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Ces géants de l’agro-business qui affament le monde et exploitent les petits agriculteurs

La révolte des agriculteurs qui fait la Une dans toute l’Europe traduit notamment une colère contre l’évolution d’un secteur où les règles et les prix sont mis sous pression. Dans son dernier livre – Mutinerie – Peter Mertens explique comment l’agriculture est devenue un business mondialisé dominé par une poignée de multinationales, à l’image du géant Cargill. Et comment ces multinationales s’enrichissent sur le dos des consommateurs, de la nature et des petits paysans eux-mêmes. Retrouvez un extrait ici.

Vendredi 2 février 2024

Peter Mertens

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Mutinerie, le nouveau livre de Peter Mertens

Mutinerie sera disponible en librairie le 1er mars prochain.

Les catastrophes naturelles rendent les denrées alimentaires plus chères, tout comme la spéculation. Pourtant, il y a plus que ça en jeu dans le monde de l’alimentation, explique Dan Saladino, journaliste spécialisé dans l’alimentation à la BBC. « La moitié de nos calories provient de trois plantes : le blé, le maïs et le riz. Si l’on ajoute la pomme de terre, l’orge, l’huile de palme, le soja, la betterave sucrière et la canne à sucre, on arrive à neuf plantes qui fournissent les trois quarts de nos calories. Et nous allons les chercher dans le monde entier. »

Les chroniques de Dan Saladino ont récemment été rassemblées dans un livre stupéfiant : Eating to Extinction – qui pourrait se traduire en français par « Manger jusqu’à l’extinction ».

Au cours de l’histoire, l’homme a consommé des milliers d’espèces et de variétés de plantes et d’animaux, avec une grande diversité génétique adaptée aux conditions locales. En quelques décennies à peine, cette diversité a disparu, constate Dan Saladino.

La plupart des gens ne s’en rendent absolument pas compte. Au contraire. Les supermarchés gigantesques nous donnent l’illusion d’une offre surabondante. Toutefois, il s’agit là d’une forme de diversité industrialisée.

Pour Dan Saladino, « nous pouvons acheter toutes sortes de sodas et de sushis où et quand nous le souhaitons. Mais ce que nous achetons et mangeons est de plus en plus uniformisé dans le monde entier ». Ainsi, précise Frank Mulder, « la moitié de la planète cultive les mêmes types de maïs hybride qui se retrouvent dans nos sodas sous forme de sirop de glucose-fructose ou qui servent à nourrir des porcs. La moitié des fromages sont fabriqués avec une enzyme provenant d’une même entreprise danoise, et la majorité du commerce des semences est entre les mains de seulement quatre entreprises ».

Aujourd’hui, ils sont à peine quatre géants à contrôler l’ensemble de la chaîne alimentaire, depuis le grain dans le champ jusqu’au rayon du magasin.

Les banques de semences conservent 560 000 variétés de céréales, mais seules quelques-unes dominent l’ensemble du commerce mondial. Une riche culture alimentaire s’est construite au fil des millénaires. Aujourd’hui, elle disparaît complètement. Dan Saladino juge « très inquiétant » le fait qu’une poignée de multinationales domine la production et le commerce de nos denrées alimentaires. Les géants de l’alimentation peuvent également fixer les prix grâce à leur pouvoir de monopole.

Aujourd’hui, ils sont à peine quatre géants à contrôler l’ensemble de la chaîne alimentaire, depuis le grain dans le champ jusqu’au rayon du magasin. Tous les quatre sont quasiment inconnus, mais tout-puissants. Ils sont désignés par l’acronyme ABCD, qui fait référence à la première lettre de leurs noms respectifs : ADM, Bunge, Cargill et Dreyfus.

Ils détiennent des réseaux de silos, de voies ferrées et de navires et disposent des informations et des relations nécessaires pour tracer les routes d’approvisionnement. Ils contrôlent 70 % du commerce des céréales et en possèdent également les stocks les plus importants.

Prenons l’exemple de Cargill. Même si vous n’avez probablement jamais entendu parler de cette entreprise, il y a de fortes chances que vous ayez des produits Cargill dans votre caddie de supermarché. Cargill achète les céréales pour notre pain, produit les matières grasses de la margarine, le glucose de la confiture, les ingrédients du lait pour bébé et bien d’autres choses encore. Toute la journée, Cargill achète, transforme et vend les composants de ce qui se trouve dans notre réfrigérateur.

Cargill et compagnie occupent une position ultradominante : ils contrôlent le marché. Et ils se servent de ce pouvoir pour rechercher des rendements et des marges bénéficiaires toujours plus élevés.

Ces aliments et ingrédients proviennent du monde entier. Aujourd’hui, les descendants du fondateur William Wallace Cargill possèdent une entreprise dans 125 pays. Autant dire à peu près partout. Cargill est le plus grand négociant et producteur mondial d’ingrédients alimentaires et de produits agricoles. « Nous sommes la farine de votre pain, le blé de vos pâtes et le maïs de votre tortilla », clame l’un des slogans de l’entreprise.

« Nous sommes le trou dans votre portefeuille », doit-on surtout ajouter. Pas moins de douze membres de la famille Cargill figurent sur la liste annuelle des milliardaires du magazine économique Forbes . Ensemble, ils détiennent un patrimoine de 33,4 milliards de dollars. Celui-ci a connu une croissance exponentielle. Se lever un matin, aller travailler et dormir, et se réveiller le lendemain avec 20 millions de dollars de plus sur son compte en banque : c’est à peu près ce que les Cargill ont vécu au quotidien entre 2020 et 2022. Pendant deux ans, leur patrimoine familial a augmenté de 20 millions de dollars par jour. Dans tout cet argent se trouve un peu de votre caddie et celui de millions d’autres personnes.

Pour les géants de l’agroalimentaire comme Cargill, les prix élevés sont une sorte de jackpot, un bandit manchot. Cargill et compagnie occupent une position ultradominante : ils contrôlent le marché. Et ils se servent de ce pouvoir pour rechercher des rendements et des marges bénéficiaires toujours plus élevés. Même dans un secteur qui tourne autour d’un besoin de base comme l’alimentation, The sky is the limit — autrement dit, il n’y a pas de limite.

Depuis son siège dans le Minnesota américain, Cargill a divisé le monde en zones de production : huile de palme en Indonésie, huile de tournesol en France, céréales en Ukraine, cacao en Côte d’Ivoire, sucre et soja au Brésil. Dans la plupart des cas, ce sont des monocultures qui causent de gros problèmes.

Par exemple, dans les États brésiliens du Pará et du Mato Grosso, au cœur de la région amazonienne, le paysage a changé radicalement. Sans jambe de bois ni cache-œil, les pirates du soja de Cargill partent à l’abordage de la forêt et détruisent la nature. Les immenses forêts d’autrefois ont fait place à de gigantesques champs de soja qui s’étendent à perte de vue. Les forêts ont été abattues, les petites parcelles agricoles des paysans locaux ont disparu. Ils y cultivaient du manioc, des piments et des haricots. Aujourd’hui, leurs terres ont été accaparées par de puissants producteurs de soja qui menacent les paysans et mettent le feu à leurs maisons pour s’emparer de leurs parcelles. « Pour nous, le soja est une culture de la mort, pas de la vie », témoigne un agriculteur local.

Le soja de la forêt amazonienne est destiné à l’exportation. La farine de soja sert à faire des aliments pour le bétail de l’élevage industriel en Europe. Et l’huile de soja est transformée en « biocarburant », un nom particulièrement cynique pour un carburant qui est deux à trois fois plus nocif pour le climat que le carburant fossile.

Depuis son siège dans le Minnesota américain, Cargill a divisé le monde en zones de production.

Pour gonfler toujours plus ses marges bénéficiaires, Cargill adopte une approche très souple de la loi, des règles et de la morale. L’organisation environnementale internationale Mighty Earth a déclaré Cargill « pire entreprise du monde » pour ses pratiques commerciales peu scrupuleuses, la déforestation ainsi que l’exploitation des communautés locales et des travailleurs. L’ONG ClientEarth a déposé plainte contre Cargill pour « responsabilité écrasante dans la disparition de la forêt amazonienne ».

Au printemps 2023, l’inspection du travail découvre vingt-six enfants dans l’usine de transformation de viande Cargill à Dodge City, aux États-Unis. Ils travaillent illégalement pour le service de nettoyage qui opère dans des abattoirs dans tout le pays. Les inspecteurs du travail constatent que les enfants doivent utiliser des produits chimiques dangereux et des instruments lourds tels que des scies à dos, scies à poitrine et fendeuses de tête. Certains d’entre eux doivent passer la nuit dans l’abattoir et plusieurs ont été blessés pendant le travail.

Il ne s’agit pas des abattoirs du début du siècle dernier, dans le Chicago des rois de la viande, dont Upton Sinclair a décrit les terribles conditions de vie et de travail des ouvriers dans son stupéfiant roman La Jungle. C’est l’Amérique d’aujourd’hui.

L’inspection du travail note que les violations de l’interdiction du travail des enfants sont « systématiques », qu’elles « s’étendent sur huit États » et constituent une « faute de l’entreprise à tous les niveaux ». L’entreprise de nettoyage s’en tire avec une amende. Pendant ce temps, Cargill, la « famille jackpot », compte ses bénéfices.

Les milliardaires de l’agroalimentaire ont vu leur fortune augmenter de 45 % au cours des deux dernières années.

En 2021, les Cargill de ce monde, les vingt-cinq géants mondiaux du secteur alimentaire ont empoché ensemble un bénéfice astronomique de 155 milliards de dollars. L’année suivante, ce montant fut encore plus important. Leurs actionnaires réalisent ainsi un joli profit sur les prix de l’alimentation. Il n’est donc pas étonnant que Forbes ait répertorié, en 2021 et 2022, 62 milliardaires supplémentaires issus de l’industrie agroalimentaire. Aujourd’hui, les milliardaires de l’agroalimentaire sont au nombre de 245. Ils ont vu leur fortune augmenter de 45 % au cours des deux dernières années.

« Les entreprises agroalimentaires utilisent la situation précaire actuelle, déclare Irit Tamir, directrice exécutive d’Oxfam Amérique. Elles se cachent derrière une histoire bien ficelée de pandémie, d’inflation et de guerre en Ukraine pour justifier une augmentation des prix présentée comme inévitable. Mais ce ne sont que des excuses et, pendant ce temps, elles amassent les profits. Elles se servent de l’inflation et l’aggravent encore. »

Participez à la soirée de présentation de Mutinerie !

Peter Mertens présentera Mutinerie le mardi 5 mars à l'occasion d'une soirée organisée par les éditions Agone et EPO à Bruxelles.