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« Tous les soirs à huit heures, j'applaudirai aussi pour toi » | In memoriam Dirk Van Duppen

« Tous les soirs à huit heures, j'applaudirai aussi pour toi » - In memoriam Dirk Van Duppen.

Mardi 31 mars 2020

En partant, Dirk, tu as dit :

« Je vois le monde changer, je crois qu’il en sortira du bon. »

Tu nous as ainsi transmis pour toujours ta confiance

dans la solidarité et dans l'avenir.

« Dans la peine a grandi un grand sentiment d'union, plus fort que jamais auparavant. »

C'est ce que tu as dit à propos des quelques mois qui te restaient,

des mois durant lesquels tout est devenu plus intense que jamais auparavant,

« mais aussi plus authentique », as-tu dit,

à la fois avec force et tendresse.

Tu as partagé ta peine, il faut du courage pour cela.

Tu aurais tant aimé pouvoir encore nous serrer dans tes bras, disais-tu, pour faire circuler l'oxytocine,

l' « hormone du câlin » qui nous fait nous sentir bien dans notre peau.

 

Nous aussi, nous aimerions pouvoir le faire encore une fois,

te serrer dans nos bras, te serrer chaleureusement la main.

N’est-ce pas fou,

en ces temps de corona

où chacun doit maintenir une distance

mais où nous n'avons jamais été aussi proches les uns des autres ;

c'est justement maintenant qu'il devient tout à fait clair

que la nature de l'être humain le pousse à l'empathie,

à l'entraide et à coopérer avec les autres.

Tu as dit :

« Notre survie dépend bien davantage de la coopération que de la concurrence. »

Que vivons-nous d'autre aujourd'hui ?

 

Oui, c’est fou

que ce soit en ces temps de crise sanitaire incommensurable,

que ce soit justement maintenant,

que le champion le plus infatigable

du combat pour une médecine accessible

nous quitte.

Mais ce que tu nous laisses

a d'autant plus de sens,

c'est la confiance, l'espoir, l'amour,

le choix d'œuvrer pour ce qu’il y a de plus noble,

prendre soin de ses semblables.

 

Tu as montré comment un être humain tellement ordinaire peut être tellement extraordinaire.

Tu as dit:

« Si tu parles du bonheur, alors tu parles d’avoir du sens, de la signification. Pouvoir représenter quelque chose pour les autres. »

Tu a eu du sens, Dirk.   

Tous les soirs à huit heures j'applaudirai pour toi.

Pas seulement pour toi,

mais pour tout ce tu as défendu et représenté.

Je t'embrasse très fort, Lieve,

Je vous embrasse très fort, Ward, Lien, Ben.

                *

J'étais jeune, et tu étais docteur Dirk, avec docteur Lieve.

Mon petit garçon, Karim, était allergique, et personne ne comprenait à quoi.

Test après test.

Et puis un matin, tu as téléphoné.

Tu avais travaillé pendant la nuit, tu avais consulté des collègues américains.

Tu avais continué à chercher,

et tu avais trouvé.

 

Cette ténacité, cette compétence,

tu les avais pour tout le monde,

instruit ou pas instruit.

S’il y a bien une chose que tu ne voulais pas, c’est que tout le monde soit égal dans la pauvreté. 

Non, pour toi, chacun était un roi et un camarade,

« en particulier ceux au bas de la société ».

 

Sur la brèche pour les gens, pour autrui,

la médecine au service de l’humain, du prochain et de la société.

De la Saint-Rochusstraat à Deurne aux camps au Liban.

La médecine ? Pour le peuple !

 

Tu as toujours travaillé en consultant des experts.

Pour la première version de ton livre « De supersamenwerker » (L’homme super-coopérateur),

Tu as correspondu avec Noam Chomsky.

Tu étais alors passionné, non pas par Chomsky,

mais par le contenu, toujours le contenu.

Professeurs et scientifiques, faiseurs d'opinion et journalistes,

collègues professionnels de la santé et organisations de patients,

dirigeants d'organisations sociales,

syndicalistes, dockers,

tout le monde connaissait Van Duppen, celui qui travaille « en réseau ».

Van Duppen, le coopérateur.

                *

Médecine pour le peuple,

ce n'était pas si évident.

Ce n'est toujours pas le cas.

 

Tu as dit : « Les grandes entreprises pharmaceutiques cherchent les gros rendements.

Dans les gens, elles voient des marchés,

dans la misère et la souffrance, elles voient des opportunités. »

« Quand la liberté d'entreprendre se heurte à la liberté de vivre,

quelle liberté devrions-nous restreindre ? », interrogeait la revue médicale « The Lancet »

dans le débat sur les prix affolants des médicaments.

Faut-il laisser les soins de santé à ceux qui pensent d'abord à leur profit

et qui continueront à le faire ?

Les soins de santé doivent passer avant le profit,

les soins de santé ne sont pas une marchandise,

les soins de santé doivent être publics.

L'argument de Dirk Van Duppen,

on va l’entendre dans les mois à venir,

et plus fort que jamais.

 

Il ne s'agit pas seulement de réfléchir,

il s’agit aussi d’oser, d’oser agir.

Tu avais rapidement cité la onzième thèse de Marx sur Feuerbach

lors de notre dernière conversation.

Pas de paroles mais des actes.

« Qu’on commande ces masques de protection nous-mêmes,

avec Médecine pour le Peuple. »

C'est comme ça que ça a dû commencer :

« Fondons nous-mêmes des maisons médicales

de Médecine pour le peuple. »

Se rendre gratuitement chez le médecin, sans payer de ticket modérateur, sans le moindre seuil financier.

À contre-courant.

                *

« Chercher est l'une des sept émotions primaires », m'as-tu expliqué. 

« La volonté de chercher, tous les gens l’ont, qu’ils soient instruits ou non,

s'ils peuvent chercher comment fonctionne quelque chose,

et construire une histoire à partir de là,

cela les fait avancer. »

Pour être un bon pédagogue,

il faut être bon élève.

La curiosité, l’envie d’apprendre, l'étude, la patience.

 

Tu disais : « J'aime mon métier, la science, les idées progressistes,

la recherche constante du meilleur possible. »

Toujours à la recherche d'une approche scientifique,

et des nouvelles avancées de la médecine et de la science.

Tu avais 14 ans ? Quinze ans ? Tu es allé à la bibliothèque,

pour emprunter « Le Capital » de Marx.

Tu n'as pas pu emprunter le livre, tu étais trop jeune.

Mais quelques années plus tard, tu avais fait de la vision de Marx

« le cadre d’analyse qui a structuré le reste de ma vie ».

 

Chercher, pour comprendre.

Chercher, pour résoudre.

Chercher, cela commence par écouter.

Beaucoup d'intellectuels sont doués pour parler,

les gens vraiment intelligents sont doués pour écouter.

 

Être à l'écoute, c’est la base du grand combat

contre les prix trop élevés des médicaments.

Tout a commencé avec le problème des patients cardiaques de ta maison médicale,

qui n'avaient pas droit au remboursement des médicaments contre le cholestérol.

Écouter et synthétiser,

puis s’en est suivi un processus de maturation : rechercher, étudier,

développer un fondement scientifique.

Après quelques années, le dossier avait grandi pour devenir un livre, « La Guerre des médicaments ».

 

La guerre des médicaments a débouché sur un succès,

parce qu’elle a apporté le modèle kiwi.

Il a débarqué de Nouvelle-Zélande.

Que l’État organise un appel public d'offre pour les médicaments,

et leur prix va chuter de façon spectaculaire.

Le modèle kiwi.

Le médecin kiwi.

Se rendre avec des bus de patients aux Pays-Bas.

Pour dénoncer les prix exorbitants des médicaments.

Pour montrer qu’il est possible de faire autrement.

                *

« Le modèle kiwi a aussi marqué le renouveau de mon parti »,

c'est ce qui est écrit dans ton livre d'adieu.

Sans le renouveau qui s’est opéré au sein du parti,

dans ces années de la guerre des médicaments,

nous n'aurions jamais pu faire du modèle kiwi une campagne,

et sans cette campagne kiwi, nous n’aurions

jamais pu rendre aussi riche

le Congrès du Renouveau du parti.

Interaction, dialectique.

Pour changer le parti.

Combien de temps en avons-nous discuté ?

Être à la fois un parti de principes et un parti souple,

positivement tourné vers l'avenir :

nous devions donc réorienter.

Le renouveau a agi sur le parti comme le printemps sur les cerisiers.

Tout a émergé de son squelette. Une marée a grandi dans le parti. Et le parti a percé.

C'est ainsi qu'il a grandi.

 

                *

 

Aider ses voisins, organiser une chasse aux œufs, rendre visite depuis l’extérieur,

faire des courses, prendre soin les uns des autres, ensemble,

des soignants qui font tout ce qu'ils peuvent pour vaincre le virus.

Prenons soin des autres, le hashtag de l'année.

Ensemble, nous viendrons à bout du coronavirus.

 

Cette crise montre bien

que l'être humain est un être social,

ou du moins qu’il a le potentiel pour l'être. 

Exactement comme tu l’as écrit dans ton livre, De supersamenwerker (L’homme super-coopérateur).

« J’en suis très fier », disais-tu.

C’est le « le grand conflit de notre temps : notre nature humaine prosociale,

contre les structures antisociales de la société ».

 

Nous ne sommes pas les loups froidement cupides

que les économistes et partis de droite essaient de faire de nous.

Survival of the fittest? La survie du plus fort ? Les lois de l'évolution,

« pour l'homo sapiens, signifient the survival of the friendliest,

(la survie du plus sociable) ».

Notre survie repose davantage sur la coopération

que sur la concurrence.

 

Si les conditions sociétales nous le permettent,

permettent à l'homo sapiens de faire s'épanouir l'homo socialis en lui,

la coopération, l’empathie et la solidarité gagneront plus de terrain

sur le « chacun pour soi » et sur l’idée du « qui choisit son malheur perd le droit de s’en plaindre ».

Et si les conditions dans la société ne le permettent pas,

    alors nous devons les changer.

Pour que ce ne soit pas l'argent qui contrôle le monde, mais les gens eux-mêmes.

Peut-être pas dans un avenir proche, mais c’est possible.

À ce moment-là, la vraie vie pourra enfin commencer.

                *

Notre dernière conversation s'est terminée par une histoire que tu m’as racontée sur Ward,

ton fils, le pilote,

qui t’a emmené avec lui dans le cockpit d'un Boeing.

Tu m’as raconté, plein d’enthousiasme, à quel point il est difficile d'atterrir

par-delà la Sierra Nevada.

Le cockpit de la vie, Dirk,

tu y étais,

plein d’amour, plein d’espoir.

 

Tu as écrit : « Le fil rouge de ma vie, c’est l’amour.

Parce que je suis un être humain,

et que c'est l’amour qui est le fil rouge de l’évolution de notre espèce. »



Par-delà la Sierra Nevada,

tu as maintenant atterri,

et tu nous laisses ici.

Pleins d’amour, pleins d’espoir.

Mais aussi de chagrin, camarade.

Tellement de chagrin.

Adieu Dirk.



Peter Mertens.