Avec Bouchez et De Wever, on sera plus malade et plus précaire : la preuve en 4 points
Le gouvernement Arizona veut contrôler 218 000 travailleurs malades et supprimer l’indemnité de maladie à 100 000 d’entre eux afin de faire 1,9 milliard d’économies. Leur explication ? Un soi-disant « meilleur suivi et accompagnement » des travailleurs malades permettrait une reprise du travail. Pourtant rien n’est plus faux, pour plusieurs raisons.
1. Des contrôles qui vont ralentir la guérison
D’abord, il y a une incompréhension de ce que signifie un processus de guérison. Prenons l’exemple de Loïc, intendant et technicien de surface dans une crèche. Atteint d’une hernie discale, il a longtemps ignoré la douleur, par peur de ne plus pouvoir assurer son travail. Il a serré les dents, s’aidant d’une ceinture lombaire pour tenir le coup. Jusqu’au jour où il n’a plus pu se lever de son lit.
S’est alors engagé pour lui un long parcours médical : antidouleurs, kinésithérapie intensive, puis une série de consultations chez l’orthopédiste, aboutissant à une conclusion sans appel, l’opération était inévitable.
Loïc vit déjà avec un stress permanent : la crainte de ne jamais retrouver une santé normale, de devoir supporter ces douleurs toute sa vie. S’ajoute à cela l’angoisse des pertes financières, car « tomber » sur la mutuelle signifie une baisse de revenus très sévère. Mais si, en plus, il doit redouter de perdre arbitrairement ses indemnités, alors ce stress supplémentaire ne fera qu’aggraver ou prolonger ses problèmes de santé. Dans le nouveau projet du ministre Vandenbroucke, on peut perdre de 10 % jusqu’à la totalité de son indemnité en cas de manquement d’un rendez-vous ou si on ne « joue pas suffisamment le jeu » de la reprise du travail.
Mais le gouvernement va encore plus loin. Il exige désormais que les médecins généralistes évaluent leurs patients au moins une fois par an pour rédiger une « note d’aptitude », un document censé déterminer quelles tâches professionnelles le patient est encore capable d’accomplir.
Une mesure qui sabote la confiance entre médecin et patient. Imposer cette obligation, c’est transformer le cabinet médical en bureau de contrôle, où le dialogue sincère, celui qui permet d’identifier les véritables obstacles à la guérison, laisse place à la méfiance. Comment un patient osera-t-il exprimer ses difficultés, ses craintes ou ses rechutes, s’il sait que chaque mot pourra être utilisé contre lui ? La relation thérapeutique repose sur l’écoute et la confiance réciproque. La suspicion systématique la détruit.
Un rôle imposé qui dépasse les compétences du médecin. En quoi un généraliste, aussi compétent soit-il, pourrait-il juger de la réalité d’un métier ? Connaît-il les exigences physiques et psychologiques d’une journée de huit heures dans une crèche avec vingt-quatre enfants ? Son expertise est médicale, pas professionnelle. Son devoir est de soigner, d’accompagner la convalescence, pas de jouer les arbitres entre un patient et son employeur.
Une relation thérapeutique brisée, c’est un patient moins suivi, moins capable de s’exprimer en toute franchise sur ses symptômes, et donc moins bien soigné. La conséquence ? Des rechutes plus fréquentes, des arrêts prolongés, et in fine… un coût humain et social bien plus élevé.
2. Allonger la carrière sans améliorer les conditions de travail : une recette pour plus de maladies
Les travailleurs malades n’ont fait qu’augmenter ces dernières années pour plusieurs raisons. Tout d’abord, avec la suppression du droit à la pension anticipée ou à des fins de carrières allégées, toute une série de travailleurs épuisés par leur carrière dans des métiers pénibles se sont retrouvés sur l’invalidité au lieu de pouvoir prendre leur pension bien méritée.
Ensuite, on voit que l’augmentation la plus flagrante est chez les ouvriers, et spécifiquement chez les ouvriers de plus de 55 ans. Aujourd’hui, 64 % des travailleurs malades de longue durée ont plus de 50 ans et 47 % ont plus de 55 ans (chiffres INAMI), ce n’est évidemment pas un hasard.
Plutôt que de les contraindre à tenir jusqu’à 67 ans, un âge souvent irréaliste pour ces métiers, nous proposons des mesures concrètes pour mettre fin à cette logique de l’usure :
- Rétablir le droit à une pension à 65 ans, avec la possibilité d’un départ anticipé dès 60 ans pour ceux qui ont exercé des professions pénibles, sans malus.
- Pour les travailleurs des secteurs les plus éprouvants – soignants, agents d’entretien, ouvriers du bâtiment… –, ouvrir un droit à la prépension dès 55 ans, avec un revenu décent qui leur permette de quitter leur emploi sans basculer dans la précarité.
- Enfin, revaloriser les pensions pour que celles et ceux qui ont donné une vie pour faire tourner notre société puissent vivre dignement leur retraite, sans craindre de finir dans la pauvreté.
3. Plus de pression sur les malades, c’est plus de présentéisme. Plus de présentéisme, c’est plus de malades
Un autre facteur clé dans l’augmentation du nombre de travailleurs malades est le présentéisme. En précarisant les contrats, en multipliant les heures supplémentaires et en intensifiant la pression au travail, les salariés n’osent plus s’arrêter, même malades. Par peur de perdre leur emploi ou une partie de leurs revenus, ils continuent à travailler jusqu’à l’épuisement total, aggravant ainsi leur état de santé. Presque un travailleur sur deux travaille en étant malade. Augmenter la pression sur les travailleurs malades va encore aggraver le problème de présentéisme et pousser les travailleurs dans des situations où la guérison est toujours plus compliquée. Pourtant, la solution serait simple : intervenir dès les premiers signes – soigner une tendinite naissante, traiter un mal de dos avant qu’il ne devienne chronique... Mais en laissant les problèmes s’installer par crainte ou par obligation, on transforme des troubles bénins en invalidité longue durée.
La réaction logique serait pourtant d’attaquer le problème à la source et de miser sur la prévention. Mais le gouvernement reste aveugle à cette évidence.
4. La grande illusion : le gouvernement transforme la responsabilité des employeurs en fumée
Le gouvernement De Wever-Bouchez se targue de responsabiliser tous les acteurs : patients, médecins, mutuelles et employeurs. Mais derrière les grands mots, la réalité est bien différente. Sur les 1,9 milliard d’économies annoncées, quelle est la contribution demandée aux employeurs ? 77 millions seulement, une somme dérisoire. Alors que ce sont les employeurs qui sont dans la majorité des cas responsables de la maladie.
Et comme pour mieux souligner l’hypocrisie du système, le ministre Vandenbroucke s’empresse de rassurer les employeurs : cette modeste participation leur sera intégralement remboursée sous forme de réduction de cotisations patronales, à condition qu’ils « suivent » leurs travailleurs malades et lancent suffisamment de trajets de réintégration.
En théorie, le dispositif du trajet de réintégration devrait protéger les travailleurs malades en facilitant leur retour. En pratique, au lieu de trouver un travail adapté, 8 employeurs sur 10 préfèrent licencier leur travailleur malade pour ce qu’on appelle « motif de force majeure ». L’employeur déclare qu’il n’a pas de poste adapté pour le malade. Et avec cette déclaration, il peut licencier le travailleur ou la travailleuse gratuitement. Il ne doit pas payer un centime de préavis.
Concrètement, être licencié pour motif de force majeure, ça veut dire perdre tous ces droits. Une injustice pour le travailleur et une arme de licenciement pour les patrons. Une soi-disant solution qui ne contribue pas à guérir mais bien à exclure. Pourtant, il est stipulé dans la loi du bien être au travail que l’employeur est obligé de proposer du travail adapté à ses travailleurs malades. Il serait donc de bon sens de faire appliquer cette obligation avec des inspections du travail sérieuses qui alors, responsabiliseraient vraiment les employeurs.
La réforme en cours ajoute une contribution des employeurs (sauf PME) de 30 % pour les 2ᵉ et 3ᵉ mois et pour le 4ᵉ et 5ᵉ mois à partir de 2027. Un progrès ? À peine. Car cette mesure, aussi limitée soit-elle, ne s’accompagne d’aucune obligation concrète pour les employeurs : ni prévention renforcée des risques, ni adaptation systématique des postes, ni sanction en cas de négligence. En outre, à partir de 2027, les employeurs bénéficieront d’une réduction de leurs cotisations patronales, équivalente en moyenne à leur contribution financière pendant les premiers mois d’arrêt maladie. Autrement dit, cette mesure ne représente, in fine, ni une économie pour l’État ni une réelle responsabilisation pour les employeurs.
Pire encore : la Belgique se distingue, et pas en bien, comme l’un des pays où les travailleurs malades bénéficient de la protection la plus faible, avec une période de salaire garanti parmi les plus courtes d’Europe. Aux Pays-Bas, par exemple, les employeurs doivent garantir jusqu’à deux ans de salaire en cas de maladie. Chaque système a ses limites, bien sûr. Mais comment prétendre responsabiliser les employeurs belges quand on se contente de leur demander deux mois de contribution à 30 % en échange de réductions de cotisations patronales ? Une approche cohérente exigerait au minimum six mois de salaire garanti, un délai suffisant pour forcer les entreprises à agir.
5. Le chemin de la guérison est possible… à condition de changer de cap
Pour résumer, le gouvernement Arizona brandit fièrement son objectif d’économies de 1,9 milliard. Mais on comprend bien vite que derrière ce chiffre, il ne s’agit pas de résoudre le problème des travailleurs malades, seulement de le rendre moins coûteux. Pourtant, des solutions existent. Elles passent par un droit au repos pour tous à 65 ans, un retour à la pension anticipée pour les métiers pénibles, une réelle responsabilisation des employeurs à travers un salaire garanti de 6 mois, du travail adapté et de réelles mesures de prévention sur le lieu de travail, ainsi qu’une vraie collaboration avec les acteurs de terrain, médecins, mutuelles, syndicats, en leur faisant enfin confiance.
Le choix est clair : soit on continue à gérer la maladie comme un coût à réduire, soit on la traite comme un problème à résoudre. Pour l’instant, l’Arizona a choisi la première option.