Agoria, la puissante fédération patronale du métal développe un « scénario de lobbying » vers le groupe des experts et le gouvernement pour pousser à la réouverture des entreprises dans lesquelles les règles de distanciations sociales ne peuvent pas être respectées (voir le schéma ci-dessous).
De manière un peu plus subtile, la FEB appelle à « ne pas opposer la santé et l’économie » et à permettre à toutes les entreprises de redémarrer (Le Soir, 15 avril). Les quinze jours suivants sont émaillés de nombreuses interventions similaires. Le 22 avril, le communiqué du Voka est encore plus explicite et assertif : « Les entreprises font vraiment pression pour un redémarrage de l'économie. C'est pourquoi le Conseil national de Sécurité doit décider vendredi de rouvrir rapidement toutes les entreprises et tous les magasins. » Si ce n’est pas le cas, le grand patronat promet « un drame économique et social ».
L’avis des experts mis de côté
Pour les experts en matière de santé, le relâchement progressif des mesures de confinement ne peut s’envisager qu’en respectant une série de conditions strictes :
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la baisse du nombre d’hospitalisations à moins de 100 par jour et une limitation à 25 % de l’occupation des lits en soins intensifs, soit 500 maximum ;
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la réalisation de 25 000 tests quotidiens au minimum (idéalement 45 000 même, selon plusieurs experts) ;
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la mise au travail de 2000 personnes pour assurer le suivi des personnes positives et contacter leurs proches (le contact-tracing) ;
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des mesures préventives et de sécurité doivent être implémentées dans les écoles, les lieux de travail en accord avec les travailleurs ;
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par ailleurs, ils conseillent le port d’un masque en tissu pour l’ensemble de la population, et proposent de le rendre obligatoire dans les transports en commun.
Selon les experts, ce n’est donc que si toutes ces conditions sont réunies qu’on peut envisager de passer à la première phase de déconfinement. Et cette ouverture doit se faire en phases, avec chaque fois 2 semaines au moins entre les mesures pour pouvoir évaluer l’effet sur l’épidémie. Pourtant, lors de la conférence de presse du Conseil national de Sécurité, la Première ministre et les ministres-présidents sont passés très vite sur ces conditions en restant au niveau de déclarations générales. Ils ont avancé l’ouverture d’une grande partie des commerces après une semaine, et quasiment rien n’a été dit sur la sécurité sur les lieux de travail. Dans le plan publié sur son site, le gouvernement est tout aussi vague sur le caractère contraignant de ces conditions. Tout juste la Première ministre déclare-t-elle que « rien n’est garanti » pour l’ouverture des commerces le 11 mai.
Or force de constater que nous sommes encore très loin de pouvoir remplir ces conditions :
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pour la journée du 25 avril, nous sommes à 217 admissions à l’hôpital et ce chiffre ne descend plus depuis plusieurs jours ;
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cela fait un mois que le gouvernement promet 10 000 tests PCR par jour et il n’y est pas encore arrivé une seule fois ;
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les équipes pour le traçage des contacts des gens testés positivement ne sont pas du tout prêtes ;
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le ministre Koen Geens a déclaré qu’il ne serait pas possible de distribuer un masque à chaque personne d’ici au 4 mai.
Au lieu de dire la vérité par rapport à ces défis, le Conseil national de Sécurité a fait le choix de les minimiser et de les mettre de côté. Tout juste, ont-ils décidé de reporter les perspectives de relâchement de la vie sociale à plus tard : priorité à l’économie, nous reverrons notre patron avant de revoir nos proches. « Quand on ouvre un robinet, il faut en fermer un autre », déclare ainsi le vice-premier ministre libéral David Clarinval (www.standaard.be, 25 avril).
« D’ici au 3 mai, cela ne marchera pas »
La réalité est que nous ne sommes pas prêts. Marc Van Ranst, virologue et membre du groupe d’experts chargé de préparer le déconfinement (GEES), a pointé suite au Conseil national de Sécurité que toute une série de conditions n’étaient pas remplies pour envisager le déconfinement et qu’il ne serait peut être pas possible le 4 mai. Cela lui a valu d’être violemment attaqué notamment par Geert Moerman, un responsable du Voka de la province de Flandre-Orientale. Il n’est pourtant pas seul. Marius Gilbert (ULB) et Erika Vlieghe (Uantwerpen), aussi membres du GEES, ont également exprimé ouvertement des doutes et des questions concernant ces décisions. Un des experts du GEES, le microbiologiste Emmanuel André, a également exprimé des désaccords avant de démissionner du groupe et de ses fonctions de porte-parole.
Outre la situation de l’épidémie, la question clef est la mise en place d’une politique massive de testings et de traçage des contacts. Il y a actuellement à peine 8 personnes en Wallonie et une vingtaine de personnes en Flandre pour faire ce travail, alors qu’il en faut au minimum 2 000 pour tout le pays. Les ministres régionaux interrogés sont incapables de dire où en est le recrutement et le plan de formation. Bref, il n’y a aucune chance d’être prêt d’ici pour le 4 mai, estiment les experts. « Oubliez cette date du 3 mai. D'ici là, la traçace des contacts ne sera pas prêt », insiste le professeur Wouter Arrazola de Oñate, en charge de la mise en place du contract-tracing en Flandre (De Standaard, 22 avril).
Peu importent les dommages collatéraux
Du côté patronal et des partis de droite, certains assument ouvertement les conséquences de ce choix politique. Le patron de Volvo Gand, Geert Bruyneel, déclare ainsi vouloir « redémarrer l’usine entièrement le plus vite possible » en ajoutant que, « quand elle fonctionne entièrement, toutes les règles de sécurité contre le corona ne peuvent pas être respectées. Mais il faut oser faire des choix » (De Tijd, 25 avril). Ou Francis Van Eechkout, le PDG de Deceuninck Plastics, qui souhaite que son entreprise redémarre au plus vite, expliquant que, « si le taux de mortalité remonte à 300 par jour, il faudrait peut-être dire : et alors ? » (De Tijd, 24 avril).
Priorité à la santé ou aux intérêts économiques ?
Ces patrons disent les choses comme ils les pensent. Pour eux, la santé des travailleurs n’est qu’un dommage collatéral. Ce qui compte, ce sont leurs intérêts économiques, pas la santé, ni les besoins des travailleurs. Les décisions du Conseil national de Sécurité vont dans le même sens. Voilà pourquoi Pieter Timmermans, administrateur délégué de la FEB a déclaré qu’il était « satisfait de ces décisions » (25 avril, Le Soir).
Bref, les grands patrons sont satisfaits, alors qu’un certain nombre d’experts tirent la sonnette d’alarme par rapport aux dangers d’une sortie trop rapide du confinement sans que les conditions soient réunies. Comme au début de lockdown, il faudra une mobilisation large au niveau des travailleurs pour imposer ces conditions et faire reculer ceux qui veulent faire passer leurs profits avant notre santé. Pour que le lobby du cœur soit plus fort que le lobby des grandes entreprises.