Flottille pour Gaza : « De l’optimisme et de l’espoir pour les Palestiniens »
Des centaines de personnes du monde entier ont pris la mer pour briser le blocus de Gaza. Elles se sont faites arrêter illégalement par l’armée israélienne dans les eaux internationales. Mais leur action a permis d’atteindre l’objectif principal : que les regards restent sur Gaza. Hanne Bosselaers, de Médecine pour le Peuple (MPLP), était sur le pont. Elle nous raconte.

Par Jonathan Lefèvre, Solidaire
Malgré les tentatives d’intimidation, l’action de la Flottille pour Gaza a réussi à braquer à nouveau les projecteurs sur le génocide en cours, exerçant une pression sur Israël – et sur les États-Unis – qui a dû accepter un cessez-le-feu.
Il y a dix jours, nous avons interviewé Hanne Bosselaers, médecin généraliste à Médecine pour le Peuple, en pleine mer. Quelques heures après, la participante de la Flottille humanitaire pour Gaza se faisait arrêter – kidnapper plutôt – , comme les 91 autres médecins et journalistes présents sur le Conscience.
Libérée deux jours plus tard, nous avons voulu savoir comment elle allait.
Elle a préféré nous parler des Palestiniens.
Après l’épreuve de l’interception et de la détention, comment vous sentez-vous ?
Hanne Bosselaers. Je suis encore un peu fatiguée, car nous n’avons pas beaucoup dormi pendant le voyage et après avoir été kidnappés. Mais je suis contente et optimiste, surtout concernant ce que les flottilles ont contribué à obtenir.
Je suis particulièrement contente que quelques otages palestiniens aient pu rentrer chez eux, notamment le docteur Ahmed Muhana, le directeur de l’hôpital Awda (organisation sœur de MPLP, NdlR) . J’ai vraiment pleuré de joie en le voyant de retour devant son hôpital après près de deux ans de détention. Deux ans de détention illégale, sans que sa famille ne sache s’il était vivant ou non. Le voir faire un très beau discours devant ses collègues, c’était… Waw !
Les soldats israéliens avaient l’air un peu ridicules avec leurs fusils, leurs grenades, etc. C’était totalement disproportionné face à des civils sans autre arme que du lait en poudre et des médicaments…
Médecin généraliste à Médecine pour le Peuple
Comment s’est passé l’abordage du navire ?
Hanne Bosselaers. Nous nous sommes couchés le 7 octobre assez tard car on sentait que l’armée pouvait débarquer à tout moment, mais en même temps nous étions très loin des côtes. À 4h30, l’alarme a retenti. 12 minutes plus tard, les soldats étaient sur le pont. Ils avaient l’air un peu ridicules d’ailleurs, avec leurs fusils, leurs grenades, etc. C’était totalement disproportionné face à des civils sans autre arme que du lait en poudre et des médicaments…
Israël a justifié votre arrestation en affirmant que vous étiez entrés illégalement dans ses eaux. Sur quelle base légale repose cette interception ?
Hanne Bosselaers. Aucune. Quand nous sommes arrivés au port, nous avons subi un interrogatoire et ils nous ont dit : « Selon la loi d'Israël, vous avez tenté d’entrer illégalement dans le pays. » Mais c’est absurde. Nous étions encore à plus de 200 km de la côte palestinienne lorsque nous avons été interceptés. Le Conscience a d’ailleurs été intercepté plus loin de la côte que tous les autres bateaux. Nous allions des eaux internationales vers les eaux palestiniennes. Nous n’avons fait aucune tentative d’entrer illégalement dans le territoire israélien. Il faut le rappeler : il n’y a aucune base légale pour l’interception des navires dans les eaux palestiniennes. Leur blocus sur la mer est illégal, d’autant plus que nous transportions uniquement de l’aide humanitaire. Les journalistes et les médecins qui étaient à bord devraient d’ailleurs avoir droit à l’accès au territoire palestinien.
Votre détention de 48 heures vous a-t-elle permis d’observer les conditions des prisonniers palestiniens ?
Hanne Bosselaers. Nous avons été détenus à la prison de Ktzi’ot, qui est le plus grand centre détention israélien et où sont emprisonnés des milliers de Palestiniens, y compris des jeunes de moins de 18 ans.
La prison a de très hauts murs de béton et du fil barbelé. Ça m’a rappelé le mur en Cisjordanie qui déchire la Palestine. Nous pouvions entendre des voix masculines et des chiens de l’autre côté, ce qui nous laissait penser qu’il s’agissait d’otages palestiniens.
Les gardiens étaient habités d’une haine que je n’ai jamais vue. Mais nous étions un collectif et nous n’avons pas été brisés. Seule, j’avoue que j’aurais eu peur. Mais nous sommes toujours restés soudés. Et nous étions préparés par les conseils des femmes qui ont fait partie des flottilles précédentes comme Huwaida, une Palestinienne réfugiée aux États-Unis, ou la Norvégienne Vigdis.
Les gardiens tentaient de nous décourager mais ils sont tellement grotesques qu’on s’est dit : « La prochaine fois, on reviendra encore plus nombreux ! »
Cette expérience nous motive d’autant plus à combattre cette société israélienne construite sur la haine, le racisme et la violence.
La flottille a eu un impact concret – contrairement à nos gouvernements. Ce sont les bateaux qui ont redirigé l’attention du mouvement vers Gaza, générant une forte pression sur Israël et les États-Unis.
Médecin généraliste à Médecine pour le Peuple
La Flottille a été accusée ici par la droite d’être une sorte d’« aventure pour privilégiés » et a nié son efficacité. Quel bilan tirez-vous de l’impact réel de cette action ?
Hanne Bosselaers. La flottille a eu un impact concret – contrairement à nos gouvernements. Ce sont les bateaux qui ont redirigé l’attention du mouvement vers Gaza, générant une forte pression sur Israël et les États-Unis. Le cessez-le-feu est dû, en partie, à la Flottille. Plein de gens se sont mobilisés sur terre grâce à elle. L’Italie entière a été mise à l’arrêt par une grève générale menée par deux millions de personnes ! Il y a eu plein de manifestations massives et des milliers d’actions partout dans le monde. Cet élan est formidable.
Surtout, l’optimisme et l’espoir que cela a donné aux Palestiniens étaient très importants.
Lorsque nous avons appelé nos collègues d’Awda depuis le bateau, ils étaient très reconnaissants. Ils nous ont dit : « Le fait que vous nous oubliez pas et que vous vous battez pour attirer l’attention sur nous et pour mettre la pression sur vos dirigeants, c’est exactement ce qu’on attend de vous. » C’est ce que nous devons continuer à faire.
Comment analysez-vous la situation actuelle, notamment le plan de cessez-le-feu ?
Hanne Bosselaers. Je suis soulagée pour les Palestiniens qui peuvent un tout petit peu souffler, même si Israël ne respecte pas entièrement l’accord et qu’il y a toujours des morts.
Bien que le plan actuel (le « plan Trump ») soit totalement colonial et ne laisse aucune souveraineté au peuple palestinien, c’est une victoire que le but de Trump — vider totalement Gaza et faire un nettoyage ethnique complet — n’ait pas été atteint. Les habitants de Gaza vont rester et ils ont une chance de reconstruire. Nous devons les soutenir pour qu’ils puissent reconstruire avec leurs propres priorités, pour récupérer toutes leurs terres et libérer toute la Palestine.
Mon action n’était pas isolée ; j’ai été suivie et soutenue par mon collectif : Médecine pour le Peuple et le PTB. Nous devons, collectivement, continuer à parler de la Palestine et à nous mobiliser.
Médecin généraliste à Médecine pour le Peuple
Quel message adressez-vous à ceux qui souhaitent agir mais ne peuvent pas participer à une flottille ?
Hanne Bosselaers. Ils agissent déjà. Nous avions tous, sur les bateaux, un collectif derrière. Mon action n’était pas isolée ; j’ai été suivie et soutenue par mon collectif : Médecine pour le Peuple et le PTB. Nous devons, collectivement, continuer à parler de la Palestine et à nous mobiliser.
Le traitement des jeunes Palestiniens de moins de 18 ans, enfermés sans savoir quand ils vont sortir, est 1000 fois pire que ce que nous avons pu connaître.
Nous parlons souvent de chiffres, mais il faut voir l’humain derrière les statistiques : tous les Palestiniens qui sont dans ces prisons sont des otages. Ils n’ont pas eu de procès, ils n’ont pas commis de crimes ; ils ont juste été enlevés de leur maison ou de leur hôpital. Ces gens doivent être libérés.