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« Qui fait tourner la société ? Nous, la classe travailleuse, dans toute notre diversité »

Prudence Lombo est aide-soignante dans une maison de repos publique à Bruxelles. À 35 ans, elle est maman d’une petite fille de sept ans. Elle est aussi déléguée syndicale CSC, élue pour la troisième fois de suite. Nous l’avons rencontrée pour évoquer son métier, son engagement pour les travailleurs, la crise du coronavirus et la question du racisme. Petya Obolensky

Vendredi 12 mars 2021

Être aide-soignante en maison de repos, c’est s’occuper des résidents, de A à Z. « On les lève, on les lave, on les habille, on leur procure les soins, on les couche…, explique Prudence Lombo. Souvent, nous sommes les seules personnes avec qui ils ont encore un contact humain. On fait notre possible. On aime ce qu’on fait. On aime les gens du troisième âge. Ils sont toute notre vie. » Mais lorsque le coronavirus s’abat sur les maisons de repos, le personnel est mis a rude épreuve, et les failles du système apparaissent au grand jour.

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Prudence Lombo : « J’ai l’impression que je dois en faire beaucoup plus pour qu’on me considère. Le racisme n’est pas du tout révolu. Je l’ai vécu. Et ma fille le vit aussi aujourd’hui. Ça, ça me fait très mal. » (Photo Solidaire, Petya Obolensky)

D’où vous est venue l’envie de travailler dans ce secteur ?

Prudence Lombo. Au début de mes études, j’ai fait mes stages en maison de repos. Cela m’a tellement plu que j’ai décidé d’y rester. Quand j’ai commencé à travaillé, il y a 13 ans, je venais vraiment pour le plaisir.

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Vous avez été en première ligne contre le coronavirus. Cela a dû être difficile…

Prudence Lombo. Les premiers mois ont été très durs. On ne connaissait pas la maladie. Tous les matins, on se réveillait en se demandant si on n’avait pas contracté le virus. On était inquiets pour nos proches. Au début, on avait zéro protection. On travaillait sans gants, sans gel, sans masques. Les collègues fabriquaient des masques en tissu eux-mêmes. Certains travaillaient en se protégeant avec des sacs poubelles… Ça a été une lutte vis-à-vis de la direction pour obtenir du matériel. Beaucoup de collègues ont eu le covid dans notre service. Moi aussi. Au début, j’ai quand même continué à travailler. Parce qu’on n’avait personne d’autre. Sur 150 résidents, on a eu 40 décès en trois semaines. La direction en a profité pour réduire le personnel. Le pire pour nous, ça a été de ne pas pouvoir faire un câlin à nos papys et mamys pour leur dire au revoir…

On ne soigne plus. On devrait prendre le temps. Mais ce temps, on ne l’a plus

Cela fait un an que la pandémie s’est déclarée. Comment ça se passe aujourd’hui ?

Prudence Lombo. C’est dur pour les résidents. Un an qu’ils sont enfermés dans leur chambre, sans visite. Ils doivent s’adapter au rythme du personnel, qui est dépassé. On court dans tous les sens, en permanence. Pour moi, on ne soigne pas. On ne soigne plus. On devrait prendre le temps. Mais ce temps, on ne l’a plus.

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C’est uniquement lié au virus ? Ou il y a un problème structurel derrière ?

Prudence Lombo. C’est structurel. Il n’y a pas assez de personnel. Je suis seule pour neuf résidents. Si une collègue est malade, je dois m’occuper de 23 personnes. Clairement, les conditions de travail sont pénibles. Mais quand on rencontre la direction, c’est comme une réunion de comptables : on ne parle que de chiffres et de budget. Alors qu’on est censé parler du bien-être des résidents et du personnel. Moi, ce que je voudrais, c’est faire ce que j’ai appris à l’école : prendre soin de ces gens, de la vie, du social. Et encore, on est dans le public : du côté des maisons de repos privées, c’est pire.

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Dans son livre « Ils nous ont oubliés », Peter Mertens, président du PTB, écrit que lorsqu’on applaudissait les travailleurs à 20 heures, sur une minute, il y avait 12 secondes pour les travailleurs d’origine immigrée... (Photo Aecheva)

Qu’est-ce qui vous à poussée à devenir active dans le syndicat ?

Prudence Lombo. J’ai toujours eu un côté « grande gueule », aimé protester contre les injustices. Les manifs, c’était mon truc : le mouvement, l’ambiance, ça m’a toujours plu. Mais, comme beaucoup de gens, je me disais : « À quoi ça sert ? » C’est mon permanent de l’époque qui m’a nourrie politiquement. Il m’a expliqué les enjeux, m’a fait comprendre que les droits sociaux ne tombaient pas du ciel. Quand il est parti, il nous a demandé, à mon collègue et moi, de prendre le relais. Il nous faisait confiance. Au début, c’était chaud. On a subi beaucoup de pression. C’est difficile de dire « non » à la direction quand elle abuse. Mais on s’est accroché. On a appris et on a reconstruit une équipe solide de délégués, très combatifs aujourd’hui.

On ne peut pas continuer jusqu’à 67 ans. Comment voulez-vous soigner des personnes qui ont le même âge que vous ?

Quelles sont les revendications des travailleurs à l’heure d’aujourd’hui ?

Prudence Lombo. Investir dans la santé et les fins de vie doit être une priorité politique. On va tous vieillir et mourir. Ceux qui nous gouvernent aussi ! Les normes d’encadrement (c’està-dire le nombre de membres du personnel par résident) doivent être revues à la hausse. Le seuil minimum n’a plus augmenté depuis à peu près 35 ans. Il ne correspond plus du tout à la réalité du terrain. On en a ras-le-bol de travailler comme ça. On lutte aussi pour l’aménagement des fins de carrière. On ne peut pas continuer jusqu’à 67 ans. Comment voulez-vous soigner des personnes qui ont le même âge que vous ? On demande des horaires pleins. Il n’y a plus de contrat temps plein chez nous. On travaille de 7 heures à midi à un endroit, puis de 15 à 20 heures à un autre. Presque tout le monde fait ça. Sinon, on ne s’en sort pas financièrement. Nous avons besoin de plus de congés annuels. Aujourd’hui, on ne prend plus congé pour partir en vacances, mais pour ne pas s’écrouler le reste de l’année. Et puis, du respect. On s’est battu, dans les maisons de repos, pour obtenir une petite prime, comme les travailleurs des hôpitaux (985 euros brut). C’est une belle victoire, mais il y a encore du chemin.

Qui a fait tourner la société pendant la crise ? Nous, les travailleurs, dans tout notre diversité. Des Noirs, des Arabes, des Polonais… qui ont continué à travailler pendant le confinement

Dans le secteur des soins de santé, une personne sur cinq est issue de l’immigration. Peter Mertens, président du PTB, disait que lorsqu’on applaudissait les travailleurs à 20 heures, sur une minute, il y avait 12 secondes pour les travailleurs d’origine immigrée. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Prudence Lombo. Les membres du personnel du home où je travaille sont en grande majorité des femmes (il n’y a qu’une dizaine d’hommes sur 170 personnes). Près de 80 % sont d’origine immigrée. Qui a fait tourner la société pendant la crise ? Nous, les travailleurs, dans tout notre diversité. Des Noirs, des Arabes, des Polonais… qui ont continué à travailler pendant le confinement. On a pris des risques. Certains sont morts pour que les autres puissent continuer à vivre. C’est exactement l’inverse de l’image que certains essaient de propager : que les étrangers sont des profiteurs qui viennent juste « gratter ». Les vrais gratteurs sont en haut. Je paie mes impôts. Je contribue à la société. Mais j’ai l’impression que je dois en faire beaucoup plus pour qu’on me considère. Le racisme n’est pas du tout révolu. Je l’ai vécu. Et ma fille le vit aussi aujourd’hui. Ça, ça me fait très mal. Dans son école à Uccle, elle est à peu près la seule Noire. Elle me pose des questions sur sa couleur de peau, qui serait moins belle. On ne l’invite pas à un anniversaire parce qu’elle est noire.

Comment ça se passe avec les résidents ?

Prudence Lombo. J’ai eu des résidents qui avaient vécu au Congo à l’époque où c’était une colonie belge, et qui ne voulaient pas être soignés par une personne noire. On me disait : « Tu me rappelles ma bonne. Tu n’as pas à me donner d’ordre. » Mais, parfois, j’ai réussi à les faire changer d’avis. Comme quoi, il n’est jamais trop tard ! Je suis née au Congo où j’ai vécu jusqu’à mes cinq ans. Lorsque les puissances européennes ont décidé de se partager l’Afrique, ils n’ont pas tenu compte des populations. Ils ont partagé des peuples qui, aujourd’hui, se détestent. C’est le « diviser pour mieux régner », la mentalité du colon qui nous a appris à ne pas nous mélanger entre ethnies, entre groupes. Mais la classe travailleuse aujourd’hui, en Belgique et ailleurs, est très diverse, et nous devons être unis, y compris pour vaincre le Covid-19.

 

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