici à quoi ressemblerait Anvers sous un gouvernement du PTB”, avec ensuite trois de nos propositions : “bus gratuits, loyers plafonnés et réquisition des parkings privés”.
Ce qui était marrant, c’est qu’à l’époque, le but de cette une, c’était de faire peur aux gens. Mais la plupart des gens trouvaient justement que de bons transports publics et un plafonnement des loyers sur le marché privé, c’était de bonnes idées. Et ce sont exactement ces mêmes revendications que Zohran Mamdani met en avant à New York - et là aussi, elles sont populaires.
Bien sûr, New York, avec ses huit millions d’habitants, c’est autre chose qu’Anvers, Liège ou Bruxelles. Les inégalités de classe y sont encore plus fortes qu’ici. Dans aucune autre ville au monde, on ne trouve autant de millionnaires, alors qu’un New-Yorkais sur quatre vit dans la pauvreté.
Pourquoi la campagne de Zohran Mamdani met-elle autant l’accent sur le pouvoir d’achat et sur la justice fiscale ? C’est la question que j’ai posée à Grace Mausser, coprésidente du DSA à New York :
"Les personnes qui quittent le plus souvent New York, ce sont les familles de la classe moyenne. À chaque fois qu’on parle de taxer les riches, tout le monde panique, on dit que les milliardaires vont partir de New York. Mais ils ne partiront jamais. Les gens veulent vivre à New York, surtout quand on est riche. J’imagine que ça doit être très agréable d’être milliardaire à New York. Mais ceux qui sont vraiment forcés de partir, ce sont les jeunes familles, les jeunes familles de la classe moyenne. Et ça, c’est parce que les crèches pour les enfants jusqu’à trois ou quatre ans coûtent presque autant que le loyer pour la plupart des familles. Les gens payent vingt à trente mille dollars par an pour une crèche ou une garderie pour leurs bébés et leurs tout-petits."
Payer vingt, trente mille dollars par an pour la crèche, et pareil pour le loyer ? C’est juste impossible. Personne ne peut s’en sortir comme ça. Beaucoup de gens finissent donc par louer une toute petite chambre, souvent hors de prix. Pour un studio à New York, il faut compter quatre mille dollars par mois. Pas étonnant que tant de New-Yorkais disent que ça ne peut plus continuer comme ça. Et Zohran Mamdani dit la même chose :
"La vie dans cette ville ne doit pas être aussi dure. Mais des politiciens comme Eric Adams et Andrew Cuomo veulent que ça reste comme ça. Ils se préoccupent de leurs donateurs, ils se préoccupent d’eux-mêmes. Ils ne se préoccupent pas de vous, la classe travailleuse qui fait tourner cette ville."
Les politiques traditionnels, eux, ne voient que les intérêts des riches, dit Zohran. Mais la classe travailleuse, celles et ceux qui font tourner la ville, est systématiquement oubliée.
Qui conduit les bus, le métro et les taxis ? Qui soigne les malades et les personnes âgées ? Qui décharge les navires au port ? Qui travaille dans les magasins et les bodegas ? Qui donne cours dans les écoles ? Qui charge les bagages à l’aéroport John F. Kennedy ?
C’est la classe travailleuse qui fait de New York ce qu’elle est. Et elle a le droit de pouvoir y vivre. Voilà la position de Zohran Mamdani — et difficile de lui donner tort.
Eric Adams (l'actuel maire de New York) et Andrew Cuomo (l’ancien gouverneur de l’État de New York) étaient les deux grands adversaires de Zohran Mamdani lors des primaires démocrates en juin. Presque personne ne s’y attendait, mais Zohran Mamdani a fini par les battre, ces deux poids lourds. Ce n’est pas rien, parce qu’Adams et Cuomo avaient le soutien complet de tout l’establishment, appuyés par des donateurs richissimes. Cuomo, par exemple, a injecté vingt-cinq millions de dollars dans sa campagne - un chiffre complètement fou.
Mais malgré tout, l’argent du grand capital a mordu la poussière.
J’étais donc très curieux de savoir comment l’équipe de campagne de Zohran avait réussi ce coup-là : gagner face à une telle puissance financière. J’ai posé la question à Grace :
"C’est toujours le peuple contre l’argent. Depuis des années, les campagnes du DSA à New York fonctionnent de la même manière, et celle de Zohran aussi : on donne vraiment aux bénévoles la possibilité de prendre en main une partie du travail et de s’approprier une partie de la campagne. C’est comme ça qu’on a pu grandir, organiser autant de tournées de porte-à-porte et frapper à autant de portes pendant cette campagne."
En gros, c’est toujours la même histoire dit Grace : le peuple contre l’argent. Ils ont réussi à faire plus d’un million de visites à domicile, toutes menées par des bénévoles. Elle poursuit :
"Alors, tu vois, on dit souvent qu’il y avait cinquante mille bénévoles, ce qui est incroyable. Mais le chiffre vraiment important, c’est qu’il y avait cinq cents responsables sur le terrain. C’étaient des gens formés à organiser les portes-à-portes, à encadrer de petits groupes, entre cinq et vingt personnes. Ils pouvaient aller partout dans la ville, et ils savaient quoi faire sans supervision permanente du personnel payé. Ils avaient toutes les infos. Ils avaient les arguments pour convaincre les gens. Ils géraient la logistique avec les bénévoles. C’est comme ça qu’on arrive à faire en sorte que cinquante mille personnes aient toutes quelque chose à faire — et ce quelque chose, c’est parler à des millions de New-Yorkais."
Grace insiste sur l’importance cruciale d’environ cinq cents coordinateurs bénévoles, qui organisent le travail de terrain et sont chacun responsables de cinq à vingt bénévoles :
"Le plus important, c’est de faire confiance aux bénévoles. Qu’ils puissent prendre les choses en main, diriger un bout de la campagne eux-mêmes. C’est comme ça qu’avec cinq cents personnes, on peut en mobiliser cinquante mille, et parler à un million de New-Yorkais.
La grande différence entre une campagne comme celle-là et une campagne comme celle d’Andrew Cuomo, c’est l’enthousiasme dans ces conversations sincères et authentiques. Avec de l’argent, on peut payer des gens pour aller frapper aux portes. Tu peux les payer pour le faire, mais ils ne se sentent pas concernés par le candidat."
J’ai rencontré beaucoup de recruteurs payés, et la plupart ne font que leur boulot. En parlant avec eux, tu découvres souvent qu’ils sont payés pour faire campagne pour Andrew Cuomo… mais qu’en réalité, ils comptent voter pour Zohran. Donc, ils ne sont pas vraiment passionnés. C’est difficile, dans ces conditions, d’avoir de vraies conversations sincères.
Avec de l’argent, tu peux t’acheter des recruteurs, acheter du temps à la télé, faire de la pub, envoyer des courriers. Mais rien ne vaut une vraie conversation, en face à face.
Ce qui fait la différence sur le terrain, ce sont les bénévoles convaincus, capables d’avoir de vraies conversations, sincères et en face à face.
Il faut donc être nombreux, et s’y prendre intelligemment pour battre l’argent. Mais ça marche. Même si le président Trump n’est pas content."
Lors d’une conférence de presse, on a demandé au président Trump ce qu’il ferait si Zohran Mamdani devenait maire de New York.
On l’a aussi interrogé sur ce qu’il ferait si Mamdani, comme maire, résistait aux rafles menées par le service fédéral de l’immigration, l’ICE, contre les travailleurs sans papiers.
Je ne sais pas qui est le journaliste à la conférence de presse, mais il demande au président ce qu’il ferait si le “communiste” Zohran Mamdani s’opposait aux rafles de l’ICE. Écoutez :
"Votre message au communiste Zohran Mamdani ?
- Eh bien, il faudra l’arrêter. Voilà. On n’a pas besoin d’un communiste dans ce pays. Mais si on en a un, je le garderai très attentivement à l’œil au nom de la nation. Nous lui donnons de l’argent. On lui fournit tout ce dont il a besoin pour diriger un gouvernement. Et on va surveiller ça de très près. Et beaucoup de gens disent qu’il est ici illégalement..."
"Alors nous allons devoir l’arrêter", dit Trump. Tout le monde a bien entendu. Le président des États-Unis menace d’arrêter le futur maire de New York, si celui-ci s’opposait aux rafles menées par les services de Trump.
"Nous n’avons pas besoin d’un communiste dans ce pays", dit Trump — lui qui, désormais, traite de communiste tous ceux qu’il n’aime pas. Des communistes, des gauchistes extrêmes, tous ces gens qui défendent une taxe des millionnaires, une assurance maladie pour tous, des logements abordables et des transports publics gratuits. Pour eux, c’est "La Havane sur l’Hudson".
C’est ça, la "cancel culture" de l’extrême droite : communistes, marxistes, syndicats, associations de locataires, collectifs d’usagers des transports… tout ce qui bouge, faut le faire taire. Dès que le peuple revendique ses droits, la droite pleurniche - et les interdictions pleuvent.
Trump menace aussi de bloquer les fonds de fonctionnement de New York si Mamdani devient maire. Tiens, ça ne vous rappelle rien, ça ? En 2022, la presse faisait état de pressions de la banque Belfius à la perspective d'une montée au pouvoir du PTB en Wallonie en 2024. Le PTB ne devait surtout pas toucher aux leviers du pouvoir.
Zohran a réagi avec détermination aux propos du président Trump :
"Hier, Donald Trump a dit que je devrais être arrêté. Il a dit que je devrais être expulsé, déchu de ma nationalité. Et il a dit tout cela à propos de moi — quelqu’un qui pourrait devenir le premier maire issu de l’immigration de cette ville depuis des générations.
Je me bats pour les travailleuses et travailleurs. Je me bats pour toutes celles et ceux qui ont été chassés de cette ville à cause des prix. Et je me bats pour les mêmes personnes qu’il prétendait défendre. C’est le même président qui avait fait campagne en promettant des courses moins chères, et en parlant de soulager la crise étouffante du coût de la vie. Mais au final, il lui est plus facile d’attiser les divisions que de reconnaître comment il a trahi ces Américains de la classe ouvrière."
"Je me bats pour les travailleuses et les travailleurs", dit Zohran. Et pour Trump, c’est plus facile de monter les gens les uns contre les autres que de reconnaître comment lui-même a trahi la classe travailleuse.
On assiste donc à un bras de fer, et on ne sait pas encore ce que nous réserve le mois prochain dans cette campagne.
Parce que Trump ne s’est pas arrêté aux menaces. Son problème, c’est que les voix de la droite, les voix de l’establishment, sont aujourd’hui divisées. Le maire Eric Adams et l’ex-gouverneur Andrew Cuomo veulent tous deux rester dans la course comme indépendants, et le candidat républicain veut lui aussi continuer. Face au grand favori, Zohran Mamdani, il y a donc trois adversaires. Et Trump ne cache pas son inquiétude :
"Je vois ce qui se passe à New York : on risque d’avoir un maire communiste. Parce que tout est divisé. Si les gens s’unissaient autour d’un seul candidat, ils auraient, je pense, une vraie chance. Mais on dirait qu’ils ne vont pas le faire. On va se retrouver avec un maire communiste. C’est à peine croyable, ma belle New York."
"C’est à peine croyable", dit Trump. On va se retrouver avec un maire communiste dans ma belle New York. Et donc, en coulisses, Trump commence à manœuvrer pour qu’il n’y ait plus qu’un seul opposant contre Mamdani.
Le candidat républicain à la mairie, Richard Sliwa, affirme qu’il a déjà reçu sept offres pour se retirer de la course, en échange de plusieurs millions de dollars. Des millions pour ne pas se présenter ! Incroyable. Pour l’instant, Sliwa a refusé. On verra bien la suite.
Le maire actuel, Eric Adams, a lui cédé à la pression de Trump. Il s’est retiré de la course après que Trump lui a promis de faire disparaître une accusation de corruption, et même de lui offrir un joli poste. Tout ça, juste pour qu’il ne soit pas candidat.
Zohran Mamdani, lui, reste calme : "Trump peut dicter ce que font Andrew Cuomo et Eric Adams, mais il ne peut pas dicter comment les New-Yorkais voteront le 4 novembre."
Et il a raison. Peut-être que, bientôt, la plus grande ville des États-Unis aura un maire socialiste. Ce n’est pas rien, dans un pays qui glisse toujours plus à droite. Ce serait un signal fort pour tous les mouvements. Et nous, on continuera à suivre tout ça de près. »