Combattre les addictions et réglementer le cannabis

Nous pouvons faire des pas en avant importants dans la lutte contre les addictions si nous prenons les addictions pour ce qu’elles sont : une question de santé publique. Or, il y a trop peu de réflexion aujourd’hui sur les addictions et la consommation de psychotropes. La politique actuelle en matière de drogue se limite trop souvent à la répression, et cette guerre contre la drogue est un échec à la fois sanitaire et en matière de sécurité.

En impliquant les acteurs de terrain et les experts scientifiques, nous pouvons mettre au centre une politique de prévention et de soins efficace. Nous appelons à mettre un terme à l’hypocrisie qui entoure la consommation de cannabis.

Qu’il s’agisse de l’alcool, des drogues illégales, des médicaments ou des jeux de hasard, nous voulons mener une lutte déterminée pour faire reculer le fléau des addictions. Elles sont malheureusement aujourd’hui un problème de santé publique grandissant dans notre société. Une addiction, ce n’est évidemment pas boire un petit verre ou fumer un joint de temps en temps pour se détendre. Non une addiction, c’est une dépendance et un usage problématique et nocif pour la santé d’alcool, de médicaments ou d’autres drogues.

L’objectif d’une bonne politique de lutte contre les drogues et les addictions doit être de faire baisser le nombre total de personnes dépendantes, de diminuer les dommages physiques et psychosociaux que l’addiction peut entraîner chez la personne qui en est victime, et de combattre les effets néfastes du phénomène sur la société (nuisance et criminalité).

Aujourd’hui, ces objectifs ne sont pas remplis. La consommation de drogue, d’alcool ou de médicaments stagne ou augmente même dans la plupart des cas. La réponse donnée n’est pas la bonne. Officiellement, il est reconnu qu’une approche efficace doit être intégrée et fondée sur quatre piliers : la prévention, l’aide, le contrôle et la répression. Mais en réalité, quasi rien n’est fait au niveau de la prévention ou de la réduction des risques, tandis que le secteur de l’aide manque de moyens. Concernant les drogues illégales, le gouvernement et les partis qui le composaient ont opté ouvertement pour une approche axée uniquement sur le volet répressif, qui criminalise les consommateurs. Tandis qu’ils laissent faire en grande partie le libre marché quand il s’agit de l’alcool ou des jeux d’argent.

Les chiffres les plus récents tendent à montrer que la prévention constitue à peine 1,2 % de l’ensemble des dépenses publiques en matière d’alcool, de drogues illicites et de médication psychoactive. La part liée à la répression, elle, ne fait qu’augmenter. Plus spécifiquement, dans la lutte contre les drogues illégales, la disproportion des moyens accordés au pilier répression par rapport aux autres piliers pour la prévention et l’assistance est également forte. Selon les derniers chiffres disponibles d’une étude de 2011, 61 % des moyens dégagés pour la lutte contre les drogues illicites le sont pour la répression, contre 35 % pour l’aide médicale, et à peine 3 % à la prévention et 1 % pour la réduction des risques.

L’approche purement répressive contre les drogues est contre-productive car elle demande beaucoup de moyens mais n’apporte pas de solution. Au contraire, en stigmatisant les gens victimes d’addictions et en les envoyant en prison pour une série d’entre eux, elle freine souvent l’entrée de ces personnes dans des trajets de soins. Et cela alors que, dans le même temps, peu de grands trafiquants sont arrêtés et que le trafic continue de s’amplifier. La première chose à faire concernant les drogues et addictions, c’est de faire la différence entre les consommateurs qui sont dans une situation d’addiction et qui doivent être aidés par des politiques de santé adaptées, d’une part. Et ceux, de l’autre côté de la chaîne, qui nourrissent ces addictions car ils en tirent d’énormes bénéfices et qui doivent être combattus sans pitié, d’autre part.

Nous donnons la priorité absolue à la prévention car le meilleur moyen de lutter contre les addictions est d’empêcher qu’elles ne se développent à la base. Viendront ensuite l’aide et la réduction des risques et, enfin, la répression ciblée. Les raisons de la consommation excessive d’alcool et autres drogues, et les causes des problèmes de toxicomanie sont complexes et multifactorielles. La réponse que nous donnons est une approche intégrée, avec une continuité entre prévention, intervention précoce, diverses formes d’aide, réduction des risques et aide sociale à l’intégration.

Enfin, nous regardons aussi cette question comme un problème de société plus global. Les addictions se développent sur le terreau des inégalités sociales et de l’exclusion, mais aussi sur celui de la hausse des rythmes de travail et de la perte de sens dans la société capitaliste actuelle. L’addiction aux drogues est bien souvent un moyen de fuir la réalité. Gagner la lutte contre les addictions passe aussi par construire une société plus juste, émancipatrice, où les jeunes ont des perspectives et qui met au centre l’épanouissement social, culturel, sportif de tous et toutes. C’est le cap que nous fixons avec l’ensemble de ce programme.

Ce que nous voulons

Un. Établir un plan de lutte contre les drogues et les addictions

  • Nous établissons un diagnostic global et redéfinissons les plans de lutte contre les drogues et les addictions (stupéfiants, alcool, médicaments, tabac et jeux) en impliquant les associations de terrain et les spécialistes.
  • Sur base du diagnostic, nous revoyons la loi de 1921 sur les stupéfiants ainsi que les décrets au niveau régional pour les adapter aux défis et connaissances d’aujourd’hui.
  • Nous renforçons le contrôle et l’évaluation des politiques de lutte contre les drogues et les addictions via l’organe interfédéral qu’est la Cellule générale de Politique en matière de Drogues.
  • Vu l’ampleur et la banalisation de la consommation d’alcool aujourd’hui en Belgique, nous mettons sur pied un plan contre l’abus d’alcool, national et ambitieux, avec l’aide des acteurs de terrain.

Nous fondons notre politique efficace de lutte contre les addictions sur les connaissances des scientifiques et des acteurs de terrain. Ceux-ci doivent être consultés et impliqués. Aujourd’hui, c’est beaucoup trop peu le cas. La question des drogues est trop souvent regardée d’un point de vue purement éthique ou instrumentalisée pour atteindre d’autres buts politiques.

Nous mettons autour de la table les acteurs afin d’établir un diagnostic global et de définir un plan interfédéral. Sur cette base, nous modifions la loi de 1921 sur les stupéfiants. Et nous renforçons l’évaluation de ce plan et des modifications apportées à la loi via la Cellule générale de la Politique en matière de Drogues, qui propose aussi des recommandations.

Nous faisons un effort spécifique concernant l’alcool qui est aujourd’hui fortement consommé et largement banalisé dans notre pays. La Belgique est en effet le pays d’Europe de l’Ouest où la consommation d’alcool est la plus élevée. Il y a beaucoup trop peu qui est fait, notamment en matière de prévention. C’est pour nous une priorité, et nous affronterons pour cela les intérêts financiers des lobbys du secteur.

Deux. Investir dans la prévention et les programmes de sensibilisation

  • Nous soutenons une politique de prévention large et développée vers les écoles mais aussi vers les mouvements de jeunes, les travailleurs de rue, les parents, le monde médical, policier et judiciaire.
  • Nous prenons des mesures fortes concernant les publicités sur l’alcool et les jeux de hasard afin de protéger les consommateurs. Nous appliquons la décision de rendre neutres les paquets pour les produits du tabac.
  • Nous renforçons structurellement l’éducation, la prévention et la réduction des risques concernant les dangers liés à la consommation excessive d’alcool.
  • Prévenir c’est guérir : nous investissons globalement beaucoup plus dans la prévention pour que ce ne soit plus le parent pauvre des politiques de lutte contre les addictions.

Contrairement à ce qui a été fait jusqu’ici, nous investissons dans une bonne politique de prévention et des programmes de sensibilisation. Cela permettra d’économiser des moyens par la suite.

Ces programmes sont orientés vers les différents publics cibles : des sessions d’informations dans les écoles, dans les maisons de jeunes et auprès des mouvements de jeunesse, avec notamment des témoignages personnels qui ont souvent un impact fort. Mais aussi des efforts vers les exploitants de café et du secteur horeca, vers le monde judiciaire et policier, vers les parents et les travailleurs de rue, ou encore vers le monde médical.

Ce n’est pas normal qu’un jeune qui regarde aujourd’hui un match de football soit bombardé de publicités pour l’alcool et les paris sportifs. En nous inspirant de ce qui a été fait avec l’interdiction progressive de la publicité pour le tabac, nous prenons des mesures concernant la publicité pour l’alcool et le jeu (paris en ligne, jeux de hasard en ligne, casinos). En commençant, par exemple, par l’alcool fort mais aussi par les produits qui ciblent spécifiquement les jeunes comme les alcopops et pré-mix du style Bacardi Breezer.

Trois. Renforcer l’aide et réduire les risques liés aux usages de drogue

  • Nous étendons les capacités disponibles dans les centres d’accueil de jour et les centres d’hébergement pour toxicomanes et alcooliques afin que tous ceux qui en aient besoin puissent bénéficier d’un parcours de soins et d’insertion.
  • Nous donnons plus de moyens aux accompagnateurs psychosociaux mobiles afin de travailler à partir des situations vécues par les personnes sur leurs lieux de vie
  • Nous appuyons la mise en place des lieux de consommation à moindre risques, de comptoirs d’échanges et de testings.

Centres d’hébergement, centres de jour, équipes mobiles, services d’urgences sont autant d’outils efficaces et nécessaires pour lutter contre les addictions. Ils doivent garantir une prise en main efficace en première ligne mais aussi garantir l’accès aux services spécialisés en deuxième ligne. Ils doivent être financés à la hauteur de leurs besoins afin notamment d’assurer un taux d’encadrement suffisant, ce qui n’est souvent pas le cas aujourd’hui. Le besoin de personnel se fait particulièrement sentir pour assurer le soutien psychiatrique au niveau de la deuxième ligne. Et à côté de cela, il faut garantir les droits au logement ou à la santé ainsi que l’accès à l’emploi qui sont fondamentaux pour assurer la réussite d’un parcours de soin et de réinsertion.

Au niveau de la réduction des risques, très peu de choses sont faites en Belgique. Les partis au gouvernement ont refusé de modifier la loi de 1921 et continuent d’empêcher la mise en place de salles de consommation à moindre risque. Ces salles ne visent pourtant pas à faciliter l’usage mais à le sécuriser. Elles permettent de prévenir les overdoses, de diminuer les infections, de réduire la mortalité et de proposer une alternative aux consommations dans l’espace public. Les études scientifiques ont démontré que cela fonctionne. Tous les pays limitrophes de la Belgique comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la France et le Luxembourg s’en sont dotés. Nous modifierons la loi pour permettre la mise en place des salles de consommation à moindre risque, et assurerons leur financement avec les entités fédérées et locales. Des lieux d’échanges de matériel stérile seront également mis en place. Ainsi que des lieux pour le testing des drogues afin de protéger les consommateurs car ce dispositif permet une identification rapide des produits et des tendances de consommations.

Quatre. Réglementer l’usage et la production de cannabis

  • Sur base des études scientifiques réalisées, nous autorisons l’usage du cannabis pour usage médical comme dans le cas des traitements avec chimiothérapie.
  • Nous réglementons la consommation, la production et la vente de cannabis dans des conditions permettant de lutter contre l’addiction par le contrôle de la qualité des produits et des quantités écoulées. La production et la vente sont encadrés par l’État.
  • Nous interdisons la vente de cannabis aux mineurs de moins de 16 ans, ainsi que dans les lieux où de l’alcool est également en vente. Nous interdisons également la publicité.
  • Les recettes des taxes sur le cannabis sont affectées aux programmes de lutte contre les addictions.

Nous mettons fin à l’hypocrisie de la politique actuelle et menons enfin une lutte efficace contre l’addiction au cannabis. Car aujourd’hui, malgré la prohibition, la consommation de cannabis ne baisse pas. 15 % de la population dit en avoir consommé au moins une fois, souvent de manière occasionnelle et « récréative ».

Cependant, on observe que le nombre de personnes traitées pour des problèmes de santé liés à une addiction au cannabis augmente sensiblement. Dans les centres spécialisés pour toxicomanes, le nombre de nouveaux traitements pour le cannabis a ainsi triplé entre 2003 et 2012 (derniers chiffres disponibles). Il est donc important d’agir pour protéger la santé des usagers et faire baisser la consommation quand elle devient addictive.

Le fait que le cannabis se soit banalisé mais reste illégal permet, d’une part, aux trafiquants de garder des prix élevés (et donc des profits considérables) et empêche, d’autre part, tout contrôle sur la qualité et la composition du produit. En prenant des mesures de tolérance sans réellement légaliser, les responsables politiques ont été hypocrites et n’ont rien résolu. Face à cela, la proposition de réglementer le cannabis a le mérite d’être claire. Elle est portée par la grande majorité des acteurs de terrain et les experts scientifiques. D’autres pays ont d’ailleurs fait ce choix récemment, comme l’Uruguay ou le Canada. Il est essentiel que cette réglementation soit stricte et aux mains de l’État, afin d’éviter que le cannabis ne devienne l’objet d’une commercialisation comme on le voit dans certains États américains qui ont récemment légalisé le cannabis. Si le marché est non réglementé, qu’il soit légal ou illégal, la recherche de profit est alors l’unique boussole et on assistera à la reproduction des effets néfastes de la commercialisation comme avec l’alcool ou le tabac. On doit au contraire partir de ces expériences pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Toute publicité ou promotion pour le cannabis sera d’ailleurs interdite dès le départ.

Il faudra impliquer les associations de terrain et les experts dans la confection du modèle de réglementation et notamment la définition des quantités autorisées. Mais la production et la distribution devront dans tous les cas être encadrées par l’État : soit à travers un modèle de coopératives fonctionnant avec une licence du type des Cannabis Social Club (modèle uruguayen), soit avec une société publique de production et de distribution (comme cela se fait avec la Société québécoise du Cannabis). Les consommateurs devront avoir au moins 16 ans, être affiliés auprès de l’établissement afin d’avoir une forme de suivi, et il existera des limites mensuelles à l’achat. Il sera interdit de vendre du cannabis dans un lieu où de l’alcool est également en vente.

Dans cette proposition de réglementation, la production, la fourniture et la possession de cannabis sont légalisées dans le cadre des critères définis ci-dessus. La réglementation permet ainsi de couper l’herbe sous le pied des trafiquants. Cela permet aussi d’avoir un contrôle sur la composition et les conditions sanitaires dans lesquelles le cannabis est produit.

L’argent économisé sur la politique de prohibition sera utilisé, d’un côté, pour la lutte ciblée contre les grands barons de la drogue et, de l’autre côté, pour les programmes de prévention et de soins. L’argent qui serait tiré de la production ou des taxes sur le cannabis sera aussi réinvesti dans les programmes de lutte contre les addictions.

Enfin, sur base des études scientifiques réalisées, nous autorisons l’usage du cannabis pour usage médical comme cela se fait dans toute une série d’autres pays en Europe. Il s’agit d’une autre réglementation que pour le cannabis à usage récréatif. Cela doit suivre alors les règles en vigueur pour les produits pharmaceutiques. Cela doit être supervisé par un médecin traitant, avec une prescription et disponible en pharmacie.

Cinq. Une répression ciblée et efficace contre le trafic et la production illégale de drogue

  • Nous accentuons la lutte ciblée contre les gros trafiquants grâce aux moyens libérés notamment par les recettes des taxes sur le cannabis.
  • Nous renforçons notamment fortement les services de douanes dans le port d’Anvers.
  • Nous levons le secret bancaire et donnons plus de moyens aux services d’inspection des Finances.

La « War On Drugs » lancée par De Wever à Anvers, plaque tournante du trafic de drogue (vu la proximité du port), est un échec. Il n’y a pas moins de violence liée à la drogue et les barons de la drogue sont plus forts que jamais. Anvers est même devenue la capitale européenne de la cocaïne. Au lieu de remettre en question sa politique, De Wever choisit la fuite en avant. Il fait l’amalgame entre les quartiers populaires, les populations d’origine immigrées et le problème de la drogue. Il se sert de cela pour renforcer les contrôles et la répression dans ces quartiers. Cela fait partie de sa politique du diviser pour régner. Mais cela ne règle rien concernant la lutte contre les drogues.

Car il n’y a pas du tout une politique conséquente pour s’attaquer aux grands barons de la drogue et s’attaquer au problème à la racine. Au contraire. Le gouvernement a coupé dans les budgets des douanes dans le port d’Anvers. Cela veut dire que seulement 0,5 % à 1 % des containers peuvent être contrôlés.

Le trafic de drogue est l’un des marchés les plus lucratifs, il génère des centaines de milliards de dollars chaque année au niveau mondial. L’argent sale de la drogue est recyclé et blanchi grâce au concours de toute une série d’intermédiaires et d’institutions bancaires. Cet argent représente une importante source d’investissement, les intérêts en jeu sont énormes. Il est possible de se donner les moyens pour contrôler beaucoup mieux les institutions bancaires et tracer l’argent du trafic de drogue. Mais rien n’est fait aujourd’hui pour lever le secret bancaire et lutter efficacement contre la fraude.

Avec les moyens libérés au niveau judiciaire (notamment par la réglementation du cannabis), nous accentuons la lutte ciblée contre les gros trafiquants. Du coup, nous renforçons notamment les services de douanes dans le port d’Anvers. Et nous levons le secret bancaire et donnons plus de moyens aux services d’inspection des Finances.